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Wikibardig:GEMAPI : Méthode d'évaluation rapide et d'atténuation potentielle des effets environnementaux dus à des actions d'aménagement en zone riveraine

De Wikhydro

Sommaire


Introduction

Un territoire éligible à la GEMAPI, constitué d’un ensemble de milieux aquatiques et forestiers rivulaires, est source d’une profusion de vie spécifique au cours d’eau concerné. Or, les cours d’eau sont depuis longtemps exploités et aménagés par l’homme. Les aménagements lourds impliquant du génie civil, des digues notamment, ont été généralisés pour lutter contre les inondations, valoriser les terres pour l’agriculture, rendre les cours d’eau navigables… Ces nombreux travaux ont naturellement des effets sur les caractéristiques physiques, hydro-géomorphologiques (hauteurs d’eau, vitesses…) et biologiques des milieux : connexions biologiques locales longitudinales, intégrité dendrologique …. Ils ont par conséquent des effets sur le milieu vivant. Afin de prendre en compte et limiter ces effets, de nouvelles approches ont été développées, notamment la prise en compte de l’hydro-morphologie dans les décisions d’aménagement et l’inscription de la notion de continuité écologique dans les textes de la Directive Cadre européenne sur l’Eau. Les méthodes ACB (Analyse Coûts-Bénéfices) et AMC (Analyse Multi-Critères) sont toutefois essentiellement anthropocentrées et considèrent peu l’écologie du cours d’eau lors d’un futur aménagement ou d’une opération de maintenance.

Il est donc pertinent de définir une méthode qui permette de faire le meilleur choix possible vis-à-vis des enjeux tant anthropiques qu’environnementaux. En prenant en compte une évaluation détaillée des effets produits sur le milieu vivant par les aménagements projetés et en cherchant à les minimiser. Cette méthode a pour avantage d’aider à la comparaison de scénarios d’aménagements de cours d’eau dans le cadre d’application de la loi GEMAPI.

Cette page présente l’approche développée et appliquée pour l’aménagement d’un cours d’eau torrentiel sur la commune de La Faurie (05), dans le bassin versant du Buëch.

Méthode développée

La figure ci dessous décrit les étapes de la méthode permettant l’évaluation des effets sur le milieu vivant d’aménagements projetés. La méthode s’organise en 4 grandes phases décrites dans les paragraphes suivants. Celles-ci sont composées d’une ou plusieurs étapes indiquées sur la figure par des numéros.

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Illustration de la méthode avec les étapes permettant l’évaluation des effets d’aménagements projetés – les numéros indiquent les différentes étapes – la méthode permet l’évaluation des scénarios initiaux (flèches rouges) et des scénarios modifiés par des mesures d’amélioration (flèches vertes)

Évaluation et classification de « l’écosystème Gemapien »

Cette phase (Étape 1) repose sur l’analyse de documents. Nous avons utilisé les résultats de différentes recherches (Bensettiti et al (2012) ; Carnino et al (2010) ; Gayet et al (2016) ; Viry (2013)) pour identifier les effets des aménagements en projet sur, d’une part, le milieu aquatique et, d’autre part, le milieu forestier lié à une zone riparienne. Ces effets découlent des aménagements eux-mêmes, mais aussi de potentielles futures activités humaines, comme par exemple les activités récréatives (canoé kayak, pêche, VTT…).

Ces effets sont traduits sous la forme d’indices de deux types, physiques, hydro-géomorphologiques (température, lumière…) et biologiques (effets d’éclusées, évolution de la strate arbustive…). 50 indices ont été produits : 35 concernant le milieu aquatique (22 effets physiques et hydro-géomorphologiques et 13 effets biologiques) et 15 le milieu forestier (4 effets physiques et hydro-géomorphologiques et 11 effets biologiques). Ces indices décrivent de manière générique l’ensemble des caractéristiques hydro-géomorphologiques et biologiques susceptibles d’être impactées par un scénario d’aménagement. Une définition et une échelle de notation avec des jalons de (-10 : forte diminution, -5, 0 : sans impact, +5, +10 : forte augmentation) sont fournies pour l’évaluation des indices. Par exemple, la restauration d’une digue de protection dotée d’un « perré » côté rivière a pour effet la coupe de la végétation arbustive qui y avait poussé et qui bordait le cours d’eau : il y aura par conséquent une forte augmentation de la lumière et de la température dans les zones précédemment à l’ombre. Les indices « température » et « lumière » pour le milieu aquatique sont alors notés +10 : forte augmentation. Les indices sont à renseigner sur trois temporalités : Très Courte (2 ans), Courte (8-10 ans utilisation non montrée dans cette page) et Moyenne (15-20 ans) soit, in fine, 150 indices à compléter pour chaque scénario d’aménagement. Si toutefois l’impact du scénario est inconnu, alors le score de -10 sera affecté. Nous avons validé ces indices auprès de quatre experts seniors spécialisés dans les ouvrages hydrauliques, l’aide à la décision ou l’écologie.

Ces indices ont été évalués sur un tronçon de digue qui doit être aménagé dans la commune de la Faurie (05). Trois scénarios ont été renseignés le premier propose la rénovation de la digue de façon identique (sans strate arbustive), le second suggère un arasement partiel de la digue avec un enrobement empierré non joint rempli d’arbustes et le tiers supérieur planté d’arbustes et le dernier présente une solution d’élargissement du lit avec la mise en place d’une banquette sur l’arrière. Deux séances de notation regroupant des experts en hydro-géomorphologie, écologie, génie civil ou aide à la décision ont été menées selon une approche consensuelle. La Figure ci - dessous présente un exemple de résultats : l’évaluation des 50 indices, avec une projection considérant le temps court. Sur cette figure, le scénario 1 a été affecté d’une note de -10 pour l’indice n°28 correspondant à une forte diminution des connexions biologiques locales latérales, due à l’aménagement de berges. À l’inverse, le scénario 3 a été noté +10 pour l’indice n°16 correspondant à un fort « élargissement et déchenalisation » du lit.

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Représentation des notations consensuelles des effets, physiques, hydro-géomorphologiques et biologiques permettant l’évaluation de scénario

Les indices développés peuvent s’appliquer a priori à toute rivière torrentielle, et avec des adaptations à des cours d’eau de plaine.

Évaluation des effets du scénario préféré sur les espèces

Cette phase (Étape 2) vise à définir les effets des aménagements sur le milieu « vivant » à partir des indices évalués dans l’Étape 1.

Une sélection des espèces animales et végétales, aquatiques et terrestres, est tout d’abord réalisée. En effet, au vu du très grand nombre d’espèces référencées sur un tronçon (921 pour le seul secteur de la Faurie !), un choix doit être établi. Le mode de sélection met l'accent sur les espèces les plus sensibles à l’impact d’un aménagement, « remarquables » ou « repères » peuplant la zone touchée par les travaux. Ce choix établi par le gestionnaire, les agences ou syndicats de bassins, doit représenter des espèces vivant dans les milieux aquatique et terrestre. Elles sont classées en catégories (liste non fermée) comme les poissons, les crustacés, les insectes, les mammifères, les espèces végétales. Ainsi, sur la zone de la Faurie, ont été sélectionnés des poissons (Blageon, Chabot), des crustacés (Écrevisse à pieds blancs), des mammifères (Castor d’Eurasie, Petit Rhinolophe, Petit Murin), des oiseaux (Martin Pécheur d’Europe, Chevalier Cul Blanc, Petit Gravelot), des insectes (Agrion de Mercure, Rosalie des Alpes, Apollon), des espèces végétales et / ou des habitats (Rivières Alpines avec végétation ripicole ligneuse, Forêts à Alnus Glutinosa et Fraxinus Excelsior).


Pour chaque scénario, les effets sur les espèces et les habitats sont déterminés pour les indices physiques, hydro-géomorphologiques et biologiques pertinents (espèces aquatiques/terrestres) dont l’évaluation est différente de zéro aux temps court, moyen ou longs. Ces effets sont évalués échelle de -10 à +10 à dire d’expert, en utilisant les recommandations pour chaque espèce, à partir des fiches issues des cahiers d’habitats Natura 2000 (tomes 1, 3, 6, 7,8) ou les fiches « Corine Biotopes » classées 2, 3, 4, 6, 8. Par exemple, une des recommandations, dans la fiche Natura 2000, pour la Rosalie des Alpes est de conserver du bois mort en forêt. La présence de bois mort est reliée à l’indice biologique « Cycle de la matière / ratio volume mort /volume total ». Ainsi si cet indice est noté à -10 (forte diminution du bois mort), l’effet sur la Rosalie sera noté -10 (fort impact négatif).

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Représentation des notations consensuelles des effets sur le milieu « vivant » permettant l’évaluation de scénario

Évaluation des scénarios et décision finale du choix d’aménagement

Le but de la dernière phase (étapes 3 à 10 de la première figure) a pour objectif, premièrement, d’évaluer les différents scénarios et de prendre la décision finale pour les travaux de développement. Le scénario préféré est celui qui a l'impact le plus positif (ou du moins le moins négatif) sur les espèces et habitats sélectionnés à moyen terme.

Deux situations peuvent être rencontrées:

  • si, après l'étape 4, les effets potentiels du « scénario préféré » ne semblent pas significatifs ou favorables pour l'écosystème, alors le processus s'arrête et le scénario préféré est choisi (étape 5 - flèches rouges sur la figure);
  • sinon, des mesures d'amélioration doivent être proposées (introduction de fascines, construction d'une passe à poissons, plantation de bandes tampons végétales, etc.) pour valoriser les scénarios. Une nouvelle boucle dans la méthode est implémentée (flèches vertes sur la première figure - étapes 6 à 10), qui prend en compte ces améliorations. Les nouveaux scores des indicateurs sont calculés (étape 8-9) et les scénarios sont à nouveau comparés. Le processus s'arrête après une ou plusieurs boucles, lorsque le meilleur scénario modifié, considéré comme acceptable, est choisi (étape 10).

Par exemple: si un scénario prévoit le nivellement complet d'une digue, alors l'indicateur « ruissellement de la zone agricole » pour le « très court terme » sera évalué à -10 pour le milieu aquatique. Ce ruissellement entraînera un effet très négatif sur les poissons et les crustacés. Par conséquent, ces indicateurs pour le « très court terme » seront cités -10 pour les poissons et les crustacés. Cependant, une mesure d'amélioration peut être introduite dans le scénario en ajoutant par exemples des fascines ou en plantant une bande tampon qui limitera les polluants agricoles et les apports d'érosion. Cela permettra de changer les scores des indicateurs pour les poissons et les crustacés de -10 à 0.

Enfin, l'équipe SMIGIBA a choisi le scénario 3. Les scores obtenus avec ce scénario étant favorables, aucune mesure d'amélioration n'a été proposée (cycle en vert sur la figure 1). Une nouvelle évaluation du territoire impacté sera réalisée après 2 ans pour vérifier nos résultats et les ajuster si nécessaire, par des mesures d'amélioration de scénarios. De même, ce suivi sera poursuivi en comparant les valeurs attendues et réelles obtenues in situ après 8-10 et 15-20 ans, en affinant les scores attribués aux indicateurs à chaque phase temporelle. Cela améliorera la prévision des impacts à long terme de ces développements. En cas de différence significative entre les valeurs prévues et réelles, le scénario sera reconsidéré afin de réduire les impacts générés par de futurs travaux similaires.

Conclusion

Tous les gestionnaires de bassin sont confrontés à la difficulté de choisir entre plusieurs alternatives de scénario d’aménagement. La méthodologie proposée dans cet article vise à recenser et à évaluer de manière objective, les effets sur le biotope pouvant être induits par un futur aménagement et idéalement à réduire les effets négatifs. Les zones ripariennes introduisent des problématiques spécifiques car elles peuvent être touchées directement par l’aménagement (ex : coupe de la ripisylve), mais cet impact peut également générer des changements pour la vie aquatique (plus de lumière dans le cours d’eau puisque les arbres ont été coupés).

Les valeurs des indices que nous avons obtenues sont à considérer comme des indicateurs de tendance, et non comme une note absolue des effets. Il faut garder à l’esprit que les résultats et analyses de cette méthode ne peuvent pas remplacer des études scientifiques particulières in situ.

Cette méthode appliquée sur le bassin versant du Buëch peut se décliner sur d’autres vallées, à minima de montagne. Elle est également susceptible d’être utilisée dans le cas d’actions de maintenance d’ampleur significative.

Pour conclure, on peut espérer que cette meilleure connaissance induise une meilleure conservation de l’état des écosystèmes, dans le cadre d’un aménagement d’un cours d’eau, préservant ainsi les deux pans de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations.

Partenariats :

Les développements scientifiques ont été réalisés dans le cadre du partenariat « API-GEMAPI » entre le SMIGIBA, la Direction Territoriale Méditerranée du Cerema et Inrae.

Contact :

Inrae Unité de Recherche RECOVER - 3275 route de Cézanne - CS 40061 – 13182 Aix en Provence Cedex 05:

  • CURT Corinne: corinne.curt@inrae.fr

SMIGIBA – 10 rue Léon Cornand - 05400 Veynes :

  • GOURHAND Antoine: agourhand.smigiba@orange.fr

Références

Bensettiti F., Puissauve R., Lepareur F., Touroult J., Maciejewski L. (2012). Évaluation de l’état de conservation des habitats et espèces d’intérêt communautaire. Guide méthodologique, Version 1. Muséum national d’histoire naturelle, Paris.

Carnino N., Touroult J., (2010). Évaluation de l’état de conservation des habitats forestiers à l’échelle d’un site Natura 2000: du concept vers un outil pour le gestionnaire. Muséum national d’histoire naturelle, Paris.

Gayet G., Baptist F., Baraille L., Caessteker P., Clément J.C., Gaillard J., Gaucherand S.,Isselin-Nondedeu F., Poinsot C., Quétier F. (2016). Guide de la méthode nationale d’évaluation des fonctions des zones humides-version 1.0. Onema, collection Guides et protocoles.

Viry D., (2013). État de conservation des habitats humides et aquatiques d’intérêt communautaire. Méthode d’évaluation à l’échelle du site Guide d’application. Version 1. Muséum national d’histoire naturelle, Paris.


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Pour plus d'information sur l'auteur : INRAE - UMR RECOVER - Equipe G2DR


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