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Retour d’expérience de la crue de l’Agly du 6 mars 2013

De Wikhydro
Version du 7 novembre 2013 à 15:55 par Patrick Ledoux (discuter | contributions)

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Sommaire

Résumé de l’évènement

Le 6 mars 2013, une crue soudaine de l’Agly, suite à des précipitations importantes dans les Corbières a provoqué des surverses généralisées, plusieurs brèches et des dégâts importants dans les digues de l’Agly. Lors de cet événement, on déplore le décès d’une personne néanmoins cet accident n’est pas lié aux digues de l’Agly mais à une tentative malheureuse de traversée par un automobiliste d’un gué du Réart, autre fleuve côtier des Pyrénées Orientales. Les pouvoirs publics ont évacué près de 400 personnes de leurs habitations et lieux de travail.

Cet événement a plutôt été bien géré par l’ensemble des acteurs.

brèche de la digue en rive droite de l'Agly sur la commune de Pia (photo DREAL LR)

Sur le plan hydrologique, cette crue qui a bénéficié d’un jaugeage effectué quasiment lors de son paroxysme n’est pas d’une période de retour très grande, de l’ordre de 30 ans. En termes de hauteur d’eau, elle bat pourtant le record historique depuis la création de la station alors que la crue de novembre 1999 avait été plus intense en termes de débit. C’est la forte croissance de la végétation dans la partie amont de l’endiguement qui explique en grande partie ce paradoxe.


Sur le plan des désordres constatés sur les digues et ses environs, cet événement a permis d’observer des remontées artésiennes ou sand boils à proximité de l’ouvrage, mécanisme de dégradation rarement rencontré.

Gestion des digues de l'Agly

Les digues de l’Agly ont été réalisées entre 1969 et 1974 sous la maîtrise d’ouvrage du département des Pyrénées Orientales et sous maîtrise d’œuvre Direction Départementale de l’Équipement des Pyrénées Orientales. . Le Syndicat Mixte de l’Agly Maritime (SMAM) a été créé en 1984 afin de maintenir en parfait état d’entretien le lit, les berges et les digues de l’Agly en aval du pont de la RD 900. Ce syndicat regroupe les sept communes protégées par les endiguements. La remise de propriété au SMAM n’ayant jamais été réalisée, lors du recensement des digues réalisé par l’État en 2006-2007, le Conseil Général a été reconnu comme propriétaire des digues. En l’absence de lien juridique entre le SMAM et le Conseil Général, ce dernier a décidé d’assurer directement la gestion des digues afin de se conformer à la réglementation. Les digues de l’Agly ont été classées en digue de classe A par l’arrêté du Préfet des Pyrénées Orientales en date du 15/06/2009.

Hydrologie

Circonstances météorologiques

Le mardi 5 mars à 07H00, le département des Pyrénées Orientaux est placé en vigilance jaune « pluies-inondations » pour des précipitations sur le Roussillon. A 19H30 le département est placé en vigilance orange « vagues-submersion » (ainsi que l'Aude et l'Hérault) à partir du mercredi 06 mars 00H00.

Limnigramme de la crue de l'Agly à la station de Rivesaltes


Le mercredi 6 mars à 06H00, confirmation de la vigilance orange « vagues submersion » jusqu'au 7 mars à 06H00. 10H00, le département est placé en vigilance orange « pluies- inondations ». A partir de 14H40, le département est placé en vigilance rouge « pluies et inondations ».

Le Jeudi 7 mars à 06H00, la vigilance rouge est levée et retour direct à la vigilance jaune compte tenu de l'arrêt des précipitations dans la nuit et de la décrue rapide de l'Agly.

Précipitations

En 48H, il est tombé 190 mm au niveau du barrage de l'Agly et 210 mm à Vingrau. Pour mémoire il était tombé 385 mm à Vingrau les 12 et 13 novembre 1999.

Mise en charge de l’endiguement

La station de Rivesaltes située au niveau du pont de la RD900, soit à l’extrémité amont de l’endiguement, montre une montée rapide l’Agly : 40 cm/h.

Les digues se mettent en charge (c’est-à-dire que la cote d’eau dépasse le niveau du terrain protégé) à une hauteur de 5 m vers 6h00. Elles le resteront jusqu’au environ de minuit.

Conséquences de l'évènement

Inondations

La zone affectée par l’inondation derrière les digues est essentiellement due à deux brèches mais aussi à des surverses sur les digues rive droite et rive gauche ainsi que sur la RD 900.

Les résurgences d’eau derrière les digues par remontées de nappe phréatique ont aussi participé à l’inondation.

Conséquences humaines

L’événement a fait une victime au volant de sa voiture qui a tenté de franchir un gué à Polliestres (au Sud de Perpignan), franchissement du Réart, donc sans rapport avec les digues de l’Agly. 800 personnes ont été évacuées et 160 naufragés de la route ont été hébergés à Rivesaltes. 6 communes ont ouvert leur centre d’accueil.

Conséquences matérielles

Infrastructures de transport : circulation fortement impactée, circulation des poids lourds interdite sur les principaux axes y compris l’A9.

Les digues de l’Agly fortement endommagées avec deux brèches (une totale et une partielle) sur la rive droite. Des dégradations importantes dues aux surverses et de nombreuses résurgences d’eau dans la zone protégée en arrière des digues en forme de « Sand boils ».

Dommages dans la plaine de la Salanque essentiellement aux activités agricoles avec quelques dégâts aux biens immobiliers.

Zone économique des Hourtoulanes à Rivesaltes a été sinistrée.


Digues de l'Agly

Il s’agit de digue en terre, continue entre la RD 900 et la mer de hauteur comprise entre 2 et 3 m. L’Agly est ainsi canalisée sur une longueur de 13 km ; la largeur du lit est de 65 m. La largeur des crêtes est assez importante de l’ordre de 8 m, largeur permettant en rive gauche de supporter une voie verte dont la circulation est réservée aux cyclistes. Les talus présentent en général des pentes de 2H pour 1V. Des protections de talus en enrochements libres ont été mises en œuvre, notamment dans les extrados. En outre, localement la digue englobe des protections en béton réalisées consécutivement à la crue de 1940. Enfin, des travaux de protection de talus côté val ont été mis en œuvre entre 2002 et 2007. Il s’agit d’enrochements massifs dans les secteurs relativement proches des zones habitées.

A l’amont les digues se raccordent sur le remblai de la RD 900. Ainsi, ce remblai traversant la zone inondable est, dans les faits, intégré dans le système de protection contre les inondations puisqu’il assure sa fermeture amont. Cette fermeture n’a cependant pas le même niveau apparent de protection. En effet, le profil en long de la RD 900 répond à une logique routière plutôt qu’à une exigence de protection contre les crues de l’Agly. C’est notamment le cas en rive droite où l’altitude relativement basse de la route entraîne des débordements de l’Agly pour des crues relativement fréquentes. De plus en rive gauche, on note la présence de rétablissements routiers sous la RD 900 qui sont également à l’origine d’inondation de la zone protégée pour des crues relativement fréquentes.

Brèches lors de la crue du 6 mars 2013

Brèche à Pia

La brèche est située légèrement à l’aval de l’agglomération de Pia en rive droite de l’Agly. Ses caractéristiques géométriques sont les suivantes :

  • Largeur environ 100 m,
  • La digue est partie sur toute sa hauteur,
  • Une fosse d’une profondeur inconnue (inondée par la nappe) et d’une longueur d’environ 50 m a été creusée.

Plusieurs causes sont possibles

Sur une photo prise par un riverain le 6 mars vers 17 h, on peut voir que l’eau commence à déverser sur une bonne dizaine de mètres.

Brèche de Pia (photo DREAL LR)

L’hypothèse d’une rupture par surverse est donc possible. Cependant, il faudrait être sûr pour cela que la digue était plus basse dans cette zone, tassement qui aurait pu être produit lors de crues antérieures. Il est à noter que dans cette zone, des désordres par remontées artésiennes (sandboils) avaient été détectés lors de crues précédentes. Il est donc possible que de légers tassements pré-existaient à cet endroit, sans qu’ils n’aient été détectés. D’autres hypothèses sont également possibles : l’affaissement a pu se produire durant la crue. Il s’agirait d’un phénomène mécanique et/ou d’érosion interne du corps de digue et/ou de la fondation (les deux pouvant être couplés) à l’origine de la rupture.

Brèche en aval immédiat du RD 900

La brèche concerne la digue en rive droite. La brèche est située sur la commune de Pia, à l’aval immédiat de la RD 900. Ses caractéristiques géométriques sont les suivantes :

  • Largeur environ 30 m,
  • La brèche est partielle. Son évolution en profondeur a été stoppée par la dalle routière,
  • La fosse a une profondeur de 4 m par rapport à la chaussée, soit environ 6 m par rapport à la crête de digue. Sa longueur est d’environ 30 m.
brèche à l'aval du RD900 prise dans l'axe de la brèche

Cause supposée de la brèche

Surverse : point bas de l’endiguement Réduction notable de la débitance du lit en raison de la végétation arborée

photo prise depuis le pont de la RD 900 montrant la forte végétalisation du lit sur environ 80% de sa largeur (photo CETE Méditerranée)

Remontées artésiennes ou sand boil

La mise en charge de la nappe par l’intermédiaire de la couche de graviers/sables de fondation provoque des remontées d’eau au travers de la couche de limons de surface, entraînant les matériaux les plus fins qui constituent les sand boils observés. Deux stades d’évolution du phénomène sont visibles. Le premier stade est celui d’un cône, le second est de type cratère, créé très certainement par effondrement du puits. La stratification horizontale est visible.

sand-boils de type cratère, on observe la stratification subhorizontale


Les leçons à tirer

Plusieurs propositions sont faites au vu de cet événement :
pour mieux gérer la crise :

  • Disposer d’une cellule technique commune pour gérer les crises digues et routières. En effet les deux problématiques sont liées : un des risques principaux en cas d’inondation derrière les digues est constitué par la présence de personnes dans des véhicules lors de l’arrivée de l’onde d’inondation d’une brèche. De plus la mobilisation d’une telle cellule, que pour les digues, serait disproportionnée et dispendieuse compte tenu du nombre de mise en alerte par an, il serait aussi difficile de motiver une équipe dans l’attente d’événements assez rares,
  • Disposer d’une liste d’experts mobilisables pour aider les gestionnaires des ouvrages et les services de l’État en cours de crise,
  • Disposer d’un plan d’évacuation et de mise en sécurité des populations basé sur le niveau de sûreté des digues, c’est-à-dire que l’évacuation des personnes puissent être achevée avant que le risque de rupture de la digue soit significatif ;

pour mieux gérer le cours d’eau :

  • Envisager la suppression d’une partie de la végétation arborée, sans faire de curage du lit, mais en maintenant des grèves sableuses ou graveleuses sur une partie importante de chaque profil en travers du lit endigué. Cette opération de restauration du lit doit être accompagnée d’un entretien fréquent pour éviter que les arbres et la végétation primaire ne repoussent et stabilisent le fond du lit. Cette opération doit bien sûr se faire en accord avec les services chargés de la sauvegarde de la biodiversité du cours d’eau et dans le respect des procédures réglementaires,
  • Étudier la faisabilité de la transformation du barrage de l’Agly en barrage écrêteur de crue actif avant de prendre toute décision sur ce type d’utilisation,
  • Prévoir au plus tôt le repérage et le relevé des laisses de crue,
  • Étudier l’influence de ces karsts dans la réaction de l’Agly,

pour mieux gérer les digues :

  • Expérimenter des moyens aéroportés pour surveiller la digue en cas de dépassement du niveau de sûreté,
  • Rechercher les moyens pour éradiquer la canne de Provence sur les digues,
  • Donner le pouvoir de police aux gestionnaires de digues afin qu’ils aient les moyens de préserver l’intégrité de leurs ouvrages,
  • Espacer la périodicité des visites techniques approfondies, qui aujourd’hui est calquée sur celle des barrages alors que les digues ne sont mises en charge qu’occasionnellement,
  • A contrario, rendre obligatoire une visite technique approfondie après une crue ayant mis en charge l’ouvrage,
  • Habiliter les personnes qui réalisent les visites techniques approfondies,
  • Classer le blaireau comme animal nuisible dès lors qu’il se terre à proximité des digues.



Le créateur de cet article est Patrick Ledoux
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