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La ville et son assainissement (HU)

De Wikhydro

Traduction anglaise : the city and its sanitation

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Dernière mise à jour : 10/02/2021


Sommaire

Assainissement des villes : De quoi parle-t-on ?

Au sens strict, assainissement signifie « rendre sain ». De façon évidente les villes, lieux où se concentrent population, activités, pouvoir politique et économique, … se doivent d’être saines pour s’épanouir. Dans ce sens le mot est très générique. Il concerne la qualité de l’eau, la qualité de l’air, la qualité des sols et, beaucoup plus généralement, tout ce qui concerne la sécurité et la santé des populations.


Dans le sens beaucoup plus restrictif où il est couramment utilisé, l’assainissement concerne exclusivement le volet technique de la gestion des eaux usées ainsi que celle des eaux pluviales.

Mais cette deuxième définition nous semble aujourd’hui trop limitée. Il apparaît en effet que la gestion des eaux pluviales et usées est fortement liée à de nombreuses autres questions qui touchent également au confort et à la santé : amélioration de la qualité des eaux superficielles et souterraines ; gestion des déchets ; prévention contre les maladies émergentes ; contrôle de la qualité de l’air ou des sols ; lutte contre les effets du dérèglement climatique, etc..

Cette question de la définition de ce qu’est l’assainissement est importante. En effet les limites que l’on fixe au domaine de l’assainissement conditionnent les solutions techniques et organisationnelles que l’on peut envisager pour répondre aux enjeux. Il ne s’agit pas de considérer que l’assainissement des villes doit prendre à sa charge l’ensemble des problèmes urbains. « Tout étant dans tout et réciproquement », l’ensemble des techniques urbaines pourraient de la même façon revendiquer le monopole de la gestion de la ville. Plus simplement, il s’agit de bien redéfinir l’ensemble des enjeux auxquels l’assainissement des villes doit répondre de façon à envisager d’autres solutions que l’évacuation au plus vite hors de la ville de toutes les eaux sales.

Cette vision élargie des solutions possibles ne peut s’envisager sans réfléchir en même temps aux conséquences que ces solutions peuvent avoir sur la ville, et de façon plus générale aux liens que doit entretenir la ville avec son assainissement.

Éléments d’historique

Les premières civilisations

La plupart des villes se sont installés à proximité immédiate de cours d’eau (voir « Eau et Ville »). Parmi les multiples raisons qui justifient ce choix figure la capacité de l’eau à évacuer les déchets. D’un certain point de vue le réseau hydrographique constituait le réseau primordial qui permettait à la fois le transport des biens et des personnes, l’alimentation en eau ou en énergie et l’évacuation des déchets.

Le développement des villes a cependant nécessité la mise en œuvre d’autres techniques. De même que les problèmes posés par l'évacuation des eaux urbaines (eaux usées et eaux pluviales) sont aussi vieux que les villes, des solutions ont été trouvées à toutes les époques et par toutes les civilisations (Manéglier, 1991).

  • Sur le site de Mohenjo-Daro, au nord-ouest de l’Inde, qui est représentative de l'une des premières civilisations urbaines apparues sur notre planète, les archéologues ont dégagé des canalisations conduisant à des bassins, dont tout laisse à penser qu'ils servaient à stocker les eaux de pluie ;
  • A Fostat en Egypte des fouilles ont permis de découvrir des fosses d'aisance dans les maisons datant des premiers siècles de notre ère. Leur contenu était probablement vendu aux maraichers comme fumier.
  • à Byzance, les habitations étaient munies de latrines et dans la capitale, les égouts faisaient l'objet d'une réglementation leur imposant d'aboutir à la mer ;
  • les rues de la ville maya de Palenque étaient équipées d'un égout et d'un caniveau d'écoulement ;
  • au temps de la monarchie à Rome, Tarquin l'Ancien fit construire, deux siècles avant le premier aqueduc, le « Cloaca Maxima » dont la fonction première était de drainer la vallée marécageuse du Tibre ; au fil du temps, ce dispositif de drainage s’est transformé en grand égout, usage pour lequel il est demeuré célèbre ; etc..


Figure 2 : Exutoire du Cloaca Maxima à Rome ; Crédit photo : GRAIE


Dans beaucoup de villes antiques, et sur tous les continents, on trouve donc tout ou partie d'un système d'évacuation des eaux urbaines qui sera systématisé plus tard dans les villes occidentales : un réseau d'égouts fonctionnant en gravitaire.

Nous nous contenterons dans cet article d’expliquer brièvement comment ces systèmes se sont progressivement constitués dans les villes européennes et principalement en France.

L’Europe et la France du Moyen-âge au XVIIIème siècle


En Europe, après la chute de l’empire romain, les systèmes d'évacuation des eaux sales mis au point quelques siècles plus tôt ne sont pas oubliés ; plus simplement, ils ne sont pas utilisés car les villes n'ont pas les ressources nécessaires pour les entretenir (Guillerme, 1983). En revanche certaines abbayes (Cluny par exemple) sont équipées de réseaux d'égouts très développés. Il est également important de noter que, comme les villes ne disposent pas non plus d’un accès simple à l’eau, les volumes rejetés par temps sec sont très faibles. C'est ce que Manéglier (1991), appelle "la ville sèche".

A la campagne ou dans les petites villes, les techniques les plus utilisées sont les puits perdus en terrain perméable ou les puits maçonnés ailleurs. Dans les grandes villes, et en particulier à Paris, la plupart des maisons n'ont pas de fosse d'aisance et la technique utilisée est celle du "tout à la rue". Les petits ruisseaux servent d'égouts à ciel ouvert aussi bien pour les eaux usées que pour les eaux pluviales.

A partir du XIIème siècle et plus encore du XIIIème, les villes sont de plus en plus exposées aux excréments, aux ordures et aux déchets animaux qui s'accumulent, qui produisent des odeurs nauséabondes et peuvent même entraver le trafic des charrettes et chariots divers. Les rejets humains sont à cette époque loin d'être considérés comme inutiles. Une partie des excréments est récupérée dans les voiries pour être valorisée sous forme d'engrais (la poudrette). L'urine, en s'infiltrant dans le sol, dépose sur les parois des caves l'ammoniaque qu'elle contient sous forme de salpêtre (le nitre) , lequel est récupéré pour fabriquer la poudre à canon.

Des règlements sont cependant édictés pour éviter de jeter les ordures et les urines par la fenêtre, pour paver les rues et les nettoyer. Les chroniques de Saint-Denis évoquent le roi Philippe Auguste à sa fenêtre du Louvre, incommodé soudain par la boue et les ordures remués pas les charrettes en train de passer dans la rue; A la suite de cet incident, le roi, commente la chronique, convoqua les prévôts et les bourgeois de Paris pour que les voies de la Cité soient pavées. Suite à la grande peste de 1348 est publié à Paris, en 1350, le premier règlement de police pour l'assainissement de la ville. D'autres textes suivront en 1388, 1506, 1531, 1577. En fait ces actions commencent à être réellement efficaces en 1667 avec le lieutenant civil d'Aubrey et le lieutenant de police La Reynie qui imposent la construction de fosses d'aisance.

Des tranchées sont aménagées au milieu des axes majeurs de circulation. Ces caniveaux, au centre des rues pavées et sans trottoirs, servent de rigoles d'écoulement pour évacuer les eaux de pluies, les eaux ménagères et les excréments déversés par les habitants. Ainsi les gens du peuple qui croisent des aristocrates ou des gens respectables, doivent se décaler vers le cloaque du centre tandis que ces derniers continuent à « tenir le haut du pavé ».

Figure 3 : Les rues reconstituées de notre époque ont la même structure que les rues moyenâgeuses, mais elles sont beaucoup plus propres ; crédit photo : Bernard Chocat .

Le problème de l’assainissement est donc étroitement lié à celui du nettoyage des voiries. Cela concerne l’enlèvement des déchets, des boues et fumiers, dus aux déjections animales et humaines qui s’accumulent en tas dans les rues. Ces boues et fumiers exhalent des miasmes putrides, très nuisibles au confort et à la santé. Les immondices sont ramassées par des « éboueurs » ainsi nommés parce qu'ils nettoient les rues de leurs boues et autres déchets.

Parallèlement, au bas Moyen-âge, on assiste à une reprise du système de drainage hérité des pratiques de l'Antiquité (Guillerme, 1983). Mais c'est surtout à partir des XIVème et XVème siècles que l'extension du réseau est attestée dans des documents concernant les grandes villes de Province. Paris est plutôt en retard, même si des travaux sont entrepris sous les règnes de Philippe Auguste, Louis IX et Philippe le Bel. Un grand collecteur est aménagé en 1356 et les réseaux antiques de la rive droite sont restaurés en 1412 Cette mise en œuvre de réseaux va beaucoup s'amplifier dans les siècles suivants.

Une époque charnière : la fin du XVIIIème et le débit du XIXème siècles


Des tâtonnements imposées par la nécessité

Dès le milieu du XVIIIème siècle, une réflexion est engagée pour rendre les villes plus saines en utilisant de nouvelles techniques.

Par exemple, Barles (1993) cite Patte, qui dès 1769 propose (voir figure 4) une approche de la gestion de l'eau urbaine que l’on qualifierait aujourd’hui de systémique :

  • paver les rues ;
  • refuser l'exhaussement urbain ;
  • recueillir l'eau de pluie sur les toits pour l'alimentation en eau potable ;
  • implanter des « aqueducs » sous les rues « de 6 pieds de large, 7 pieds de haut, à 5 pieds sous le pavé », reliés aux latrines qui seront installées en rez-de-chaussée, recueillant également les eaux de nettoyage des chaussées.


Figure 4 : Profil type d'une rue d'après Patte ; Source : Deutsch et Gautheron (2013).

C'est également à cette époque que l'on invente la chasse d'eau, les puits d'accès, le dégrillage à la sortie du réseau, etc.. Le macadam est inventé en Écosse, bien sur par Mac Adam, entre 1820 et 1830, et Navier est chargé d'une mission pour évaluer l'intérêt du procédé. Il note l'importance qu'il y a à empêcher l'eau de pénétrer sous la structure : « tout se réduit donc à rendre et à maintenir sec le fond sur lequel la route est établie. (...). Pour y parvenir, (...) les effets des eaux pluviales doivent (ensuite) être prévenus, en recouvrant le fond de matériaux choisis, préparés et employés de manière à devenir parfaitement imperméables à l'eau. » (Navier, cité par Guillerme, 1983).

Malgré tout, les techniques n'évoluent que très lentement sous le poids de la nécessité. Les voiries (places où l'on fait sécher les déchets apportés par les éboueurs et les vidangeurs pour fabriquer la poudrette) ne sont pas contestées jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Elles commencent à poser des problèmes au début du XIXe siècle mais ne seront cependant définitivement fermées qu’à la fin de celui-ci (Bondy en 1900).

Cette évolution lente des mentalités est principalement due à deux causes :

  • l'augmentation de la densité de la population dans les grandes villes (par exemple, à Paris : 180 hab/ha en 1789, 210 en 1818, 280 en 1835),
  • le besoin de confort qui entraîne une augmentation des volumes d'eaux usées rejetées et de leur dilution ; l'usage des cabinets à chasse d'eau (inventés dès 1596 par l'anglais John Harington) commence en effet à se répandre de même que les salles de bain.

Il faut trouver une solution pour les eaux excédentaires. A Paris, les égouts entrent dans leur "histoire moderne" en 1806, date à laquelle le service des égouts de la ville de Paris est confié aux ingénieurs des ponts et chaussées (Barles, 2013). Les premiers égouts modernes se développent ainsi de 1800 à 1850. Curieusement ils sont essentiellement destinés à assainir les rues et non à évacuer les eaux d'origine domestique. On envisage d'utiliser des « fontaines artésiennes négatives » pour injecter les eaux viciées à de très grandes profondeurs (« utiliser le sous-sol pour ne pas corrompre le sol »). Cette technique est utilisée à Bondy de 1832 à 1842. Cette solution est cependant progressivement abandonnée car contradictoire avec l'émergence du mouvement hygiéniste qui allient à cette époque des médecins et des ingénieurs.

Le mouvement hygiéniste et le développement du concept de réseau

C’est au début du XIXème siècle que se structure réellement le concept de réseau. Il est dans un premier temps appliqué à l'hydrographie d'un bassin (Guillerme, 1988). Puis ce sont les hygiénistes du XIXème siècle qui étendent l’utilisation du mot à des organisations techniques permettant le transport de l’eau dans les villes en établissant une analogie entre la circulation du sang dans le corps humain et celle de l'eau dans la ville :

« Il faut lier ensemble ville et campagne par une vaste organisation tubulaire ayant deux divisions : l'une urbaine, l'autre rurale, chacune étant subdivisée en un système afférent ou artériel et en système efférent ou veineux, le tout actionné par un même cœur central. » (Ward, 1852).

Ce sont également les hygiénistes qui, suite aux grandes épidémies de choléra du début du XIXème siècle (l'épidémie de 1832 fait 18 402 morts à Paris, soit 1/43 de la population, celle de 1848 est moins meurtrière, mais marque encore davantage les esprits du fait de la répétition des crises), définissent les principes fondateurs du réseau d'assainissement moderne et imposent son usage : le système aura "pour base fondamentale la circulation incessante de l'eau qui entre pure en ville et le mouvement également continu des résidus qui doivent en sortir. Citernes et fosses ne sont que deux formes de la stagnation pestilentielle." (Ward, 1852).

Le premier réseau « moderne » d'assainissement est ainsi construit à Hambourg en 1843 lors de la reconstruction de la ville consécutivement à un incendie.

Par ailleurs, la ville, telle qu'elle se modèle à cette époque, ne se compose pas uniquement de quartiers miséreux dans lesquels s'entassent les laissés pour compte des débuts de la modernité. Elle est constituée aussi de parties où la bourgeoisie moderne commence à édifier sa conception de l'esthétique urbaine, qui trouvera en France son acmé avec le bouleversement haussmannien.

L'exaltation du propre, considéré comme une composante essentielle de la civilisation occidentale, fait partie de cette conception. Une de ses caractéristiques principales est la disparition de toute odeur et bien sûr de celle qui est la plus honnie, l'odeur de « la merde ».

Refus des odeurs, développement des épidémies, deux raisons très différentes et d'importance inégale d'un point de vue humain, vont toutes deux conduire à une réflexion sur la manière d'assainir les villes modernes. Pour la première fois, apparaît une doctrine en assainissement.

Elle va tirer sa consistance de la réponse aux deux besoins clairement exprimés, décrits ci-dessus :

  • faire disparaître l'odeur en faisant disparaître les origines de son développement, c'est à dire les fosses fixes et les charrettes des vidangeurs qui, déjà, devaient opérer de nuit (il en est resté la trace dans le règlement d’assainissement du département de la Seine jusqu’à la fin du XXème siècle !) ;
  • amener les eaux le plus loin et le plus rapidement possible hors des villes.

Le développement de la distribution d'eau dans les appartements par canalisation et l'augmentation subséquente de la consommation va ainsi s'accompagner du développement du tout à l'égout, qui trouve en France sa consécration dans un décret de la Ville de Paris de 1894.

Cette évolution ne se fait pas sans résistances si l'on se réfère à ce qu'écrivait en 1888 « Le Petit Journal » à la mort de Durand-Claye (l'un des chefs de file du mouvement hygiéniste français) en guise d'oraison funèbre : "Durand-Claye, l'ingénieur promoteur du tout-à-l'égout-et-à-la-Seine, est mort. On ne peut donc pas demander qu'on le fusille, mais, franchement, aux jours sombres des révolutions, la colère populaire a lynché des hommes qui n'étaient que de petits criminels à côté de ceux qui ont fait à Paris une semblable honte (...)" (Guerrand, 1983).

Transférer toutes les eaux d'un bassin versant urbain, de façon naturelle ou artificielle, vers un ou quelques exutoires bien choisis, est alors l'objectif explicite de l'assainissement. Le choix de l'assainissement collectif est une conséquence directe de l'adoption de cet objectif.

La généralisation de l'évacuation gravitaire de toutes les eaux par canalisations souterraines ne peut pas être considérée uniquement comme la mise en place d'un paradigme technique. Elle est aussi la prise de conscience que l'assainissement ne peut plus être laissé uniquement dans les mains des particuliers. Il faut procéder à une "collectivisation" de l'assainissement car les intérêts généraux sont en jeu.

Les raisons du succès et l’avènement des ingénieurs

Pour bien comprendre pourquoi le système va réussir à s'imposer, il est nécessaire de rappeler le contexte de cette époque. Le XIXe siècle est certes celui de l'hygiénisme, mais c'est aussi le siècle des droits de l'homme et du centralisme étatique (tous égaux devant la loi et devant la nature), du scientisme (la science et la technique peuvent tout résoudre), du colonialisme (les ressources du monde sont à la disposition des rares pays "développés"), et de la première révolution urbaine. C'est l'époque de l'embellissement des capitales européennes, en particulier celle du baron Haussman en France [Dupuy & Knaebel, 1982].

Ces éléments fournissent les moyens financiers, les moyens techniques et les justifications politico-philosophiques permettant de construire ces immenses et très onéreux substituts artificiels aux réseaux hydrographiques naturels que sont les réseaux d'assainissement.

La montée en puissance des "experts" est une autre caractéristique de cette évolution. L'assainissement était considéré jusqu'alors comme une activité commune à la charge de tout un chacun, même si les ingénieurs des Ponts et chaussées étaient en charge du réseau d'égouts de Paris depuis 1806. Deux types d'experts vont contribuer de plus en plus fortement à la constitution de la nouvelle doctrine technique. On trouve d'une part les médecins, dans le cadre du mouvement hygiéniste qui se développe à cette époque et qui va avoir une importance considérable sur l'urbanisme. On trouve d'autre part les ingénieurs, en particulier ceux de la ville de Paris avec à leur tête Belgrand, qui mettent au point les aspects techniques de la conception d'un réseau souterrain d'assainissement à la suite des Anglo-saxons.

D’autres aspects sont aussi l'aboutissement d'une réflexion qui court sur tout le siècle. La prise en compte des apports d'eau pluviale dans le calcul des ouvrages d'assainissement s'appuie initialement sur des données peu nombreuses. En France, ce sont les ingénieurs du corps des Ponts et chaussées, œuvrant pour la ville de Paris, qui proposent les premiers éléments hydrologiques de ce calcul. Ainsi, vers 1830, Dupuit propose de retenir une précipitation de 41 mm en une heure pour calculer les apports pluviaux aux égouts de Paris, sans que l'on connaisse d'ailleurs très bien les éléments justifiant ce choix.

En 1857, Belgrand, chargé de la réalisation de ces égouts, conclut à l'adéquation de la proposition de Dupuit à la suite, notamment, de l'orage du 21 mai 1857… Cependant, il transforme la "pluie de projet" de Dupuit en un apport spécifique de 42 L/s par hectare, incorporant ainsi dans la formulation la transformation de la pluie en débit par les bassins versants de la ville de Paris. Ces éléments de calcul, particulièrement peu explicites quant aux mécanismes hydrologiques qu'ils sont censés représenter, sont assez rapidement diffusés en province par les ingénieurs des corps techniques de l'état et ne tardent pas à se transformer en quasi-normes.


Figure 5 : Les plans statistiques permettent à Belgrand de suivre le développement du réseau d'égout de Paris ; l'appellation "plan statistique" est toujours curieusement utilisée aujoudr'hui ; Source : Deutsch et Gautheron (2013).

Un système doctrinal complet : théorie et cléricature, est ainsi constitué, qui va s'étendre sur toute la France. Il va perdurer pendant presque un siècle. Au demeurant, les progrès sont très lents. Ainsi, selon Daverton (1922), une étude réalisée vers 1911 sur 643 communes de plus de 6 000 habitants indique que 50% d’entre elles n’ont encore aucun système d’égout et que seulement 66 appliquent plus ou moins complètement la loi du « tout-à-l’égout » dont quatre seulement (Cannes, Levallois-Perret, Toulon et Trouville) utilisent le système séparatif.

Les premières réflexions sur l’épuration

Dès le début de la mise en place des réseaux on observe une dégradation de la qualité des milieux récepteurs qui se traduit d’ailleurs par une forte hostilité de certains milieux conservateurs (voir l’article du « petit journal » cité plus haut) au tout à l’égout. A l’objectif sanitaire s'ajoute donc, dès la fin du XIXème siècle, un souci de limiter la pollution résultant de ces rejets. Si l'on excepte les épandages agricoles existant à l'aval de quelques villes, dont Paris (zone d’épandage d’Achères), les premières stations d'épuration sont mises en service dans la région de Londres vers 1860 ainsi qu'en Écosse. Dans le même temps, des travaux sur l'épuration se développent dans plusieurs pays (Allemagne, Russie, France, etc.). Les premiers traitements utilisés sont physico-chimiques : décantation primaire avec adjonction de chaux, puis de chlorure ferrique. Les techniques anciennes d'épandage des eaux usées permettent de travailler sur le rôle épuratoire du sol, et permettent la mise au point des lits bactériens. Les premiers essais sur l'épuration par aération des eaux se traduisent cependant par des échecs, en particulier parce que les quantités d'air nécessaires sont trop importantes.

A partir de la fin du XIXème siècle : le triomphe des réseaux


Le développement du système unitaire

En France, la victoire des réseaux modernes d'assainissement est avalisée en 1894 par le vote de la loi sur le tout-à-l'égout à Paris. Rapidement le concept hygiéniste de l'assainissement est adopté partout et le réseau se généralise à l'ensemble de la France dès le début du XXe siècle.

Les premiers réseaux sont de type unitaire, les collecteurs évacuent les eaux usées de « temps sec » et occasionnellement le ruissellement pluvial. Ce système va donner satisfaction pendant une cinquantaine d'années, même si, dès le début du XXème siècle, la concentration des rejets urbains en un ou quelques points d'un cours d'eau pose problème car il est facile de constater que des parties entières de rivières dépérissent et sont condamnées. Les recherches sur l’épuration vont cependant commencer à porter leurs fruits.

Le développement des techniques d’épuration

En France, les premières stations d'épuration datent d'avant la première guerre mondiale (Vittel, Versailles). Elles sont principalement fondées sur la décantation primaire et les lits bactériens. D'importants travaux sur l'épuration biologique sont réalisés dans les années 1910 par des chercheurs du milieu médical, et notamment le Pr. Calmette, dans la région Lilloise. Mais c’est en Angleterre, en 1914, que Arden et Lockett découvrent qu'en mettant l'eau usée en contact avec la boue résultant d'expériences précédentes, on augmente considérablement la capacité de traitement : la technique des boues activées est née.


Figure 6 : Décanteurs secondaires et bassins d'aération de la première tranche de la station d'épuration d'Achères en 1941 ; Source : Deutsch et Gautheron (2013).

L’épuration ne figure cependant pas dans les priorités de l’époque et à la fin de la deuxième guerre mondiale, le nombre de stations d'épuration reste très limité, moins d'une dizaine en France, même si la ville de Paris a alors terminé la première tranche d'Achères depuis 1940. Celle-ci, d’une capacité de 200 000 m3/j utilise la technique des boues activées. L’évolution est ensuite un peu plus rapide : 50 stations en 1950 ; 350 en 1960, la plupart utilisant des lits bactériens. Ce n’est cependant qu’à partir de 1970 et la montée en puissance des agences financières de bassin (qui deviendront plus tard les Agences de l’eau), créées par la loi sur l'eau de 1964, qu’un parc important de stations d’épuration modernes va se développer.

La rationalisation du dimensionnement des ouvrages

La première moitié du XXème siècle est également marquée par des changements importants dans le calcul des apports pluviaux des bassins versants urbanisés. L'approche empirique de Dupuit et de Belgrand cède le pas à la méthode rationnelle. Cette méthode, mise en œuvre dès la fin du XIXème siècle dans les pays anglo-saxons, constitue la première ébauche d'une analyse mécaniste du fonctionnement des bassins versants. Elle introduit en particulier le concept de temps de concentration. Dès 1904, le professeur Talbot, de l'université de l'Illinois, imagine la première formulation des courbes intensité-durée-fréquence. En 1930, Koch propose l'utilisation de la méthode rationnelle en remplacement de la méthode de Belgrand.

Au début des années 1940, Caquot propose une adaptation de la méthode rationnelle rendant l'utilisation de cette dernière particulièrement simple. En 1941, dans un compte rendu à l'Académie des Sciences, il présente un exemple numérique de cette adaptation pour une période de retour décennale. En 1948, Grisollet publie une analyse statistique des données pluviographiques de la station de Paris-Montsouris qui avait été équipée d'un pluviographe à siphon dès 1873 (cette station a d'ailleurs constitué, jusque dans les années 1950, la seule référence française significative pour l'étude des précipitations de courte durée). Ces travaux mettent en évidence le fait que la pluie de projet de Dupuit, soit 41 mm en une heure, a une occurrence sensiblement décennale.

Finalement, en 1949, paraît la Circulaire générale 1333 relative à l'assainissement des agglomérations, qui formalise l'état des réflexions menées jusqu'alors. Dans son chapitre premier, ce document présente « la » formule de calcul des apports pluviaux décennaux parisiens issue, entre autres, des travaux de Caquot et de Grisollet (Ministères, 1949).

La Circulaire générale, si elle introduit explicitement la notion de défaillance de période de retour décennale, laisse également à l'appréciation des responsables de l'aménagement la possibilité de retenir une fréquence « mieux appropriée » aux risques encourus. En réalité, la faiblesse de la culture en hydrologie urbaine, le caractère réglementaire de la Circulaire générale ainsi que la notoriété ou l'autorité scientifique des inspirateurs et auteurs du document, vont conduire à l'application systématique de la période de retour décennale.

Le document réaffirme la suprématie de la solution « réseau ». Il se fait aussi le promoteur du système séparatif et du traitement des eaux usées dans des stations d'épuration biologiques.

Le système séparatif, proposé dès 1898 par la chambre syndicale des propriétés immobilières dans une étude intitulée « l'assainissement comparé de l'assainissement de Paris et des grandes villes d'Europe » (Badois et Bieber, 1898) consiste à utiliser deux systèmes distincts de collecte et de transport : l’un pour les eaux usées et le second pour les eaux pluviales.

L’espoir déçu du système séparatif

Trois arguments sont avancés pour promouvoir le système séparatif :

  • il faut traiter les eaux usées par une station d'épuration avant leur rejet dans le milieu naturel, et il n'est pas possible de traiter les eaux pluviales dont le volume peut atteindre des valeurs très importantes de façon complètement aléatoire ;
  • les eaux pluviales sont suffisamment propres pour être rejetées sans traitement, affirmation plus idéologique que scientifique, puisque leur pollution a été pointée dès la fin du XIXème siècle ;
  • Cette solution permet de diminuer les coûts du système d'assainissement ; en effet, d’une part, les débits d’eau usée sont faibles et peuvent se satisfaire de tuyaux de petites dimensions et d’autre part le rejet direct des eaux pluviales vers le milieu naturel peut se faire en de nombreux exutoires, soit par ruissellement superficiel, soit par des réseaux de petite extension.

Il y a cependant toujours assez loin de la théorie à la pratique. Lorsque ce système se développe ce n'est pas sous la forme que l'on vient d'évoquer, mais bel et bien dans une configuration où l'on retrouve deux canalisations, l’une recueillant les eaux pluviales (EP) et l’autre les eaux usées (EU), sous toutes les rues. Non seulement l'objectif de diminution des coûts n'est pas atteint, mais la séparation correcte des eaux apparaît très difficile. Aucun moyen pour le contrôle des branchements n'ayant été prévu, on observe une multiplication des mauvais branchements, les pétitionnaires se connectant au premier tuyau qu'ils rencontrent sous la chaussée. On trouve ainsi des branchements EP dans les canalisations EU, ce qui perturbe le bon fonctionnement des réseaux d’eaux usées (risque de saturation lors des pluies) ainsi que celui des stations d'épuration et des branchements EU dans les canalisations EP, ce qui entraîne une pollution permanente du milieu naturel.

La seconde moitié du XXème siècle : la remise en cause de certains des fondements de l'hygiénisme


La généralisation et l’amélioration des stations d’épuration

La première grande loi sur l’eau publiée en 1964 a créé les agences financières de bassin. Cette création marque deux avancées essentielles :

  • La nécessité de travailler par bassin versant ;
  • La mise en place du principe payeur-pollueur.

Le second point va donner aux collectivités et aux industriels à la fois l’impulsion et les moyens financiers pour développer des dispositifs de traitement efficaces, du moins pour la pollution carbonée.

Dans un premier temps le principe du pollueur-payeur n’est pas vraiment appliqué car il reste plus intéressant pour un pollueur de continuer à polluer que de payer des redevances. Cependant, poussée par une communication active des Agences financières de Bassin, la prise de conscience des effets de la pollution du milieu aquatique va progressivement se développer. Le nombre de stations d’épuration en service dans les collectivités va ainsi être multiplié par 250 entre 1950 et 2000 (voir Figure 3).


Figure 7 : Statistiques sur l'évolution du nombre de stations d'épuration en France.

A la fin du siècle, les stations d'épuration vont aussi croître en taille et en complexité avec l’évolution des besoins en performances requises par des réglementations de plus en plus exigeantes. Conçues à l'origine pour traiter la pollution carbonée, première cause de l’asphyxie des cours d'eau, elles vont progressivement prendre en charge la nitrification de l’azote réduit, puis la dénitrification pour éliminer les nitrates, ainsi que la déphosphatation. Pour atteindre ces objectifs, les temps de séjours de l’eau pour les procédés à boues activées passent ainsi de 2 heures à 24 heures.

Des techniques plus compactes voient le jour, permettant d'intégrer les stations d’épuration dans les environnements urbains denses, notamment avec les biofiltres. La recherche de performances plus élevées encore conduit à développer la filtration sur membranes.

Une autre évolution commence, liée à la prise de conscience de la valeur des eaux résiduaires urbaines comme ressources. Ainsi les stations d’épuration commencent à évoluer vers des centres de valorisation des ressources au service de l’économie circulaire.

Le concept hydraulique

Dans un domaine différent, à partir de la seconde moitié du XXème siècle la généralisation de l'automobile permet le développement de l'habitat individuel ainsi que celui de grandes zones commerciales ou d'activités à la périphérie des grandes villes.

L'imperméabilisation de surfaces considérables nécessite le développement des réseaux secondaires de collecte, prolongeant les réseaux existants, et ramenant les eaux pluviales ainsi collectées vers les centres des agglomérations du fait de la topographie et de la structure en étoile des réseaux anciens. Les débordements de réseaux deviennent plus fréquents et imposent la prise en compte d'un nouveau concept dans la gestion de l'assainissement. Ce dernier, que l'on peut qualifier d'hydraulique, consiste à préconiser le ralentissement des écoulements sur les surfaces urbanisées, afin de réduire l'importance des débits de pointe de ruissellement. En France, l'Instruction technique interministérielle de 1977 prend en compte ce concept en préconisant des analyses hydrauliques plus fines du fonctionnement des systèmes d'évacuation, et en proposant pour la première fois une alternative aux réseaux : les bassins de retenue (Ministères, 1977).


Figure 8 : La plupart des débordements de réseaux n'ont pas la puissance dévastatrice de certaines des inondations que nous avons connues ces dernières années, mais comme ils se produisent le plus souvent en centre ville, ils provoquent des dégâts matériels très importants ; crédit photo : Patrick Savary.

Cette réflexion est alimentée par la mise en place de programmes de recherche et le développement des logiciels de simulation hydraulique des systèmes d’assainissement. L’analyse ne porte plus uniquement sur des volumes ou des débits maxima. La gestion des flux en fonction du temps devient un paramètre essentiel dans la conception des systèmes d’assainissement, même si ceci implique de ralentir ou de stocker provisoirement l’eau provenant de certains bassins versants. De ce point de vue, le concept hydraulique s’oppose au concept hygiéniste qui réclamait une évacuation rapide et directe, sans stagnation.

Le concept environnementaliste

Ce concept hydraulique, bien que nouveau montre cependant ses limites. Ne prenant en compte que les aspects quantitatifs, il se trouve assez vite en décalage avec la montée en puissance de la prise de conscience environnementaliste. En tout état de cause il s'avère impuissant à résoudre seul les problèmes posés par la gestion urbaine de l'eau. Assez rapidement émerge alors un troisième concept qui donne une part importante au contrôle des rejets pollués et à la préservation de la qualité des milieux aquatiques : le concept environnementaliste.

« Les eaux cachées dans le ventre des villes se manifestent en surface de plus en plus fréquemment : les déversoirs d'orage des parties unitaires des réseaux d'évacuation rejettent dans les cours d'eau des flots pollués à la moindre pluie, voire de façon permanente ; les ruissellements pluviaux gonflés par l'imperméabilisation inondent les points bas des villes souvent anciennes et à potentiel économique élevé. » [Desbordes & al., 1990].

L'inondation de Nîmes en octobre 1988, celle de Narbonne en août 1989, la pollution de la Seine en juillet 1990 et juin 1991, sont autant de révélateurs qui montrent qu'une approche purement technicienne de l'assainissement est devenue insuffisante pour résoudre les problèmes posés par la gestion des eaux urbaines. Cette insuffisance provient en grande partie des interactions fortes qui existent entre le développement de la ville et le cycle de l'eau, interactions que les systèmes conventionnels d'assainissement par réseau contribuent à masquer, donc à déréguler fortement. Ces événements vont conduire à de nouvelles réflexions sur la gestion de l'eau en ville.

Les évolutions scientifiques et réglementaires

Ces évolutions dans les modes de pensée sont confortées par des démarches scientifiques qui se développent fortement de la fin des années 1960 au début des années 1980. S'appuyant sur des campagnes de mesures, menées en France sur des bassins versants expérimentaux, ces recherches permettent de mieux caractériser les causes de débordement des réseaux ou la pollution des eaux de ruissellement.

Elles sont également accompagnées par des évolutions réglementaires, dont la principale est sans conteste la publication en 1992 de la Directive Européenne sur les Eaux Résiduaires Urbaines (DERU) et sa transposition en droit français. Celle-ci impose le traitement de la pollution carbonée avec une efficacité garantie non seulement pendant les périodes de temps sec mais également pendant les périodes de pluie non exceptionnelles. Elle exige également le traitement des pollutions azotées et phosphorées dans les zones dites sensibles qui couvrent en fait une grande partie des bassins versants du territoire national, y compris leurs parties rurales. Sans développer ici les difficultés, encore imparfaitement résolues, que posent son application, cette directive constitue un jalon important dans la prise en compte de la nécessité de contrôler les rejets urbains.

Cette évolution réglementaire se traduit par une augmentation massive des financements par le biais des Agences de l’eau. Ces crédits sont tout d’abord essentiellement investis dans le renforcement du parc de stations d’épuration, d’ailleurs pas toujours à bon escient, et il apparaît assez vite que cette stratégie ne permettra pas à elle seule de gérer les rejets polluants de temps de pluie. Elle se traduit aussi par une augmentation importante du prix de l’eau pour les usagers. Aujourd’hui, dans de nombreuses villes, la part de l’assainissement dépasse ainsi celle de l’eau potable. Ce constat illustre l’importance des efforts déployés pour doter les villes d’un assainissement performant. Pourtant des progrès importants restent encore à accomplir, notamment dans la gestion des pollutions par temps de pluie.

Une nouvelle façon de penser commence alors à se développer, insistant sur le fait que la solution ne consiste pas seulement à construire des réseaux de plus en plus gros, même en les complétant par des bassins de retenue, ni à augmenter encore les capacités hydrauliques des stations d’épuration. Il faut aussi essayer de diminuer les apports en eau et en polluants. Les solutions décentralisées retrouvent de l’intérêt, aussi bien pour les eaux pluviales que pour les eaux usées.

Le développement des techniques alternatives de gestion des eaux pluviales

Les bassins de retenue ou les bassins d'orage ont été utilisés ici ou là dans les temps passés. Quasiment abandonnés, en tout cas en France, car marqués du sceau putride de la stagnation pestilentielle par l’approche hygiéniste, ils reviennent au-devant de la scène à la fin dans les années 1960 et au début des années 1970, essentiellement pour faire face à des problèmes récurrents de débordements des réseaux d'assainissement. L’instruction technique de 1977 promeut leur utilisation en proposant une méthode simple de dimensionnement, la méthode des volumes. Dans le même temps des solutions locales très variées sont imaginées (STU 1978 ; STU, 1982) : toitures stockantes, chaussées à structure réservoir, ouvrages infiltrants, etc.. Il ne s'agit plus seulement de stocker provisoirement les eaux circulant dans le réseau mais de les gérer le plus à l’amont possible. La réflexion, menée par des ingénieurs, reste cependant principalement technique. Comme ces techniques constituent une alternative au réseau traditionnel de conduites, Jean Claude Deutsch propose le nom de techniques alternatives qui sera largement adopté, même si on parle également parfois de solutions compensatoires (sous-entendu des effets de l'urbanisation).


Figure 9 : Les premiers bassins de retenue étaient des ouvrages de grande dimension à l'exutoire de réseaux pluviaux ; Ici, le bassin Django Reinhatrd à Chassieu ; situé à l'exutoire d'une zone d'activité de plus de 200 hectares, ce bassin de retenue sec à ciel ouvert de 60 000 m3 sert essentiellement à décanter les eaux avant de les envoyer vers un bassin d'infiltration de taille sensiblement égale ; Crédit photo GRAIE


Si en France les techniques alternatives sont principalement développées dans le but de limiter les risques de débordements des réseaux, les motivations sont différentes dans d'autres pays. Aux États Unis en particulier, dès les années 1960, une réflexion est menée pour développer de "meilleures pratiques de gestion" ("Best Management practices" ou "BMPs") dans le but principal de limiter la pollution rejetée lors des périodes de pluie. Les pratiques mises en place peuvent d'ailleurs être structurelles (ce qui correspond assez précisément aux techniques alternatives) mais aussi non structurelles.

Le retour de l’assainissement non collectif

Le traitement local des eaux usées, comme celui des eaux pluviales, redevient également une solution acceptable. Pendant de nombreuses années l’assainissement autonome a été considéré comme un pis-aller, une solution d’attente à utiliser dans les zones défavorisées car non encore équipées d’un vrai réseau d’assainissement. Il est vrai que, échappant au contrôle ainsi qu’à des règles solides de conception, la plupart des installations sont de mauvaise qualité.

La situation commence à changer avec la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, qui se situe toujours dans la droite ligne de la Directive européenne sur les eaux résiduaires urbaines. L’assainissement non collectif devient une technique d’assainissement comme une autre, soumise à des contraintes d’efficacité et qui est mise en concurrence avec l’assainissement collectif classique par réseau. Il faudra cependant attendre le début du siècle suivant pour inverser la règle selon laquelle l’assainissement collectif est la norme et l’assainissement non collectif l’exception lorsqu’il est trop difficile d’appliquer la norme.

La constitution d'un énorme patrimoine technique

Le bilan du XXème siècle, c'est aussi la constitution d'un énorme patrimoine : 337 000 km de collecteurs pour les seules eaux usées ; 22,5 millions de branchements ; une valeur patrimoniale à neuf estimée par (ASTEE, 2015) à 193,5 milliards d'euros HT en 2015, sans compter près de 22 000 stations d'épuration.

Ces chiffres sont du même ordre de grandeur que ceux calculés en valeur 2012 par (UIE, 2016) et rappelés dans le tableau de la figure 10.


Figure 10 : Chiffres fondamentaux sur le patrimoine des infrastructures Eau en France ; Source : UIE (2017)

Le total des infrastructures liées à la gestion de l'eau (eau potable, eau usée et eau pluviale) représente ainsi près de 40% de la valeur des infrastructures des collectivités (ASTEE, 2015).

Le problème majeur est que ce patrimoine vieillit et que son renouvellement est insuffisant : moins de 0,42% en 2016 d'après (Eaufrance, 2016), ce qui signifie qu'un équipement est en moyenne renouvelé une fois tous les 240 ans. Or il est évident que la durée de vie de la plupart des ouvrages sera très inférieure et que les taux de renouvellement nécessaires sont très supérieurs pour assurer la simple conservation du patrimoine (voir par exemple le tableau de la figure ci-dessus).

Pire encore, ce taux de renouvellement décroît ; voir figure 11 d'après (UIE, 2017).


Figure 11 : Evolution du taux de renouvellement des infrastructures d'assainissement ; Source : UIE (2017)

La mise en évidence de cette impasse budgétaire impose un élargissement des concepts de renouvellement et de restauration des ouvrages. Ceux qui ne sont pas trop dégradés peuvent ainsi gagner plusieurs décennies de bon service.

Le début du XXIème siècle : vers une approche intégrée de l'assainissement


Le début du XXIème siècle n’est pas marqué par une rupture nette des modes de pensée ou des technologies, mais plutôt par un renforcement des évolutions initiées à la fin du siècle précédent. Les idées qui étaient portées par les chercheurs et par quelques collectivités d’avant-garde tend à progressivement devenir le paradigme dominant.

Le développement de l’approche environnementaliste

Cette évolution est encouragée par une nouvelle directive européenne, la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) et publiée en 2000, puis en France par la loi sur l’eau du 30 décembre 2006. Ces textes posent en principe la primauté des milieux sur les usages. L’objectif va au-delà de celui de la loi de 1992. Il ne s'agit plus simplement de travailler à une gestion équilibrée de la ressource, mais de préserver les milieux aquatiques, ou plus exactement de faire en sorte que ces derniers retrouvent leur qualité.

D’une obligation de moyens imposés par la DERU on passe à une obligation de résultats. Deux faits s’imposent alors avec netteté :

  • Les rejets urbains ont une part forte dans la dégradation des milieux aquatiques ;
  • L’effort considérable consenti pour traiter les pollutions carbonées, azotées et phosphorés, s'il a permis, parfois avec difficulté, d'atteindre les objectifs de rejet par temps sec concernant ces paramètres, n’a pas été suffisant pour retrouver le bon état des milieux aquatiques.

En parallèle les chercheurs identifient assez clairement les défauts de la stratégie précédente : la prise en compte insuffisante des rejets de temps de pluie et l’impact déterminant des micropolluants minéraux (métaux toxiques en particulier) et surtout organiques sur la dégradation de la qualité écologique des milieux. Toute stratégie d’assainissement urbain se doit donc d’aborder ces deux questions si elle veut être efficace.

Un besoin de plus d’intelligence et de plus d’ouverture

Si les lois sur l’eau de 1964 et 1992 ont été accompagnées d’une augmentation importante des ressources financières en lien avec leurs objectifs, ce n’est pas le cas de la loi de 2006. Il faut travailler à budget constant, dans le meilleur des cas ! Ceci impose donc de mettre plus d’intelligence dans le choix des actions et de mobiliser des ressources complémentaires. Pour ceci la meilleure solution consiste à poser les questions de façon différente :

  • élargir la question permet d’élargir le champ des réponses possibles, donc d’en trouver de plus efficaces et moins onéreuses ;
  • élargir la question permet aussi de mobiliser de nouveaux acteurs, donc d’avoir accès à de nouvelles ressources ;
  • élargir la question permet enfin de répondre à d’autres enjeux.

Ces différents points sont développés dans le chapitre suivant.

Les grands enjeux actuels et à venir de l’assainissement des villes


Répondre à une évolution des attentes sociétales

Les attentes des usagers ont changé. L'augmentation du prix de l'eau de la fin du XXème siècle était justifiée par une amélioration de la qualité des milieux aquatiques qui n'a pas été visible pour les citoyens. Ceux-ci ont considéré, parfois peut-être de façon exagérée, que cette augmentation avait surtout permis à certains acteurs d'augmenter leurs marges et leur bénéfices et à certains élus de trouver des ressources supplémentaires sans augmenter directement les impôts, par exemple en finançant la compétence « Gestion des eaux pluviales urbaines (GEPU) » sur le budget annexe d’assainissement, alors qu’elle relève du budget général des collectivités locales qui l’ont en charge.

Aujourd'hui ces usagers sont pour la plupart opposés à une nouvelle augmentation du prix de l'eau (qui serait pourtant nécessaire) et exigent une transparence beaucoup plus grande sur le service rendu et son financement. Ils souhaitent également être partie prenante de la gouvernance, ce qui impose des progrès sur la disponibilité des données (open data) et la communication.

Par ailleurs des nouveaux usages d'aménités apparaissent (lutte contre les ilôts de chaleur urbains) ou réapparaissent (baignade urbaine par exemple), alors même que de nouvelles menaces émergent (micropolluants, moustiques vecteurs de maladies jusqu'alors peu présentes sous des climats tempérés, nouveaux virus ou nouvelles bactéries, etc.). Les exigences sanitaires redeviennent fortes et le service assainissement doit aller encore plus loin dans son efficacité.

Transformer les déchets en ressources


Il s’agit finalement ici de renouer avec l’histoire ancienne. Les eaux usées, au sens de « plus utilisables », sont en effet une invention récente. En pratique les eaux usées contiennent de très nombreuses ressources : chaleur, énergie, nutriments (azote et phosphore) et eau… Récupérer ces ressources constitue un moyen efficace de réduire les dépenses d’exploitation, voire de faire des bénéfices. C’est également un bien pour la nature ; par exemple :

  • l’azote ou le phosphore récupérés comme engrais ne viennent plus contribuer à l’eutrophisation des milieux aquatiques ;
  • le méthane utilisé comme carburant pour faire fonctionner la station d’épuration ou pour produire de l’électricité ne contribue plus au réchauffement de la planète, …

De plus en plus d’opérateurs, publics et privés, essaient ainsi de transformer leurs stations d’épuration pour quelles deviennent des usines de récupération.

Les eaux pluviales elles aussi sont valorisables. Il est d’ailleurs très étrange, à une période où les arrêtés sécheresse perturbent tous les étés la vie des citoyens, que les eaux de pluie soient considérées (et traitées) comme un déchet et non comme une ressource. Encourager les citoyens ou les collectivités à conserver précieusement cette ressource au niveau de leur propriété, que ce soit dans une citerne ou dans le sol pour alimenter leurs arbres, est une évidence, même si cela peut créer des problèmes concernant l’entretien des systèmes d’assainissement classique. Les eaux ainsi gérées à la parcelle ne viennent plus encombrer les réseaux ou les stations d’épuration, ni polluer les rivières. De plus, elles contribuent à économiser l’eau des réseaux de distribution d’eau potable ou d’eau brute, à réalimenter les nappes, à améliorer la santé de la végétation et à climatiser la ville. Sur le plan financier cette solution permet un transfert financier de la collectivité vers l’usager relativement indolore car une installation non collective de gestion des eaux pluviales n’est guère plus coûteuse qu’un branchement au réseau. La question du contrôle, de l'entretien et de la pérennité d'une multitude de micro-installations installées sur le domaine privé reste cependant entière.


Figure 12 : Les toilettes sélectives permettent la récupération séparée de l'urine et des fèces ; Crédit photo Jean-Pierre Tabuchi.

Avec le concept d’économie circulaire, de nouveaux paradigmes de l’assainissement apparaissent : la séparation, au niveau des logements, des services publics ou des entreprises, des flux d’urines ou de fèces, la collecte sous vide pour avoir les effluents les plus concentrés. La séparation à la source des urines permettrait par exemple de rejeter beaucoup moins de produits ammoniaqués qui ne sont que faiblement interceptés par les stations d’épuration et s’avèrent très nocifs pour les milieux aquatiques ; elle permettrait aussi de produire des tonnages importants d’engrais. A la manière de ce qui s’est passé dans la gestion des eaux pluviales, avec les techniques alternatives, des alternatives à l’assainissement classique apparaissent. L’introduction de la valorisation des ressources rompt la linéarité de l’assainissement classique qui est constitué de la chaîne collecte, transport, épuration et rejet à la rivière pour l’eau et sur les sols pour les boues. En effet les boucle de recirculation de matières viennent capter la matière en amont, réduisant d’autant les flux à traiter et donc les rejets.

Développer les technologies innovantes dans tous les domaines


Les technologies de l’assainissement ont souvent été déconsidérées et par conséquent, à la fin du XXème siècle il était encore possible d’utiliser des outils et des méthodes hérités des temps héroïques de Belgrand. Des évolutions majeures sont cependant de plus en plus souvent mises en service.

  • En ce qui concerne l’exploitation des ouvrages, les outils ont évolué vers plus de facilité, plus d’efficacité et plus de sécurité, mais aussi plus de technicité.
  • L’entretien est dorénavant majoritairement réalisé avec de l’hydrocurage combiné avec de l’aspiration ou encore avec des vannes automatiques provoquant des chasses avec l’eau usée provisoirement stockée ; Les hydrocureuses les plus efficientes utilisent aujourd’hui les eaux usées pompées et les recyclent, pour les réinjecter sous haute pression et nettoyer ainsi les réseaux d’assainissement de façon continue tout en aspirant les matières qui les obstruent.
  • Dans le domaine de l’inspection patrimoniale, l’utilisation de caméras, de drones volants ou de radeaux flottants équipés de nombreux capteurs révolutionnent les métiers et ouvrent la voie vers les relevés 3D et le BIM (Building Information Modeling), qui permettent une modélisation des infrastructures partagée par tous, tout au long de leur durée de vie, de leur conception à leur démolition.
  • Les progrès récents dans le domaine du numérique ont ouvert des perspectives dans les modes de gestion des systèmes d’assainissement et des outils d’aide à la décision : télésurveillance, télégestion des installations, pilotage dynamique, gestion intégrée. Ces systèmes se développent à grand renfort de capteurs connectés à internet, de logiciels distribués accessibles à tous et d’intelligence artificielle.
  • Les systèmes d’assainissement deviennent de plus en plus performants avec un large éventail de technologies contribuant à une économie circulaire avec notamment : la récupération de chaleur, de biogaz, de produits biologiques et même la fourniture d’eau recyclée.

Les nouvelles technologies dans les différents domaines de l’assainissement permettent ainsi d’envisager des solutions pour améliorer le cadre de vie des citoyens, de réduire l’impact environnemental négatif des villes et de répondre aux évolutions des années à venir : changement climatique, érosion de la biodiversité et meilleur respect de l’environnement, urbanisation croissante, accroissement des exigences de service, ressources financières limitées, etc..

Intégrer les concepts sanitaires, hydrauliques et environnementaux


Nous avons développé dans les paragraphes précédents les trois âges passés de l’assainissement moderne :

  • le premier âge, depuis le milieu du XIXème siècle jusqu’aux années 1960, caractérisé par une approche hygiéniste des problèmes, la santé des citadins étant la préoccupation principale ;
  • le deuxième âge entre les années 1960 et les années 1990, caractérisé par une approche hydraulique, l’essentiel des enjeux étant la maîtrise des inondations ;
  • le troisième âge depuis les années 1990, caractérisé par une approche environnementaliste visant à protéger la qualité des milieux récepteurs.

Certains rajoutent un quatrième âge qui se développe depuis le début du XXIème siècle et qui se caractérise par une prise en compte de la dimension urbaine de la gestion de l’eau.

Le cycle étant la base du mouvement, il est peut-être temps de revenir au début du cycle et de promouvoir à nouveau une approche hygiéniste de la gestion des eaux urbaines, plus exactement, de réfléchir à un service élargi de l’assainissement urbain, en redonnant au mot assainissement un sens littéral : rendre la ville plus saine et plus sûre.

Il ne s’agit bien sûr pas d’abandonner les progrès qu’ont permis les approches hydrauliques et environnementales, mais d’intégrer l’ensemble des enjeux de façon à construire une vision cohérente et construite de ce que devrait être l’assainissement de demain.

Développer une vision globale de la gestion de l'assainissement urbain

De façon pratique l’idée consiste à élargir la vision de l’assainissement et de l’étendre à celle d’un service intégré de gestion urbaine de l’eau dont toutes les fonctions ont un lien direct avec la santé publique :

  • gérer les eaux sales ;
  • valoriser les ressources des eaux résiduaires urbaines ;
  • maîtriser les risques d’inondation ;
  • contrôler et améliorer la qualité des ressources en eau et des milieux aquatiques ;
  • diminuer les ilots de chaleur urbains et lutter contre les crises caniculaires et ainsi participer à la mise en œuvre de solutions d’adaptation au changement climatique ;
  • améliorer la qualité de la végétation qui a un rôle important de piégeage des polluants atmosphériques ;
  • réduire les nuisances dues à l’assainissement, par exemple les odeurs dues aux émanations d’H2S ;
  • intercepter les déchets solides qui seraient rejetés dans les cours d’eau, les lacs ou les milieux marins, à divers niveaux des systèmes d’assainissement, des avaloirs aux déversoirs d’orages ou rejets d’eaux pluviales, en passant par les bassins de retenue.
  • etc.

La gestion de l’eau c’est aussi un service public en relation avec d’autres acteurs notamment ceux des déchets pour le développement de la co-valorisation des ressources et ceux de l’énergie avec travers la production d’énergie : biométhane et récupération de chaleur. Alors que la gestion des eaux pluviales à conduit les acteurs de l’assainissement à aller vers le monde de l’urbanisme, le développement durable dans une vision plus large conduit à une vision intégrée des services public.

Les principes de base d'un nouveau paradigme

Un constat : l'éclatement actuel des systèmes de gestion de l'eau est difficilement gérable

La gestion de l’eau est aujourd’hui éclatée entre au moins six différents systèmes qui concernent plus ou moins directement les villes :

  • Le système de captage, adduction, traitement et distribution de l’eau potable
  • le système d’évacuation et de traitement des eaux usées ;
  • Le système de gestion des eaux pluviales ;
  • Le système de protection contre les crues et les inondations ;
  • Le système de gestion de la qualité des milieux aquatiques ;
  • Le système de gestion de l’eau comme élément de la qualité de vie en ville.

Il faut noter que cette typologie est loin d’être exhaustive carne comprend pas des usages très importants, notamment l’utilisation de l’eau pour l’irrigation, la production d’énergie, la pêche, etc. qui sont moins directement liés aux enjeux urbains.

Par système, nous entendons ici une organisation associée à des moyens techniques et construite pour répondre à un but. De ce point de vue, chaque système a sa logique propre : il doit répondre à des objectifs bien définis, fonctionne sur un territoire spécifique, utilise des modes de financement distincts, répond à une réglementation particulière et dispose de sa gouvernance.

Pourtant tous ces systèmes entretiennent des relations étroites et le fonctionnement de chacun dépend du fonctionnement des autres. Il est possible d’illustrer ce jeu d’autonomie / dépendance à travers quelques exemples :

  • Les deux systèmes de captage, adduction, traitement et distribution de l’eau potable d'une part, et d’évacuation et de traitement des eaux usées, d’autre part, gèrent ce qui est souvent appelé (d’ailleurs assez improprement car ce n’est pas un cycle) le petit cycle de l’eau. Ils disposent de leur autonomie financière (dans le cadre de budgets annexes), imposée par la loi. Les territoires sur lesquels ils fonctionnent ont tendance à s’accroître rapidement, ce qui est un facteur de solidarité entre les usagers. Ce système, sans doute du fait de son mode de financement clairement affiché, est celui qui est perçu comme le plus important par la plupart des citoyens qui contribuent directement en réglant leur facture d’eau. Le système de gestion des eaux pluviales est pour sa part moins apparent. Pourtant, il utilise pour une bonne part le même dispositif technique d’évacuation des eaux et dans la plupart des cas c’est lui qui impose les dimensions. Il s’agit aussi du parent pauvre car son régime financier est totalement différent puisqu’il est financé, en principe, par le budget général des collectivités, alimenté par les impôts locaux et en fait souvent au titre des eaux usées, sur la facture d’eau.
  • Le système de protection contre les crues et les inondations est aujourd’hui en pleine réorganisation, avec la mise en place depuis le 1er janvier 2018 de la compétence de Gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) confiée aux intercommunalités par les lois de décentralisation du 27 janvier 2014 et du 7 août 2015, notamment pour développer les dispositifs d’alerte et de limitation de l’aléa (protection) et de la vulnérabilité (prévention au sens strict). Il s’intéresse particulièrement aux risques associés aux crues des rivières et ne considère pas explicitement ceux associés aux débordements des systèmes d’assainissement pluviaux. Pourtant plus de la moitié des déclarations de catastrophes naturelles sont motivés par l’insuffisance des dispositifs de gestion des eaux pluviales. En d’autres termes, la ville s’inonde elle-même aussi souvent qu’elle est inondée par des phénomènes venant de l’amont. Par ailleurs ces crues urbaines contribuent également aux risques d’inondation à l’aval par les volumes qu’elles génèrent et l’accélération des flux qu’elles provoquent.
  • L’eau de pluie qui tombe sur la ville constitue une ressource loin d’être négligeable en quantité. Les volumes annuels précipités sur la plupart des agglomérations sont ainsi plusieurs fois supérieurs à ceux qui y sont consommés. Pourtant cette ressource reste le plus souvent totalement ignorée par le système d’alimentation en eau et l’eau de pluie est prise en charge par un système de gestion des eaux pluviales qui la considère comme un déchet et la transforme en menace.

Ces quelques exemples montrent que l’une des principales limites des systèmes actuels de gestion de l’eau est justement le fait qu’ils constituent des systèmes différents alors qu’il y aurait des avantages importants à pouvoir les globaliser le plus possible.

L'idée d’une gestion intégrée de l’eau est une très vieille litanie. L’affirmer une fois de plus ne constitue donc pas une idée neuve et n'est certainement pas suffisant. Construire un nouveau paradigme implique donc de poser la question de la gestion intégrée d’une façon différente et d'en tirer les conséquences pratiques en termes techniques, financiers et de gouvernance.

La proposition développée ici consiste à partir de l’origine, c’est-à-dire de la pluie et de considérer le système de gestion de l’eau de pluie en ville comme le système structurant de gestion de l’eau en ville.

Pourquoi faire de l'eau de pluie l'élément central ?

Cette proposition peut paraître curieuse, mais elle repose sur de solides arguments :

  • La pluie est à l’origine de la ressource en eau. Dans un contexte de changement climatique qui va modifier la répartition des ressources en eau, à la fois spatialement et géographiquement, chaque territoire a intérêt à renforcer son autonomie. Conserver et valoriser l’eau précipitée sur la ville est donc un facteur de résilience vis-à-vis des risques climatiques.
  • Les usages de l’eau en ville vont se diversifier et les besoins vont devenir de plus en plus importants. Les quatre dernières catastrophes climatiques les plus meurtrières en France ont été quatre périodes caniculaires. La lutte contre les îlots de chaleur urbains va devenir dans les prochaines années un enjeu majeur de santé publique. Evaporer l’eau ou l'utiliser pour alimenter la végétation, arbustive notamment, constitue le moyen le plus efficace pour climatiser les villes. Conserver ou infiltrer l’eau de pluie et l’utiliser pour ces usages est la solution la plus élégante pour mettre en œuvre cette solution.
  • Le changement climatique, en particulier parce qu'il entraîne une baisse des débits d’étiage, associé au développement démographique, imposent de remettre en cause les performances que les techniques classiques d’assainissement doivent assurer pour garantir le maintien du bon état des milieux aquatiques.
  • Les objectifs de neutralité carbone conduisent à interroger la pérennité à long terme des procédés classiques de traitement des eaux potables et des eaux résiduaires urbaines.
  • L’imperméabilisation des sols constitue l’un des facteurs importants de la fragilisation de la végétation urbaine et de l’augmentation des risques de crues et d’inondation. L’imperméabilisation des sols augmente les volumes ruisselés, mais surtout, associé à la mise en place des dispositifs de drainage, il accélère fortement les vitesses d’écoulement et rend les bassins versants sensibles à des pluies beaucoup plus courtes, donc beaucoup plus intenses et dangereuses. L’un des axes de la lutte contre le risque d’inondation passe donc par la réduction de l’imperméabilisation des sols et la mise en place de solutions alternatives à la gestion des eaux pluviales par réseau.
  • Les rejets urbains de temps de pluie constituent l’un des facteurs majeurs de pollution des eaux de surface. Le principe de base du système traditionnel de gestion des eaux pluviales consiste à utiliser l’eau de pluie pour laver les rues, les caniveaux et les égouts, à mélanger l’eau de pluie aux eaux usées et à renvoyer une partie du mélange, non épuré, dans les milieux aquatiques superficiels. La reconquête de la qualité des milieux récepteurs et l’atteinte de leur bon état ne pourra se faire que si nous sommes capables de réduire de façon importante les rejets urbains de temps de pluie. Augmenter la capacité des stations d’épuration étant économiquement très difficile, la meilleure solution consiste à les réduire par une gestion différente des eaux pluviales.
  • Les solutions innovantes de gestion des eaux pluviales permettent de valoriser l’eau et la nature en ville. Les solutions alternatives à l’évacuation rapide des eaux de pluie reposent sur l’utilisation conjointe du stockage et de l’infiltration. Les techniques utilisées privilégient souvent l’utilisation de la surface : montrer l’eau plutôt que de la cacher. Elles sont généralement associées à une végétalisation plus importante des espaces non bâtis. Tous ces éléments contribuent à améliorer les paysages urbains et la qualité de vie, mais également la biodiversité, en particulier en contribuant au développement de trames vertes et bleues.
  • La mise en place d’une gestion intégrée de l’eau dans la ville est facteur de développement économique. La transformation de nos villes grises en villes bleues et vertes, ou en ville éponge, est porteuse de nouveaux services : entretien des espaces extérieurs, activités nouvelles de loisirs, etc.. et donc de nouveaux métiers et de nouveaux emplois qui ne pourront pas être délocalisés.

Quelles sont les implications pratiques de ce choix.

Même s'il ne paraît pas totalement révolutionnaire, le choix de structurer les services assainissement, et donc plus généralement de gestion de l'eau en ville, autour du cycle de l'eau a cependant des conséquences lourdes :

  • Il implique de considérer la gestion de l'eau comme un tout, allant au-delà des limites du petit cycle de l'eau. Ceci nécessite que le service en charge de l'assainissement ait l'ensemble des compétences et qu'il puisse les développer avec un financement clair et si possible unique. Cette condition est en contradiction avec le fait que l'alimentation en eau et la gestion des eaux usées soient financées sur la facture d'eau et les autres aspects sur le budget principal.
  • Il nécessite surtout que les collectivités arrêtent de travailler sur ces sujets de façon cloisonnée et mettent en œuvre une très forte interactivité :
  • entre domaines techniques : les évolutions nécessaires des pratiques en matière de gestion de l'eau ont des conséquences sur la façon de concevoir et/ou de gérer les voiries, les espaces verts, le nettoiement, etc..
  • entre les services techniques et ceux en charge de l'aménagement et des espaces publics ; dans beaucoup de cas les solutions ne pourront être mise en œuvre sans concevoir et construire une ville différente dans laquelle l'eau n'est pas perçue comme une ennemie à combattre et dont il faut se débarrasser mais comme une alliée à valoriser
  • Il impose de réfléchir à une nouvelle façon de définir l'équité du service alors que certains citoyens bénéficient d'un service collectif et que d'autres n'en bénéficient pas.
  • Il ne pourra pleinement se mettre en place sans un effort conséquent de formation capable de développer la capacité des acteurs de l'eau, des différentes techniques urbaines et de l'aménagement à travailler ensemble.

Bibliographie

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