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Mesure d'épaisseur de glace en rivière

De Wikhydro
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Sommaire

Impact des couverts de glace sur les activités économiques

La présence de couverts de glace à la surface des rivières dans les contrées nordiques a un impact important sur les activités économiques de ces pays : activités touristiques sous haute surveillance, production hydroélectrique ralentie, chenaux de navigation maintenus en eau, inondations de printemps…

L’activité touristique en hiver exploite toutes les possibilités offertes par la présence de glace sur les rivières. Les pistes de ski-doo, les courses en chiens de traîneaux, utilisent fréquemment les corridors fluviaux qui offrent l’avantage d’être assez plats. Le patinage sur les rivières (figure 1) urbaines nécessite une surveillance continue des épaisseurs pour permettre cette activité familiale. Dans de nombreuses contrées, la pêche au travers de trous forés dans le couvert ou dans des cabanes de bois installées sur la glace, constitue des lieux de rassemblements très prisés. Toutes ces activités hivernales nécessitent d’assurer un niveau de sécurité élevé aux populations concernées, ce qui peut conduire à interdire la fréquentation des secteurs fragilisés soit par des rejets d’eau chaudes (rejets industriels) ou soit par le réchauffement printanier (surtout pour les rivières sud-nord) .

La production d’énergie hydroélectrique se trouve également très affectée par la présence de glace. En début d’hiver, la couverture des rivières par un couvert de glace s’accompagne d’une élévation du plan d’eau, accrue par l’arrivée de frasil en provenance de l’amont, qui vient se bloquer et s’accumuler sous le couvert de glace. Les débits d’hiver diminuent fortement à cause de l’emmagasinement de neige dans les bassins versants.

Dans le cas où la production hydroélectrique est assurée par un barrage au « fil de l’eau », la production est pratiquement nulle en hiver. Ce type de centrale peut d’ailleurs être très affectée par la génération de frasil « actif » dans les turbines et par l’accumulation de frasil « inactif » en provenance de l’amont. Des chutes importantes ont ainsi été abandonnées, telle la chute Charny de 60 m de dénivelée sur la rivière Chaudière au Québec, à cause du colmatage des grilles de protection des turbines par le frasil. Un autre défaut de ce type d’ouvrage est qu’il ne produit pratiquement rien en termes d’hydroélectricité pendant une saison, alors que la demande est maximale.
Par contre, les barrages réservoirs, que l’on trouve par exemple sur la rivière La Grande et Manicouagan au Québec, offrent des capacités de stockage et donc de production importantes. Mais ceci n’est pas exempt de problème : par exemple, les débits turbinés par ces ouvrages, beaucoup plus élevés que les débits naturels, produisent d’énormes quantités de frasil qui vont être à l’origine de débâcles beaucoup plus violentes au printemps.

Les épaisseurs de glace sous les barrages-réservoirs peuvent atteindre en fin d’hiver plusieurs mètres, voire la dizaine de mètres (Rivière Chaudière en amont du barrage Sartigan au Québec). Au printemps, les débits augmentent par la fonte de la neige accumulée dans les bassins versants. La fonte de parties de couvert dans des zones d’écoulement rapide fait rentrer de l’eau réchauffée sous le couvert et provoque la fonte du frasil accumulé sous le couvert. Les grandes quantités de glace accumulées pendant l’hiver (2,3 millions de m3 pour l’exemple précédent) se fragmentent, sous l’effet des sous-pressions produites par l’augmentation des débits, en énormes blocs et qui se détachent, sont transportés par le courant, viennent se s’accumuler dans des zones de restriction d’écoulement et constituer ainsi des barrages. Ces barrages de glace bloquent ainsi l’écoulement, produisent une remontée du plan d’eau en amont et génèrent des inondations souvent catastrophiques.

Les axes fluviaux constituent des corridors de trafic maritimes névralgiques, qui nécessitent un maintien en activité des chenaux de navigation pendant tout l’hiver. Des brise-glaces sont ainsi en action tout l’hiver sur la voie maritime du Saint-Laurent pour assurer une circulation continue entre le Saint-Laurent et les Grands Lacs. En France, des brise-lames interviennent également sur les voies navigables gérées principalement par VNF (voir article sur l'épisode de févier 2012). Pour éviter les risques de dégradation des infrastructures provoquées par la pression des couverts de glace, les gestionnaires procèdent à une maintenance régulière des installations (cassage des couverts amont pour les petites rivières [figure 2] ou évacuation des glaces par des éclusées régulières (par exemple sur le Rhin [figure 3]). La fermeture pendant l’hiver de certains axes secondaires est un véritable fléau puisqu’elle provoque le transfert de marchandise vers d’autres destinations, d’autres segments du transport de marchandise : voie ferrée, route, voie aérienne. Elle force les navires au repos ou à d’autres destinations, empêche un approvisionnement à faible coût en denrées alimentaires de centres urbains ou en matières premières des industries.

Toutes ces activités nécessitent un suivi précis et continu de l’état des couverts depuis le début de l’hiver jusqu’à leur fonte et la débâcle des glaces au printemps. La connaissance de l’évolution des paramètres météorologiques, des régimes hydrologiques correspondants des cours d’eau et, depuis que le changement climatique est devenu un élément dimensionnant, de l’évolution de ces paramètres à court et moyen terme, constitue autant de données indispensables à la conception d’aménagements en rivière, mais également en terme de risques pour les populations.

patinage sur l aussenalster a hambourg
Figure 1
brise glace en action
Figure 2
ecluse de gambsheim vue amont porte d ecluse
Figure 3

Les étapes de suivi d’un couvert de glace

Le suivi du régime hydrologique d’un cours d’eau nordique en dehors de la période hivernale est semblable à tout autre cours d’eau. Le réseau de stations hydrométriques qui équipe ces rivières : limnimètres pour les rivières ou marégraphes pour les estuaires doit cependant prendre en compte la présence de glace qui sollicite en général assez durement ces matériels.

Tout commence donc en début d’hiver avec la formation de la glace de rive qui tend à couvrir petit à petit la surface, par progression vers le centre de la rivière. Le frasil est constitué de cristaux de glace en milieu liquide (figure 4). Il est généré par le brassage turbulent de l’eau dans des écoulements rapides lorsque la température de l’air est très basse. Ces cristaux s’accumulent les uns aux autres lors de leur transport par les courants pour former des galettes (pan cakes). Elles se présentent sous la forme de disques plus ou moins circulaires (à cause de leur mouvement de rotation et de leur érosion périphérique le long de leur trajectoire vers l’aval) de quelques dizaines de centimètres, voire quelques mètres de diamètre pour des biefs assez longs (figure 3). Elles épaississent sous l’effet de la température de l’air. Ces galettes sont transportées vers l’aval et se stockent ensuite au droit d’obstructions de la rivière et commencent à former un couvert de glace qui progresse rapidement vers l’amont, par l’écrasement des galettes sur l’amont du couvert. Parallèlement, ce couvert se consolide sur place et épaissit par le haut à cause des basses températures et par dessous par accumulation du frasil en provenance de l’amont. Il faut distinguer ici les petits cours d’eau des grandes rivières.

Pour les petits cours d’eau de campagne, les impacts de l’existence des couverts sur les activités touristiques et économiques sont souvent négligeables : leur suivi est donc moins important, sauf en certains endroits dangereux pour les riverains ou pour les promeneurs. Les couverts correspondants reposent sur un solide ancrage de glace de rive et évoluent en contact avec le sol sous l’effet des basses températures.

Pour les grandes rivières, la situation est différente : le couvert repose sur les rives, en équilibre hydrostatique avec l’écoulement d’eau sur lequel il s’écoule. Les mesures d’épaisseur peuvent commencer en hiver dès que l’épaisseur de glace dure peut supporter le poids d’un homme. Le suivi consiste à mesurer les épaisseurs de neige, de glace dure et de frasil sous le couvert, ainsi que la profondeur d’eau sous le frasil.

L’auscultation de la rivière se fait suivant des profils en travers localisés de manière assez régulière en des emplacements spécifiques : autant on choisira des sections de mesure spécifiques qui constituent autant de singularités comme des ponts où les jaugeages sont plus aisés à cause des conditions d’accessibilité, autant on recherchera en présence de couvert, des sections courantes pour caractériser le couvert puisque la rivière est beaucoup plus accessible. Les données pertinentes sont ici l’avancée du couvert, le volume de glace accumulé (glace dure et frasil), l’épaisseur de glace dure, la position de la tête du couvert ainsi que la localisation de l’extrémité aval de la progression du frasil. Les sections de mesure évoluent donc tout au long de l’hiver en fonction de l’état du couvert.

En résumé, les éléments les plus importants à recueillir lors d’une campagne de mesure des épaisseurs de glace sont les suivants :

  1. formation de glace de rive ;
  2. apparition des premières glaces flottantes ;
  3. rapport de la surface couverte par la glace dérivante sur la surface libre (le rapport de la couverture de glace) ;
  4. rapport de la surface couverte par la glace dérivante sur la surface couverte de glace ;
  5. apparition et étendue du couvert de glace fixe ;
  6. position de la tête du couvert ;
  7. position de l’arrière du couvert ;
  8. épaisseur de neige, de glace et de frasil ;
  9. localisation sous le couvert du chenal d’écoulement ;
  10. apparition et caractéristiques de la dislocation de la glace, de la destruction du couvert de glace ;
  11. début et ampleur de la débâcle ;
  12. disparition totale des couverts de glace

Les photographies des figures 5, 6 et 7 donnent un aperçu des instruments utilisés: forage, mesure de l’épaisseur de neige, enfoncement d’une perche graduée terminée par un disque pour déterminer les épaisseurs des diverses couches. La photographie de la figure 4 détaille la consistance du frasil, qui est un état très particulier de la glace en rivière.

detail frasil

Figure 4

forage sur les mille iles montreal

Figure 5

detail meche de forage

Figure 6


Le suivi de la progression des couverts par photo aérienne ou par satellite est également indispensable pour suivre la progression surfacique et longitudinale des couverts en rivière.
Pour la débâcle la mesure est encore très difficile, car extrêmement dangereuse. Il n’est évidement pas possible de se déplacer sur les couverts à cause des risques de rupture (figures 8 et 9)

mesure de l epaisseur de glace par remontee d un disque
Figure 7
debacle chaudiere 1
Figure 8
debacle chaudiere 2
Figure 9


Les mesures d’épaisseur des différentes couches de glace suivant la même périodicité que pour les mesures du niveau d’eau ; l’épaisseur de la glace et de la neige sur les rivières importantes, les lacs et les réservoirs doivent être réalisées tous les deux à trois jours, en fonction de la température de l’air et des précipitations (surtout pour la débacle) pendant les périodes critiques de formation et de débâcle de la glace. Des observations aériennes sont effectuées pour répondre à des besoins spécifiques.

Les campagnes de mesure des couverts de glace sont soigneusement enregistrées par les autorités techniques en charge de gestion de ces rivières. Elles alimentent des bases de données très utiles pour une meilleure connaissance des régimes hydrologiques des rivières, afin d’appréhender de manière plus précise leur état écologique, les risques encourus par les populations riveraines en cas d’inondation, les occurrences et les conséquences des étiages sur la fourniture en eau pour les agriculteurs, les conséquences des pollutions sur les milieux. Les aménagements doivent également prendre en compte ces régimes nordiques très particuliers.
Les figures 10 à 13 (à venir)  illustre le type de collecte qui est fait régulièrement sur les rivières sensibles. Il s’agit de la rivière des Mille-Iles à Québec, suivi de près par le ministère de l’environnement du Québec.


Utilisation des mesures d'apaisseur dans des études et modèles de simulation

Les études dans le domaine des écoulements en présence de couvert de glace sont techniquement difficiles, qu’elles soient conduites en laboratoire sur des modèles réduits, ou en nature. Les modèles réduits se heurtent à des conditions de similitude très restrictives, tant pour les écoulements (similitude de Froude ou de Reynolds) que pour la glace, difficile à représenter à cause des divers états qui coexistent : neige, glace et frasil. Par ailleurs, ces maquettes sont très onéreuses. De leur côté, les études in situ sont souvent dangereuses et nécessitent des matériels très résistants.

On comprend aisément que la modélisation numérique qui connaît, dans tous les secteurs de la physique, un essor remarquable, se soit développée dans le domaine de l’hydraulique des glaces. Les premiers modèles opérationnels sont apparus dans les années 80 et ne font que progresser. Ils consistent en un ensemble de modules couplés : modèles hydrauliques, modèles thermiques de génération de frasil, modèles de transport du frasil, modèles de consolidation et d’évolution thermique des couverts de glace. Ils prennent en compte les précipitations de pluie ou de neige et surtout la température.

La figure 7.7.4 donne un exemple de simulation qualitative de la formation et de la progression d’un couvert de glace. A noter l’épaisseur de la glace dure est uniforme sur l’ensemble du couvert, puisqu’elle ne dépend que de la température (hors débâcle).

Un bon suivi du couvert de glace, complété par un modèle de simulation hydrodynamique, alimenté par des prévisions météorologiques de température et de précipitations pourrait permettre de simuler en continu ces couverts, et de déterminer les conditions propices à leur rupture, en fonction des conditions météorologiques.

Aménagements possibles pour lutter contre les inondations

Dans la panoplie de moyens utilisés pour se prémunir contre les inondations dues à la fonte ou à la destruction des couverts de glace, on peut citer la mise en place d’estacades ou la construction de seuils qui ont pour but de fixer artificiellement le point de départ d’un couvert de glace en un endroit soigneusement déterminé de la rivière. On peut également procéder à des rectifications locales de gabarit de manière à résoudre les points durs. Ceux-ci sont en général bien connus par les riverains. Cependant, en raison de la variation d’une saison à l’autre des températures et des précipitations, qui modifient en conséquence le régime hydraulique de la rivière, ces points durs peuvent se déplacer et provoquer des inondations et des dégâts aux ouvrages dans d’autres secteurs.

Les repères kilométriques le long des rivières navigables ou des digues peuvent être utilisés pour identifier les endroits où sont habituellement conduites les mesures de glace. Les conditions particulièrement dangereuses (formation d’embâcles par exemple) doivent être identifiées par rapport à d’autres repères (ponts, ouvrages d’art et ports par exemple).
Quelques caractéristiques du phénomène peuvent être déterminées au moyen d’enquêtes photogrammétriques régulières menées à partir de la rive ou à partir de photographies aériennes. Dans le cas de cours d’eau importants ou de grands lacs, les observations aériennes sur la formation de la glace ou de la débâcle sont d’une grande valeur. Elles sont également utiles lors d’embâcles dans des lits encaissés, lorsqu’il est nécessaire d’établir un système d’annonce de crue.

Bibliographie

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  • Tanguy JM, Tremblay A.R., « Simulation d’un barrage suspendu sur la rivière Chaudière en amont de Saint-Georges de Beauce », 4th workshop on Hydraulics of River Ice, B-4.1, Montréal, June 19,20, 1986.

Cet article a été rédigé par Jean-Michel Tanguy

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