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Changement climatique - acidification de l'océan

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Etudes & Documents n°55.jpg

Cette page fait partie de l'ouvrage intitulé "Impacts à long terme du changement climatique sur le littoral métropolitain" édité sous le numéro 55 d'octobre 2011 dans la collection "Etudes et ducuments" du Commissariat Général au Développement Durable du ministère en charge du Développement durable. Le sommaire et la présentation de l'ouvrage sont disponibles sur WIKHYDRO.

Sommaire

Ce que l’on constate actuellement

L’acidité de l’océan augmente au fur et à mesure de l’absorption du dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère. Les mesures montrent que le pH en surface a diminué de 0,1 unité depuis 1750. La surface de l’océan a absorbé près de la moitié de l’augmentation des émissions de CO2 dues à l’utilisation des énergies fossiles ces 250 dernières années, réduisant d’autant le CO2 restant dans l’atmosphère [2].

Description du phénomène

« L’acidification de l’océan » désigne la diminution du pH de l’eau de mer (d’environ 0,1 unité dans les eaux de surface depuis 1800, début de l’ère industrielle) (Une diminution de 0,1 unité pH équivaut à une augmentation de 30 %de la concentration en ions H+), due à l’absorption du dioxyde de carbone atmosphérique. Aujourd’hui, l’océan stocke la moitié du CO2 anthropique émis entre 1800 et 1994, et il a absorbé le tiers des émissions récentes [41]. En 1800, la pression partielle p(CO2) du CO2 atmosphérique était de 280 ppm. Elle a atteint 330 ppm dans les années 1970 (+50 ppm en 170 ans), puis 384 ppm en 2007 (+50 ppm en 30 ans).
Au cours de la décennie 90, l’océan a piégé 2,2 ± 0,5 Pg/an (1 Pg = 1 milliard de tonnes) de carbone anthropique. Du fait de leur étendue et de leur température froide, ce sont les régions océaniques extratropicales de l’hémisphère sud (entre 30°S et 50°S) qui absorbent la majorité du CO2 anthropique, même si c’est en Atlantique nord que les
quantités piégées par unité de surface sont les plus élevées : l’Atlantique nord, avec 15 % de la superficie de l’océan mondial, contient 23 % de la totalité du CO2 anthropique absorbé par l’océan.
Dans les eaux mélangées de surface, le CO2 dissous est en quasiéquilibre avec le CO2 atmosphérique. Il réagit avec l’eau de mer pour former de l’acide carbonique H2CO3, qui se dissocie en ions bicarbonate (HCO3), carbonate (CO3 2–) et hydrogène (H+) suivant les réactions :
CO2 + H2O ↔ H2CO3 ↔ HCO3 + H+ ↔ CO32– + 2 H+
Dans les conditions actuelles d’équilibre thermodynamique, à pH = 8,2, la forme dominante de carbone est l’ion bicarbonate HCO3 (~ 88 %), les autres formes (CO32– et CO2) étant peu présentes (11 % et 0,5 % respectivement.). Ces proportions peuvent être légèrement modifiées en fonction de la température, de la salinité et de la pression (cf. infra).
L’équilibre entre les trois formes explique le « pouvoir tampon de l’eau de mer ». L’absorption du CO2 entraîne la formation de bicarbonate à partir d’ions H+ et CO32–, réaction qui freine la diminution du pH, mais d’autant moins que la concentration en CO2 croît et que diminue la concentration en ions CO32–. C’est l’une des causes du maintien du pH des eaux marines superficielles entre des limites relativement étroites (pH ≈ 8,1 en moyenne), avec des fluctuations de ± 0,3 unités attribuables à plusieurs facteurs tels que la variabilité saisonnière (augmentation du pH avec la température), les conditions hydrodynamiques (upwelling, i.e. remontée d’eau profonde riche en CO2), ou autres conditions régionales (influence des bassins versants en domaine côtier).
Dans les eaux de surface, les valeurs les plus élevées du pH correspondent aux zones de forte productivité, où le CO2 sous forme de carbone inorganique dissous (CID) est fixé par le phytoplancton. Une partie de ce carbone intégré, à la matière organique, chute vers les eaux profondes et y demeure pendant plusieurs siècles. À l’échelle de l’océan mondial, cette « pompe biologique » crée un gradient surface-fond qui mobilise une quantité de CID 3,5 fois supérieure à celle du CO2 atmosphérique, d’où l’intérêt accordé à l’impact des changements du fonctionnement de la pompe biologique sur la composition de l’atmosphère.
Mais cette pompe biologique interagit avec la « pompe de solubilité ». Cette dernière est engendrée par le fait qu’à l’équilibre, la pression de vapeur saturante du CO2 entre la phase liquide et la phase gazeuse ne dépend que de la température. Pour atteindre cet équilibre, la solubilité du CO2 augmente quand la  empérature décroît, d’où l’entraînement d’eaux enrichies en CO2 vers le fond aux hautes latitudes, alors que la solubilité diminue aux basses latitudes, allant jusqu’à dégazer du CO2 dans les régions chaudes.
Globalement, la pompe de solubilité contribue aujourd’hui d’environ 30 à 40 % au gradient surface-fond du CID, les deux autres tiers de ce gradient étant attribuables à la pompe biologique.

Modification chimique de l’environnement des organismes marins

De nombreux organismes marins élaborent des structures calcifiées en précipitant le carbonate de calcium (CaCO3) sous deux formes de structures cristallines, l’aragonite et la calcite. On trouve la calcite par exemple chez les Coccolithophoridés (unicellulaires planctoniques photosynthétiques) (La chute des aparticules de CaCO3 biogénique (élaborées par le phytoplancton calcifié) diminue la concentration de CID dans les couches superficielles, et contribue à accroître la p(CO2). Ce pénomène est appelé « pompe d’alcalinité »), chez les Échinodermes (i.a. oursins, étoiles de mer) et chez de nombreux Crustacés, et l’aragonite chez les coraux (tropicaux ou d’eaux froides). Les deux formes sont présentes – et souvent associées – chez la plupart des Mollusques (Il convient d’ajouter que plusieurs groupes d’organismes – en particulier les algues rouges coralligènes, les foraminifères benthiques, les bryozoaires et les échinodermes – élaborent de la Mg-calcite, c’est-à-dire de la calcite enrichie en ion magnésium. La solubilité de la Mg-calcite contenant une proportion significative de mgCO3 est supérieure à celle de l’aragonite).
La précipitation et la dissolution du CaCO3 sont contrôlées par la concentration des ions CO32–. Le degré de saturation de l’eau de mer en carbonates (Par définition : Ω = [Ca2+][CO3 2-]/Ksp *, où la constante d’équilibre Ksp* est le produit de solubilité. Aujourd’hui, la concentration [Ca2+], essentiellement fonction de la salinité, est sensiblement constante dans l’océan. Les variations de Ω expriment principalement celles de [CO32-]) est noté Ω. L’eau de mer est dite sous-saturée en CaCO3 (i.e., corrosive pour les carbonates, Ω < 1) quand la concentration en ions CO32– est insuffisante pour compenser la dissolution du CaCO3, et réciproquement sursaturée en CaCO3 quand la précipitation du CaCO3 est favorisée (Ω > 1). La valeur Ω = 1 définit dans l’océan une frontière naturelle, appelée « horizon de saturation en carbonates ». La solubilité du CaCO3 augmentant avec la pression et diminuant avec la température, le CaCO3 se dissout au-dessous de l’horizon de saturation, qui se situe aujourd’hui entre 1 500 m et 5 000 m de profondeur pour la calcite (de 500 m à 2 500 m pour l’aragonite qui est plus soluble).

État des connaissances

Les effets de cette acidification des océans observée sur la biosphère marine n’ont pas été documentés jusqu’à présent [28].
Malgré l’impact potentiel de l’acidification de l’océan sur les écosystèmes marins, les recherches engagées sur ce sujet n’en sont encore qu’à leur début, Il s’ensuit un fort contraste entre la relative robustesse des prévisions d’évolution du pH des eaux marines d’une part, et la quasi-ignorance des effets futurs de l’acidification sur les organismes et les écosystèmes marins d’autre part.

Ce qui pourrait se passer

Les simulations fondées sur les scénarios du RSSE prévoient une réduction du pH de surface des océans comprise entre 0,14 et 0,35 unité en moyenne mondiale au cours du 21e siècle [2].
Le processus d’acidification réduira la capacité de l’océan à capter le CO2 de l’atmosphère, ce qui se traduira dans les évolutions climatiques futures, par une accélération de l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère.
L’accroissement de l’acidité des océans devrait avoir des impacts négatifs majeurs sur le processus de constitution de coquilles ou de squelettes d’organismes marins [42].
Évolution future du pH océanique – remontée de l’horizon de saturation des carbonates Dans tous les scénarios envisagés par le GIEC, la pression partielle
p(CO2) continuera de croître dans les prochaines décennies : de 384 ppm en 2007, elle pourrait atteindre 700 ppm (scénario A1B) à plus de 900 ppm (scénario A1FI) en 2100. Si les émissions se poursuivaient au taux actuel, la moyenne du pH des eaux marines superficielles (≈ 8,1 aujourd’hui) pourrait atteindre 7,7 vers la fin du XXIème siècle. Les simulations indiquent que la plus forte acidification se produira en Arctique, où le pH est aujourd’hui supérieur à la moyenne globale de 0,06 unités. Au cours du 21e siècle, le pH diminuerait en Arctique de 0,23 (scénario B1) à 0,45 unités (scénario A2) [43].
L’acidification de l’océan entraînera la remontée de l’horizon de saturation [10]. Pour l’aragonite par exemple, et selon le modèle IPCC IS92a, l’horizon Ωarag=1 atteindra avant 2100 la surface de l’océan austral, où sa profondeur moyenne est aujourd’hui de 730 m. Il s’élèvera de 2 600 à 115 m dans l’Atlantique nord, et de 140 m à la surface dans plusieurs zones du Pacifique situées au nord du parallèle 50°N : vers la fin du 21e siècle (concentration prévue du CO2 atmosphérique ≈ 780 ppm), l’ensemble de la surface de l’océan austral au sud du parallèle 60°S sera sous-saturée en aragonite (Ωarag<1), ainsi qu’une partie du Pacifique nord. En revanche, les eaux superficielles tropicales et subtropicales demeureront sursaturées en aragonite et en calcite, à des degrés moindres cependant dans les zones d’upwelling. Globalement, comparées à ce qu’elles sont aujourd’hui, les valeurs moyennes des concentrations [CO3 2–] et des degrés de saturation Ωarag et Ωcalc des eaux superficielles de l’Océan mondial auront diminué de moitié.

Quels futurs impacts sur les organismes et les écosystèmes marins ?

L’évolution du degré de saturation en carbonates est un descripteur communément utilisé de l’acidification de l’océan. D’un point de vue physiologique, ces indicateurs sont certes utiles, mais insuffisants à révéler les mécanismes qui, in fine, contrôlent la biocalcification.

Producteurs primaires phytoplanctoniques

Responsable de la moitié de la production autotrophe (L’autotrophie désigne la capacité de certains organismes vivants à produire de la matière organique en procédant à la réduction de matière inorganique, par exemple le carbone (le dioxyde de carbone) ou encore l’azote (sous forme de NO3 ou de N2). Cela s’accompagne d’un prélèvement de sels minéraux dans le milieu (ions nitrate, phosphate, …). Les organismes autotrophes sont donc capables de se développer dans un milieu ne contenant que du carbone minéral, contrairement à un organisme hétérotrophe qui devra se procurer des molécules organiques (idem pour l’azote)  de la biosphère, et fournissant 99% de la matière organique utilisée par les réseaux trophiques marins, le phytoplancton mérite une attention particulière. La sensibilité de la photosynthèse au CO2 peut être modifiée par la température, l’énergie lumineuse incidente et la disponibilité en nutriments. Par ailleurs, la sensibilité de la photosynthèse dépend en grande partie de la RubisCO, une enzyme (La Ribulose-1,5-biphosphate carboxylase/oxygénase (RubisCO) est une enzyme ancienne qui a évolué en conditions de p(CO2) élevée et de faible concentration en oxygène, et dont la constante de demi-saturation, comprise entre 20 et 185 μmol/l, impose des contraintes à l’assimilation du CO2 dans les eaux où il est faiblement concentré (5 à 25 μmol/l) peu affine pour le CO2.
Selon les connaissances actuelles, les concentrations en CO2 des eaux marines superficielles de la fin de ce siècle ne devraient sensiblement modifier ni la photosynthèse ni la croissance de la majorité des microorganismes. Une grande part des changements sera plutôt déterminée par l’hydrologie (e.g. modification de température, renforcement de la stratification des eaux de surface entraînant une diminution de la disponibilité en nutriments, cf. infra).
La prise en compte des principaux facteurs qui gouvernent la production primaire océanique conduit à l’hypothèse d’une baisse de cette production dans les eaux tropicales et intertropicales, d’une augmentation sous les hautes latitudes, et d’un déplacement des grandes provinces biogéographiques vers les pôles. Au plan de la composition des communautés, des expériences de longue durée seront nécessaires pour identifier les organismes pourvus d’un potentiel adaptatif qui leur confèrerait un avantage dans un environnement enrichi en CO2.
Le basculement de l’écosystème de haute mer vers un nouvel état doit aussi être envisagé. Il serait déclenché par la réduction du flux des sels nutritifs dans la couche de surface. Dans les régions les plus productives de l’océan, il pourrait s’ensuivre une recomposition de la communauté phytoplanctonique qui aboutirait
à une diminution considérable du flux de matière disponible pour les niveaux supérieurs (e.g. poissons prédateurs).
De plus, depuis les microorganismes jusqu’aux poissons, le réchauffement tend à accroître le taux du métabolisme et à favoriser la respiration, processus biologique dont le bilan est globalement « symétrique » de celui de la photosynthèse. In fine, dans les eaux superficielles plus chaudes et plus stratifiées de l’océan, des réseaux trophiques de plus faible rendement énergétique pourraient s’installer, entraînant une chute de la production des ressources vivantes (poissons, mollusques) exploitées pour la consommation humaine.

Invertébrés et poissons marins

À la différence des cellules des organismes marins unicellulaires qui baignent dans l’eau de mer (e.g., les cellules phytoplanctoniques), les cellules des invertébrés et des poissons marins1 sont au contact d’un liquide corporel extracellulaire (sang, hémolymphe, liquide coelomique) qui assure le transport convectif
de diverses substances, dont les gaz dissous (O2, CO2) associés à la respiration. Ces liquides extracellulaires sont les premiers influencés par le changement des propriétés physico-chimiques de l’eau de mer. Étant donné que les performances des fonctions physiologiques dépendent de la régulation de la composition
ionique et du pH de ces fluides, le pH extracellulaire (pHe) a été proposé comme « paramètre unificateur » dans l’étude de la réponse fonctionnelle des organismes marins, considérant que la sensibilité aux variations de CO2 (de long terme et/ou impulsionnelles) est vraisemblablement plus élevée chez ceux dont
les capacités de régulation du pHe sont les plus faibles [44].
On considère aujourd’hui les poissons, les mollusques céphalopodes et les crabes comme le groupe dont les performances (croissance, reproduction, locomotion) seront les moins altérées (On ne traite ici ni des mammifères et reptiles marins, ni des oiseaux de mer) par l’excès de CO2. En revanche, la sensibilité à l’excès de CO2 de nombreux organismes calcifiés – tels les mollusques bivalves (e.g. huîtres, moules) ou les échinodermes (e.g. oursins) – pourrait être imputée au fait qu’ils sont sessiles, de faible niveau métabolique, et que le contrôle de leur pHe est limité [45].
Progresser dans la prévision des impacts des changements environnementaux sur les organismes marins requiert la prise en compte simultanée des principaux facteurs à l’oeuvre dans le monde réel, en particulier l’occurrence conjointe de l’acidification et du réchauffement de l’océan : comprendre la réponse des
organismes marins nécessite d’intégrer les effets conjugués de l’accroissement de température, de l’excès de CO2 et du déficit en oxygène, qui concourent à altérer la capacité à réguler le pHe.
Une conséquence vraisemblable de l’acidification des eaux de surface et de la diminution de la concentration en oxygène associées au changement climatique est le « rétrécissement des habitats marins ». Par exemple l’encornet géant du Pacifique oriental (prédateur supérieur pélagique), confronté à la combinaison de l’acidification, de l’augmentation de la température et de la remontée du minimum d’oxygène, serait contraint à sensiblement réduire l’amplitude de ses migrations nycthémérales (Chez certains poissons, un doublement de la p(CO2) de l’eau de mer n’entraîne qu’une augmentation de 10% de la p(CO2) du sang) afin de conserver ses performances fonctionnelles [46].
Il reste à acquérir de nombreuses connaissances, notamment dans la compréhension des effets biologiques et écologiques de l’acidification de l’océan, tant au niveau des individus et des populations qu’au plan des interactions entre espèces, sans omettre les capacités d’acclimatation-adaptation de ces dernières.
L’identification des effets synergiques du CO2, de la température et de l’oxygène (Les migrations se déroulent durant un jour et une nuit pour correspondre au cycle biologique) demeure un préalable à la production de scénarios visant à approcher l’impact du changement climatique dans l’océan de demain.

Rétroactions (feedbacks), phénomènes à seuil et points de basculement (tipping points)

L’augmentation de la concentration du CO2 atmosphérique et l’acidification de l’océan sont deux phénomènes indissociables, en particulier liées par le fonctionnement des écosystèmes marins.
Ces écosystèmes sont complexes, leurs composantes répondant de façon non linéaire à une vaste gamme de stimuli. Leur dynamique obéit à de multiples pressions, mais provoque également des effets retours qui amplifient ou atténuent les impacts, et subit parfois à des phénomènes à seuil qui entraînent un basculement irréversible vers une nouvelle dynamique. De la conjugaison de cet ensemble de phénomènes naît la difficulté d’identification et d’anticipation
des changements causés par l’acidification de l’océan, comme l’attestent les quelques exemples qui suivent.

  • L’accroissement de la pression partielle du CO2 atmosphérique entraîne l’augmentation de la température superficielle de l’océan, effet qui rétroagit sur la p(CO2) atmosphérique en affaiblissant la pompe de solubilité, affaiblissement de la pompe favorisé aussi par le ralentissement de la cellule méridienne de retournement de l’Atlantique nord. D’ici à la fin du 21e siècle, la quantité de carbone piégé par l’océan pourrait ainsi être réduite de plusieurs dizaines de gigatonnes, estimation entachée par les incertitudes afférentes au rôle de puits de carbone de l’océan austral.
  • Au surplus, l’augmentation de la p(CO2) atmosphérique accroît la concentration en ions bicarbonate HCO3– dans les eaux de surface, d’où une diminution de la concentration en ions carbonate CO32-. L’effet rétroactif est une réduction du « pouvoir tampon » de l’océan vis-à-vis de l’excès de CO2. À la fin du 21e siècle, la capacité moyenne de l’eau de mer à piéger l’accroissement de CO2 atmosphérique pourrait être inférieure au tiers de ce qu’était cette capacité en 1750. Corrélativement, les degrés de saturation Ωarag et Ωcalc auront globalement diminué de moitié.
  • La pompe biologique subira de nombreuses pressions dont l’effet résultant est aujourd’hui quasi-impossible à inférer. Des températures en moyenne plus élevées – à cause de l’accroissement de la p(CO2) atmosphérique – entraîneront des bouleversements des écosystèmes pélagiques. Le phytoplancton sera soumis à des effets antagonistes du réchauffement (une stratification thermique renforcée tend à le confiner dans les eaux superficielles où il bénéficie d’un maximum d’énergie lumineuse, mais elle tend aussi, en diminuant le mélange vertical, à réduire l’apport en nutriments). Selon toute vraisemblance, la variabilité spatio-temporelle de la hiérarchie des facteurs de changement engendrera des effets régionalement contrastés, selon la latitude notamment – sans exclure le risque de basculement vers des réseaux trophiques moins énergétiques, comme mentionné précédemment.
  • Un seuil de basculement pourrait aussi être franchi dans les régions océaniques où les eaux superficielles deviendront corrosives pour les carbonates. D’ici deux à trois décennies, l’horizon de saturation pourrait apparaître en surface sous les hautes latitudes (en Arctique et dans l’océan austral, pendant les hivers boréal et austral respectivement), et impacter –entre autres– un mollusque pélagique de petite taille (ptéropode du genre Limacina) dont une partie du développement larvaire se déroule en hiver. Les Limacina, qui élaborent une coquille carbonatée, forment des concentrations denses d’individus et sont une espèce-clé des réseaux trophiques de l’océan austral [16]. C’est l’une des raisons qui conduisent à s’intéresser à la viabilité de leurs populations dans des eaux acidifiées, l’autre étant leur contribution (~10 %) au flux de CaCO3 exporté vers l’océan profond.
  • Sous les basses latitudes, il existe un fort risque de changement d’état des écosystèmes coralliens [47], dû aux effets combinés de la diminution du degré de saturation en carbonates dans les eaux superficielles, de l’augmentation de la température, de l’amplification des phénomènes météorologiques extrêmes, de l’élévation du niveau de la mer, et de l’anthropisation des zones côtières en milieu tropical. Compte tenu de la grande variété des services écosystémiques (sensu Millenium Ecosystem Assessment, 2005) rendus par les écosystèmes coralliens, leur « collapsus fonctionnel » engendrerait des pertes dont l’ampleur reste difficile à évaluer aujourd’hui.

Conclusion

En conclusion, l’acidification de l’océan, couplée à d’autres moteurs de changement, entraînera de profondes perturbations,

  • des processus physico-chimiques (pompe de solubilité) et biogéochimiques (pompe biologique),
  • des réseaux trophiques marins (aux plans de la structure, des interactions entre espèces, et de la productivité),
  • et plus généralement du fonctionnement des écosystèmes (par exemple, les récifs coralliens).

Les écosystèmes d’un « océan acidifié » –et réchauffé– ne seront pas identiques à ceux d’aujourd’hui. Les changements sont quasiimpossibles à prévoir, compte tenu de l’état fragmentaire des connaissances afférentes à la dynamique de la biodiversité. La mosaïque des états futurs dépendra des différences de capacité d’adaptation des espèces aux modifications de leurs interactions biologiques d’une part (prédation, symbiose, parasitisme, etc.), à celles des propriétés physico-chimiques de leurs habitats d’autre part.

Les effets possibles sur les milieux, les territoires littoraux et les activités humaines.

Hormis dans le cas des territoires côtiers dont l’économie générale dépend des nombreuses macro fonctionnalités des récifs coralliens, l’impact spécifique de l’acidification sur la recomposition des communautés animales et végétales marines « locales » sera difficilement dissociable des effets d’autres facteurs (température, influences des bassins versants, etc.). L’acidification, si elle entraînait des bouleversements des réseaux trophiques marins, pourrait cependant contribuer significativement à un impact sur les activités de pêche et d’aquaculture.

Impacts possibles sur les milieux et les territoires
Types de territoires et milieux exposés Nature des impacts
Océan global

Diminution possible de la productivité de l’océan sous les
basses latitudes, vs. accroissement sous les hautes latitudes.

Risque de changement d’état des écosystèmes pélagiques, et
diminution globale de la disponibilité en ressources
alimentaires marines traditionnelles.

Territoires côtiers et insulaires de la ceinture tropicale Altération des services d’origine écosystémique spécifiques des
écosystèmes coralliens tropicaux
Impacts possibles sur les activités humaines
Type d’activité Impacts
Pêche Disponibilité en ressources alimentaires marines

 Bibliographie

[2] GIEC, 4ème rapport du GIEC – Bilan 2007 des changements climatiques – rapport de synthèse – résumé à l’intention des décideurs (version française non officielle), 2007.
[10] WOODWORTH P.L., HOLGATE S.J., “Evidence for enhanced coastal sea level rise during the 1990s”, Geophys. Res. Lett., vol. 31, 2004, L07305.
[16] MORTON R., Historical Changes in the Mississippi-Alabama Barrier Islands and the Roles of Extreme Storms, Sea Level, and Human Activities, s.l., USGS Open-File Report, report 2007-1161, 2007, 42 p. http://pubs.usgs.gov/of/2007/1161/OFR-2007-1161-screen.pdf
[28] GIEC, Contribution du Groupe de travail II au 4ème rapport d’évaluation du GIEC, Bilan 2007 des changements climatiques, résumé à l’intention des décideurs, version en français non officielle, 2007.

[41] COWELL P.J., THOM B.G., ROBERT A.J., CRAIG H.E., Reply to: Pilkey, O.H. and Cooper, J.A.G., 2006, Discussions of Cowell et al., “Management of uncertainty in predicting climate change impacts on beaches ”, Journal of Coastal Research, vol. 22, n°1, 2006, pp. 232-245.
[42] SABINE C.L., FEELY R.A., GRUBER N., KEY R.M., LEE K., BULLISTER J.L., WANNINKHOF R., WONG C.S., WALLACE D.W.R., TILBROOK B., MILLERO F.J., PENG T.H., KOZYR A., ONO T., RIOS A.F., “The oceanic sink for anthropogenic CO2”, Science, vol. 305, n° 5682, 2004, pp. 367-371.
[43] MARINE CLIMATE CHANGE IMPACTS PARTERNSHIP – MCCIP, Marine climate change impacts – Annual report card 2007- 2008, 2008. www.mccip.org.uk/arc
[44] STEINACHER M., JOOS F., FRÖLICHER T.L., PLATTNER G.K., DONEY S.C., “Imminent ocean acidification in the Arctic projected with the NCAR global coupled carbon cycle-climate model”, Biogeosciences, n°6, 2009, pp. 515–533.
[45] PÖRTNER H.O., “Ecosystem effects of ocean acidification in times of ocean warming: a physiologist’s view”, Mar Ecol Prog Ser., vol. 373, 2008, pp. 203-217.
[46] MELZNER F., GUTOWSKA M.A., LANGENBUCH M., DUPONT S., LUCASSEN M., THORNDYKE M.C., BLEICH M., PÖRTNER H.O., “Physiological basis for high CO2 tolerance in marine ectothermic animals : pre-adaptation through lifestyle and ontogeny?”, Biogeosciences, n°6, 2009, pp. 2313–2331.
[47] ROSA R., SEIBEL B.A., “Synergistic effects of climate-related variables suggest future physiological impairment in a top oceanic ”, PNAS, vol. 105, n°52, 2008, pp. 20776-20780.




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