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Méthode rationnelle (HU)

De Wikhydro

Traduction anglaise : Rational method

Dernière mise à jour : 17/11/2022


Méthode empirique simplifiée permettant le calcul du débit maximum $ Q $ à l'exutoire d'un bassin versant de surface $ A $ et de coefficient de ruissellement $ C $, soumis à une précipitation donnée d'intensité moyenne $ i $ sur la durée $ t_c $ du temps de concentration du bassin versant étudié, par la relation :


$ Q = C .i (t_c) . A \quad (1) $


Sommaire

Éléments d'historique

Si au cours du XVIIème siècle, les savants jetèrent les bases de l’hydraulique et de l’hydrologie scientifique et confirmèrent, entre autre, les travaux de Pierre Perrault (1608-1680) et Edmé Mariotte (1620-1684) démontrant le rôle essentiel des précipitations sur les débits des cours d’eau, ce furent les ingénieurs du XIXème siècle, impliqués dans l’aménagement des territoires, qui proposèrent les premières formulations permettant l’estimation des débits résultant d’une précipitation sur un bassin versant.

Certaines de ces formulations étaient de nature totalement empirique et virent principalement le jour entre 1850 et 1950. On en trouvera une intéressante synthèse dans Chow (1959) qui montre que la centaine de formules existant à l'époque peuvent se mettre sous la forme générale :


$ Q = k.C.i.A.\left[\frac{I}{A}\right]^x \quad (2) $


avec :

  • Qp : débit de pointe à l’exutoire du bassin (m3/s) ;
  • k : coefficient numérique dépendant des unités ;
  • C : coefficient de production ou de ruissellement ;
  • i : intensité "critique de pluie" (souvent en mm/h) ;
  • A : surface du bassin versant (ha ou km2) ;
  • I : pente moyenne de l’axe d’écoulement ou du bassin (m/m) ;
  • x : exposant variant entre 0,2 et 0,5.

C’est cependant à l’école hydrologique irlandaise, à laquelle appartenait, par exemple, Robert Manning (1816-1897), célèbre pour ses travaux sur l’hydraulique des canaux et cours d’eau, que sont aujourd’hui attribuées les premières approches et formulations mécanistes de la transformation de la pluie en ruissellement et écoulement dans un bassin versant, pour expliquer la genèse des crues et quantifier leur débit de pointe (Dooge, 1974).

Le père de la formule rationnelle est Thomas J. Mulvany (ou Mulvaney) (1821-1892) qui l’énonça en février 1851 dans un document de 14 pages (Mulvany , 1851). Celle-ci fut ensuite reprise et développée par de nombreux autres ingénieurs, qui lui donnèrent, sans doute abusivement, leur nom (E. Kuilchling aux USA en 1889 ; D. Lloyd-Davis en Angleterre en 1906, pour ne citer qu’eux en matière d’hydrologie urbaine).

Au titre de l’apport principal de Mulvany, on doit sans nul doute retenir l'énoncé du concept de temps de concentration. Ainsi écrivait-il : "Le premier point d’importance à analyser (au travers des observations de pluies et de débits) dans le cas d’un petit bassin versant, ou d’un bassin montagneux, est le temps pour que la crue atteigne son niveau maximal sous l’effet d’une pluie continue et uniformément répartie. Ce temps peut être considéré comme celui nécessaire pour que la pluie tombant sur la partie la plus éloignée du bassin versant atteigne l'exutoire de ce dernier, car il me semble que le débit sera maximal lorsque les apports de chaque partie du bassin arriveront simultanément à cet exutoire ; supposant, comme indiqué plus haut que la pluie soit constante pendant ce temps, on peut penser que ce débit sera le plus grand possible sous l’effet de la pluie uniforme maximale se produisant durant ce temps".

Il ajoutait : "Cette question de temps, dans le cas d’un bassin versant quelconque, doit dépendre de la surface, de la forme, et de la pente du bassin ; par suite l’un des points essentiels des recherches doit être les relations entre ces causes et leurs effets ; de telle sorte qu’ayant déterminé ces variables, nous devrions être capables de déterminer, en premier lieu, la durée de la pluie constante nécessaire pour produire un débit maximal et, par conséquent, de fixer l’intensité maximale de pluie à utiliser dans un cas particulier".

Cet énoncé du principe du temps de concentration est particulièrement remarquable à une époque où l’étude des régimes transitoires d’écoulement en était à ses balbutiements. Mulvany, ne considérant d’ailleurs que des caractéristiques physiques des bassins pour expliquer ce temps, optait implicitement pour la constance de ce dernier (hypothèse qui survit encore aujourd’hui dans de nombreuses formulations).

Ce sont ces différentes considérations qui lui ont permis d'établir la relation (1) vue plus haut :


$ Q = C .i (t_c) . A \quad (1) $


Hypothèses de base et extensions de la méthode

Sous sa forme initiale, la formule rationnelle implique la constance et la répartition uniforme de la pluie sur le bassin versant. Elle suppose également l’homogénéité spatiale de la nature des surfaces réceptrices, autorisant la définition d’un coefficient de ruissellement $ C $ pour le bassin.

On peut d’ailleurs concevoir une justification théorique dans le cas d’un écoulement en nappe sur une surface plane, en supposant que cet écoulement peut être décrit par un modèle d’onde cinématique. On peut, en effet, montrer, dans ce cas très simple, que le temps de concentration $ t_c $ de l’écoulement répond à :


$ t_c = \left[ \dfrac{L.i^{1-m}}{k} \right]^\dfrac{1}{m} \quad (3) $


  • pour la formule de Chézy :


$ k = C.\sqrt I \quad (4) $


$ C $ étant le coefficient de rugosité de Chézy et $ I $ la pente de la surface réceptrice, $ m $ est alors égal à $ 3/2 $ ;

  • pour la formule de Strickler :


$ k = K.\sqrt I \quad (5) $


$ K $ étant le coefficient de Strickler et $ m $ étant alors égal à $ 5/3 $.


L'expression (3) démontre que le temps de concentration d'une surface ruisselante n'est pas constant et dépend de l'intensité de pluie reçue (et donc, implicitement, du débit à l'exutoire). Comme le supposait Mulvany, il dépend bien de la surface (par l'intermédiaire de $ L $ et donc de la forme) et de la pente du bassin.

Au demeurant, les hypothèses de constance et d'uniformité de pluie, comme, d'ailleurs, d'homogénéité spatiale de l'occupation des sols ou de la distribution des pentes des voies d'écoulement, ne sont que très rarement vérifiées en pratique. Elles ne se rencontrent que dans les cas de surfaces planes, de faibles superficies et donc de faibles temps de concentration, comme des toitures ou des portions de voiries (autoroutes, pistes d'aéroports, etc.). Dès que la géométrie des voies d'écoulement se complique, le traitement analytique mécaniste du temps de concentration s'avère inextricable même en admettant des hypothèses très simples quant à la structure de la pluie et des surfaces réceptrices. Aussi est-il courant de remplacer, dans la relation (2) le coefficient $ C $ et l'intensité $ i(t_c) $ par leurs valeurs moyennes sur le temps $ t_c $ et la surface $ A $. Ce que faisant, on suppose implicitement que la transformation de la pluie en ruissellement est de type linéaire, hypothèse au demeurant non vérifiée au regard des mécanismes élémentaires de la transformation (écoulements transitoires).

De même, s'agissant d'une méthode d'estimation des débits possibles à partir des précipitations variables aléatoires, il est courant d'utiliser l'hypothèse selon laquelle le débit de pointe aurait la même période de retour $ T $ que celle de l'intensité de pluie qui le provoque. La formule rationnelle s'écrit alors :


$ Q_p(T) = k_1.C.i(t_c,T).A \quad (6) $


Cette hypothèse n'est strictement valide que dans le cas d'une relation purement déterministe. Or, dans la relation (6), le coefficient de ruissellement $ C $ (ou coefficient de rendement de la pluie, ou fonction de production), dépend entre autres de l'état d'humidité des surfaces réceptrices, c'est-à-dire de l'historique des précipitations antérieures. Le coefficient $ C $ est donc, sensu stricto, une variable à caractère aléatoire, et ceci d'autant plus que le bassin versant est moins urbanisé. L'usage de la formule rationnelle dans les cas de bassins versants naturels ou ruraux est donc tout à fait critiquable, même s'il demeure courant. Ainsi, afin de faire face aux imperfections évidentes de la méthode, de nombreux ingénieurs et chercheurs en ont proposé des adaptations plus ou moins élaborées et d'un emploi délicat hors de leurs domaines expérimentaux. La forme générale de ces adaptations répond à :


$ Q_p(T') = k_2.\overline{C}(i,I).\overline{i_M}(t_c,T).A' \quad (7) $


Avec :

  • $ I $ : pente moyenne ou indice de pente ;
  • $ A' $ : surface efficace (analogue à une surface active), inférieure à la surface totale $ A $ du bassin versant ;
  • $ \overline{C}(i,I) $ : coefficient moyen de ruissellement ;
  • $ \overline{i_M}(t_c,T) $ : pluie maximale moyenne de période de retour $ T $ sur la durée $ t_c $.

D'un point de vue mécaniste, la formule rationnelle regardée comme une application particulière du modèle d'onde cinématique peut être considérée comme un modèle de transfert des ondes de crue sans amortissement. Sous l'hypothèse de la linéarité de la transformation des pluies en ruissellement sur les surfaces réceptrices, elle donne lieu au modèle dit des courbes isochrones, ou méthode rationnelle généralisée.

Cependant, l'hypothèse d'un transfert de l'écoulement sans amortissement doit conduire, toutes proportions gardées, à une surestimation des débits maximaux. Cette question n'avait pas échappé, en particulier, à l'école italienne d'hydrologie urbaine, qui proposa dans les années 1930 de remplacer le concept de temps de concentration par celui de "temps d'envahissement" des voies d'écoulement (voir Supino). Ce temps correspond au nécessaire remplissage de ces voies pour la production du débit maximal à l'exutoire. Il est donc sensiblement plus long que le classique temps de concentration de la formule rationnelle et, par le jeu de la décroissance des intensités de pluie avec la durée, correspond donc, pour une période de retour donnée, à des débits de pointe plus faibles. La méthode du temps d'envahissement, bien que plus proche de la réalité, ne semble pas avoir connu de succès en dehors de l'Italie. En 1941, Albert Caquot réalisa un compromis entre cette méthode et la classique méthode rationnelle et proposa un modèle encore très populaire en France pour le calcul des réseaux simples d'assainissement pluvial. Voir Caquot (méthode de) (HU).

Estimation des variables

Quatre variables apparaissent dans la relation (2) qu'il convient de quantifier dans un cas particulier donné. La surface $ A $ ne pose théoriquement pas de problème dans le cas d'un bassin versant strictement homogène au regard de l'occupation des surfaces et de la distribution des pentes d'écoulement. Dans les cas contraires, des effets dits "partiels" peuvent conduire à retenir, comme dans la relation (5), une surface réduite $ A' $. De même, l'intensité moyenne maximale pour une durée donnée, peut être estimée par les classiques courbes Intensité-durée-fréquence. Par contre, les estimations de $ C $ et de $ t_c $ sont beaucoup plus délicates, en particulier en l'absence d'observations.

Estimation de C

Pour le coefficient $ C $, diverses approches sont possibles au stade des projets d'ouvrage, comme :

  • Application de valeurs forfaitaires traduisant le type majoritaire d'occupation des sols, par exemple selon le tableau de la figure 1 :


Figure 1 : Exemple d'ordre de grandeur de valeurs de C.


  • Valeurs moyennes pondérées par les surfaces respectives ($ A_i $) des divers types d'occupations des sols ($ C_i $) :


$ C = \frac{\sum_i {C_i.A_i}}{\sum_i {A_i}} \quad (8) $


  • Ajustements empiriques à partir d'observations sur des bassins expérimentaux, par exemple :


$ C = a + b.C_{imp} + c.I\quad (9) $


ou


$ C = C_{imp}^a.I^b.t_c^c\quad (10) $


Avec :

  • $ C_{imp} $ : coefficient d'imperméabilisation ;
  • $ I $ : pente moyenne du bassin versant ;
  • $ t_c $ : temps de concentration ;
  • $ a, b, c $ : coefficients numériques.

Ces formules ne peuvent être utilisées sans discernement car elles peuvent sous-estimer les coefficients de ruissellement des pluies peu fréquentes utilisées dans les projets d'ouvrages. Voir Coefficient de ruissellement.

Estimation du temps de concentration

Pour le temps de concentration, l'estimation est tout aussi délicate. Un grand nombre de formules ont été proposées, en général dans les cas de petits bassins versants naturels ou ruraux (voir Temps de concentration). Beaucoup sont mal adaptées aux bassins versants urbanisés. Pour ces derniers, en effet, les vitesses des ruissellement superficiel sont plus élevées, de même que la densité du réseau de collecte artificiel (gouttière, caniveaux, égouts, etc.).

Limites de la formule rationnelle

Les hypothèses de linéarité et les difficultés d'évaluation des variables limitent nécessairement le domaine d'utilisation de la formule rationnelle. En premier lieu, sous le forme de l'équation (7), elle n'est applicable qu'à des bassins urbanisés dans lesquels le rôle des surfaces imperméabilisées sur les ruissellements est prépondérant. En outre, la non prise en compte de l'amortissement dans le transfert des écoulements limite sa validité à des petits bassins versants disposant de systèmes de collecte ramifiés, sans ouvrage de stockage temporaire et suffisamment pentus pour limiter les phénomènes d'influence aval. Encore très utilisée dans les pays anglo-saxons, son emploi reste cependant limité à des bassins versants dont la surface est inférieure à quelques dizaines d'hectares.


Bibiliographie :

  • Chow, V.T. (1959) : Open Channel Hydraulics ; Ed. Mc Graw Hill ; New-York.
  • Dooge, J.C.I. (1974) The development of hydrological concepts in Britain and Ireland between 1674 and 1874 ; Hydrological Sciences Journal, 19:3, 279-302, DOI: 10.1080/02626667409493917 ; téléchargeable sur https://doi.org/10.1080/02626667409493917
  • Mulvany, T. (1851) : On the use of self registering rain and flood gauges in making observations of the relation of rainfall and flood discharges in given catchment ; Trans. Inst. cio, Engrs. Ire, 4, 18-33.RODD
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