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Wikigeotech:Recommandations pour la justification de la stabilité des barrages et des digues en remblai

De Wikhydro
Version du 10 janvier 2014 à 17:18 par Yasmina Boussafir (discuter | contributions)

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Ce document a été rédigé par un groupe de travail du Comité Français des Barrages et Réservoirs (CFBR) qui a mené cette tâche sur la période de fin 2007 à début 2010. Son caractère pour le moment provisoire vise à rassembler les remarques concernant son application, en vue d'en faire un document définitif à l'échéance de deux ans.

Liste des membres qui ont contribué à ce groupe de travail : Stéphan Aigouy (BETCGB), Patrice Anthiniac (Coyne & Bellier), Bernard Couturier (Grenoble INP / ENSE3), Luc Deroo (ISL), Laurence Duchesne et Chiara Curzi (CNR), Edouard Durand (CETE Normandie-Centre), Jean-Jacques Fry et Jean-Robert Courivaud (EDF-CIH), Mathieu Galiana (Cetmef), Daniel Loudière (CTPB), Sébastien Mercklé (Cemagref), Caroline Varon (Safege), Pierre Agresti puis Bachir Touileb (Sogréah), Eric Vuillermet (BRL-i).

Paul Royet et Laurent Peyras (Cemagref) ont assuré l'animation et le secrétariat du groupe de travail.

Jean-Pierre Magnan (LCPC) et Patrice Mériaux (Cemagref) ont fait une relecture minutieuse en phase finale du document.

Sommaire

Objectif des recommandations

Le groupe de travail « Justification des barrages et digues en remblai » tend à harmoniser les pratiques françaises grâce à des recommandations pour la justification de la stabilité des barrages et des digues en remblai. A l'instar du travail réalisé pour les barrages-poids, ces recommandations s'efforceront d'adopter une présentation s'inspirant des Eurocodes, qui constituera un référentiel standard bien adapté pour une harmonisation des pratiques françaises. Nota : les recommandations à produire ne visent pas à constituer un guide de recommandations pour la conception des barrages et digues en remblai, même si certaines recommandations relevant de la conception des ouvrages seront nécessairement abordées.

Champ d'application du document

Les ouvrages rentrant dans le champ d'application du document sont :

  • les barrages en remblai : en remblai de terre ou d'enrochements ; homogènes, zonés ou à masque amont ; en charge en permanence ou écrêteurs de crues ;
  • les digues en remblai : digues en charge, digues de protection contre les inondations.

Pourquoi des recommandations pour la justification des ouvrages hydrauliques en remblai ?

Le Comité Français des Barrages et des Réservoirs a décidé de rédiger ces recommandations en partant du double constat que les pratiques françaises en matière de justification des ouvrages hydrauliques en remblai étaient hétérogènes et que les publications professionnelles disponibles présentaient également des différences sensibles entre elles. Le présent document propose donc d'harmoniser les pratiques sous forme de recommandations pour la justification de la stabilité des ouvrages hydrauliques en remblai en France. Ces recommandations adoptent le format des méthodes semi-probabilistes aux états-limites, à l'instar des Eurocodes , qui constituent un référentiel standard bien adapté pour une harmonisation des pratiques. Cette présentation a l'avantage d'être utilisée dans de nombreux règlements du génie civil. Ce document tire les bénéfices du travail précédent engagé par le CFBR et relatif aux barrages-poids. Le format des justifications est donc homogène à celui des recommandations françaises relatives aux barrages-poids, conduisant au final à un ensemble cohérent de recommandations professionnelles.

Les ouvrages hydrauliques en remblai et les Eurocodes

Les Eurocodes structuraux (EN 1990 à 1999) sont un ensemble de normes européennes destinées à proposer un cadre commun pour la conception structurale des bâtiments et des ouvrages de génie civil, couvrant les aspects géotechniques, les situations sismiques, l'exécution et les structures provisoires. Ces normes ont progressivement été transposées en normes nationales : NF EN 1990 à NF EN 1999 pour la France. Pour ce qui relève de l'application de ces textes au domaine des ouvrages hydrauliques en remblai, la norme NF EN 1990 « Bases de calcul des structures » indique dans son introduction (article 1.1. - Domaine d'application) que pour le calcul d'ouvrages spéciaux (par exemple installations nucléaires, barrages, etc.), d'autres dispositions que celles des EN 1990 à 1999 peuvent être nécessaires. De son côté, la norme NF EN 1997-1 « Eurocode 7 : Calcul géotechnique – Partie 1 : Règles générales» précise que les dispositions de la norme s'appliquent aux remblais de petits barrages et d'infrastructures (section 12 - article 12.1), sachant que la notion de « petits barrages » n'est pas définie dans l'Eurocode 7. La justification des ouvrages de génie civil en remblai (en dehors des ouvrages hydrauliques) est réglementée par l'Eurocode 7 et son annexe nationale. Cette dernière précise que les approches de calcul qui s'appliquent sont les approches 2 et 3, ce qui exclut l'utilisation de l'approche 1 en France. Frank et al. (2004) soulignent la difficulté de l'application de l'approche 2 pour la stabilité des remblais : au sein d'une même masse glissante, il existe une partie ayant un effet défavorable sur le glissement, et une partie ayant un effet favorable ; la limite entre ces deux parties étant différente pour chaque cercle de glissement testé, il devient donc délicat d'appliquer convenablement à ce stade les coefficients partiels sur les actions. Au final, même si rien ne s'oppose aujourd'hui à utiliser les approches 2 ou 3 de l'Eurocode 7 (et en particulier l'approche 3) pour la justification des petits ouvrages hydrauliques en remblai, les Eurocodes ne constituent pas un cadre intégré de justification pour les ouvrages hydrauliques en remblai et l'ingénierie a recours aux recommandations professionnelles spécialisées. Par ailleurs, la cohérence entre l'Eurocode 7 et les recommandations relatives aux ouvrages hydrauliques, en particulier en ce qui concerne les niveaux de sécurité, n'est pas connue. C'est ce contexte qui a conduit le CFBR à mettre en place un groupe de travail pour traiter de la justification des barrages et des digues en remblai.

Domaine d'application des recommandations

Ces recommandations s'appliquent à la justification de la stabilité des ouvrages hydrauliques en remblai dans le contexte français. Ces ouvrages comprennent :

  • les barrages en remblai de toutes hauteurs et de toute sorte : homogène, pseudo-homogène, zoné, à noyau central, à étanchéité amont, en enrochements, etc. ;
  • les digues de toute sorte : fluviales, de canaux, de protection contre les inondations, etc.

Les ouvrages et organes suivants peuvent nécessiter des justifications particulières qui ne sont pas traitées dans le présent document :

  • les barrages de stériles miniers ;
  • les digues de protection contre les submersions marines ;
  • les batardeaux provisoires ;
  • les remblais d'ouvrages hydrauliques en terre armée ou renforcés avec des géotextiles ;
  • les masques de barrages en béton, béton bitumineux ou les dispositifs d'étanchéité par géomembrane.

Ce document est destiné à être utilisé dans le cadre de la justification d'ouvrages neufs et du diagnostic et du confortement d'ouvrages en service. Pour les ouvrages en service, on tient compte de l'historique de l'ouvrage et des données disponibles : données de chantier, résultats de l'auscultation, essais, etc.

Démarche générale de la justification de la stabilité des ouvrages hydrauliques en remblai

Dans ces recommandations, on examine successivement : les situations de projet, les actions, les résistances, les états-limites et leurs conditions. Au final, le canevas des justifications est analogue aux pratiques actuelles, mais apparaît plus structuré et formalisé.

Les situations de projet (partie 1) sont classées en trois catégories différenciées par l'intervalle de temps pendant lequel les distributions de toutes les données (actions, résistances) sont considérées comme constantes :

  • les situations normales d'exploitation. Elles se réfèrent aux conditions de d'exploitation normale de l'ouvrage ;
  • les situations transitoires ou rares. Elles se réfèrent à des conditions temporaires de fonctionnement ou à des probabilités d'occurrence assez élevées sur la durée de vie de l'ouvrage ;
  • les situations accidentelles (ou extrêmes – par référence aux publications de la CIGB). Elles se réfèrent à des conditions extrêmes applicables à l'ouvrage ou à des probabilités d'occurrence faibles sur la durée de vie de l'ouvrage.
Situation Description Etats Limites
Situation normale d'exploitation de retenue pleine, à long terme Etablissement du régime permanent de piézométrie dans le corps du barrage à retenue pleine. Glissement de talus aval. Soulèvement hydraulique du pied aval. Tassements excessifs.
Situation normale d'exploitation à retenue basse, à long terme Abaissement normal (annuel par exemple) du plan d'eau après que le régime permanent a été établi. Régime transitoire car les pressions interstitielles n'ont pas nécessairement eu le temps de se dissiper. Glissement du talus amont
Situation transitoire de fin de construction, et remplissage partiel Pour les remblais argileux ou sur sols compressibles, cette situation peut correspondre à des maxima de pressions interstitielles, qui se seraient développées pendant la construction et ne se seraient pas dissipées. Glissement du talus amont ou du talus aval. Défaut de portance de la fondation.
Situation rare de crue (barrages écrêteurs de crues) Etablissement du régime permanent de piézométrie dans le corps du barrage ou calcul hydraulique en régime transitoire, selon la durée des crues et la perméabilité des matériaux du remblai. Glissement du talus aval. Soulèvement hydraulique du pied aval.
Situation exceptionnelle de crue. Elévation du plan d'eau après que le régime permanent a été établi. Régime transitoire car les pressions interstitielles n'ont pas nécessairement eu le temps de s'établir. Glissement du talus aval. Soulèvement hydraulique du pied aval.
Situation transitoire de vidange rapide. Abaissement rapide du plan d'eau après que le régime permanent a été établi. Attention aux premières vidanges des remblais très argileux. Glissement du talus amont.
Situation rare d'altération du contrôle des écoulements. Les risques d'altération ou de rupture des dispositifs d'étanchéité ou de drainage sont évalués (dégradation d'un rideau, voile ou masque d'étanchéité, colmatage d'un drain...). On cherche ici le scénario possible d'altération, tenant compte des dispositions d'auscultation et d'entretien adoptées. Glissement du talus amont ou du talus aval. Soulèvement hydraulique du pied aval.
Situation rare de séisme SBE Occurrence du séisme SBE alors que la retenue est pleine. Effet des efforts d'inertie, et surtout, dans certains cas, augmentation des pressions interstitielles voire liquéfaction. Déformations excessives.
Situation accidentelle de défaillance du contrôle des écoulements Les risques d'altération ou de rupture des dispositifs d'étanchéité ou de drainage sont évalués (dégradation d'un rideau, voile ou masque d'étanchéité, colmatage d'un drain...). On cherche ici le scénario accidentel de rupture, tenant compte des dispositions d'auscultation et d'entretien adoptées. Il peut notamment s'agir d'une rupture ou défaillance suite à des événements accidentels (séisme, malveillance...) Glissement du talus amont ou du talus aval. Soulèvement hydraulique du pied aval.
Situation extrême de crue Atteinte de la cote de danger, qui conduit par ailleurs à un ELU d’érosion (interne ou externe). Glissement du talus aval.
Situation accidentelle de séisme SES Occurrence du séisme SMP alors que la retenue est pleine. Effet des efforts d'inertie, et surtout, dans certains cas, augmentation des pressions interstitielles voire liquéfaction. Glissement des talus (surtout aval).

Pour les ouvrages hydrauliques en remblai, il est apparu nécessaire d'introduire une catégorie spécifique de situations de projet liée aux crues que l'ouvrage est susceptible de subir durant sa vie : les situations de crue. On y distingue trois catégories : les situations rares de crue (dédiées à la justification des barrages écrêteurs de crue et des digues de protection contre les inondations), les situations exceptionnelles de crue (correspondant à la pratique des Plus Hautes Eaux - PHE) et les situations extrêmes de crue (au-delà de laquelle l'intégrité de l'ouvrage ne serait plus assurée).

Les actions sont réparties en trois catégories:

  • les actions permanentes (partie 1) : essentiellement le poids propre de la structure ;
  • les actions variables : les actions de l'eau qui, vu leur importance, constituent une partie spécifique du document (partie 3 traitant des modèles hydrauliques) ;
  • les actions accidentelles : en particulier l'action du séisme d'évaluation de sécurité - SES.

Les actions permanentes sont prises en compte dans les calculs à partir de leur valeur caractéristique : celle-ci correspond à une estimation prudente de l'intensité de l'action et intègre donc la marge de sécurité sur l'intensité des actions permanentes. Pour les actions variables (les actions de l'eau), les valeurs représentatives sont choisies directement dans les différentes situations de projet en examinant les niveaux de remplissage de la retenue et les intensités qui en résultent. La modélisation hydraulique vise à fournir le champ des pressions interstitielles et le champ des gradients hydrauliques au sein de l'ouvrage en fonction des conditions aux limites hydrauliques appliquées. Enfin, l'action accidentelle sismique est définie en fonction du séisme d'évaluation de sécurité - SES. Notons que l'aléa sismique n'est pas traité dans ces recommandations, car il fait actuellement l'objet d'un travail spécifique conduit au sein d'un groupe de travail ad-hoc (GT « Séismes et barrages ») ; le cas échéant, il sera donc nécessaire de consulter le rapport à paraître.

La formalisation des données géologiques et géotechniques en vue de la justification d'un ouvrage hydraulique en remblai comprend les trois étapes suivantes (partie 2) :

  • le modèle géologique de la fondation vise à fournir des informations sur le niveau de fondation, sa capacité portante, son étanchéité ainsi que d'apprécier la stabilité des appuis de l'ouvrage, les risques de tassements différentiels et d'érosion de la fondation ;
  • le modèle géométrique dresse ensuite une représentation simplifiée de la géométrie de l'ouvrage et de sa fondation ;
  • le modèle géotechnique de la fondation et du remblai définit un cadre de représentation des propriétés hydrauliques et mécaniques des fondations et de l'ouvrage.

Les propriétés de résistance des matériaux sont prises en compte dans les calculs à partir de leur valeur caractéristique (partie 2) : celle-ci correspond à une estimation prudente de la valeur de la résistance du matériau et intègre donc une partie de la sécurité sur les valeurs des résistances. Dans les Eurocodes, cette prudence dans l'estimation des paramètres est prise en compte par un fractile à 95% (ou 5% selon le caractère favorable ou défavorable) de la loi de distribution de la résistance considérée. La valeur caractéristique d'une propriété correspond donc à une valeur ayant une fréquence donnée de ne pas être atteinte lors d'une hypothétique série illimitée d'essais. L'évaluation des résultats d'essais par des méthodes statistiques ne peut être réalisée que lorsque les données proviennent de populations identifiées suffisamment homogènes et qu'un nombre suffisant d'observations est disponible. Toutefois, l'utilisation des statistiques n'est que rarement possible et n'est pas toujours pertinente. L'estimation prudente doit alors faire appel au jugement de l'expert, à partir des résultats d'essais disponibles ou à partir de valeurs guides issues de la littérature. La valeur caractéristique correspond ainsi à une estimation experte prudente de la valeur de l'action ou de la résistance du matériau, responsable de l'apparition des états-limites.

On justifie la stabilité des barrages en remblai pour différents états-limites, c'est-à-dire pour différents phénomènes préjudiciables contre lesquels on cherche à se prémunir. Les recommandations traitent des états-limites de glissement et de stabilité d'ensemble, des états-limites de déformation (tassement et défaut de portance) et de l'état-limite de soulèvement hydraulique du pied aval (partie 4). Pour les digues, on ajoute aux états-limites précédents les états-limites d'affouillement et d'érosion des berges (parties 5 et 6).

Certains états-limites n'ont pas été traités dans ces recommandations, dans l'attente des résultats relatifs à des travaux en cours de réalisation :

  • l'état-limite de stabilité en situation sismique : le ministère chargé de l'écologie a engagé un travail de synthèse sur la question des méthodes de justification de la stabilité au séisme des ouvrages hydrauliques ;
  • les états-limites de résistance à l'érosion interne et à la surverse : le projet de recherche ERINOH (ERosion INterne des Ouvrages Hydrauliques) a conduit à la mise en chantier d'un guide technique destiné en particulier à proposer des critères de justification de ces états-limites.

Pour chaque état-limite, on écrit la condition d'état-limite (parties 4, 5 et 6), qui fait intervenir :

  • les actions, prises en compte au moyen des valeurs caractéristiques pour les actions permanentes et au moyen des valeurs représentatives correspondant aux situations de projet pour les actions de l'eau ;
  • les propriétés de résistances, prises en compte au moyen des valeurs caractéristiques. Chaque valeur caractéristique est pondérée par un coefficient partiel – noté ?m - prenant en charge l'incertitude pesant sur la connaissance de la propriété. Le jeu de coefficients partiels adopté a été inspiré par l'approche 3 de l'Eurocode 7, modulé par la pratique de la justification des ouvrages hydrauliques qui introduit une différentiation des coefficients partiels selon la situation de projet ;
  • le coefficient de modèle, s'appliquant de façon conventionnelle du côté du terme moteur de la condition d'état-limite. Le coefficient de modèle – noté ?d – prend en charge toutes les incertitudes ne relevant pas de la connaissance des propriétés de résistance, en particulier les incertitudes relatives au modèle hydraulique et au modèle d'état-limite. En pratique, les coefficients de modèle ont été obtenus par calibration conventionnelle, le principe consistant à rechercher la meilleure équivalence entre les niveaux de sécurité de la méthode semi-probabiliste proposée et ceux résultant des pratiques traditionnelles déterministes, de manière à s'éloigner le moins possible – en moyenne – des dimensionnements classiques. Ainsi, le coefficient de modèle joue le rôle d'ajustement entre les critères déterministe et semi-probabiliste.

Lien

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