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Gérer l'espace alluvial d'une rivière mobile : l'exemple de l'Allier

De Wikhydro

Les enjeux et problèmes de gestion de l'espace alluvial posés par les cours d'eau mobiles et dynamiques tels que la rivière Allier.

Par :

  • Justin Lecomte, Chargé d'affaires en Hydrologie (Hydrogéologie, Hydromorphologie) et Ressources en Eau au Centre d'Études Techniques de l'Équipement de Lyon, Département Laboratoire de Clermont-Ferrand, unité Hydrosystèmes et Corridors FLuviaux,
  • Catherine Neel, Chargée de mission Eau et Déchets au Centre d'Études Techniques de l'Équipement de Lyon, Département Laboratoire de Clermont-Ferrand, unité Hydrosystèmes et Corridors FLuviaux.

Résumé

La gestion de l'espace alluvial d'une rivière mobile pose de nombreux problèmes tels l'érosion des berges, la recapture d'anciennes gravières, l'affouillement de ponts, la déstabilisation des plateformes routières ou ferroviaires…). C'est pourquoi l'homme a longtemps cherché à fixer les chenaux des rivières. Ces tentatives sont vaines dans le cas de rivières dynamiques telles que la rivière Allier. Il s'agit alors de définir l'espace de mobilité de la rivière et d'analyser la dynamique fluviale afin de mieux intégrer les cycles naturels de destruction-régénération des milieux alluviaux (bancs, ripisylve, berges) et de prévenir les risques associés à la mobilité du cours d'eau (recapture de gravière, déchaussement de pont, sape de plateformes routières ou ferroviaires ...). C'est dans cet état d'esprit de gestion des aménagements en fonction de la dynamique de la rivière que travaillent le Conservatoire des Espace Naturels Auvergne (CEN-Auvergne) et le CETE de Lyon (Centre d’Étude Technique de Lyon).


Sommaire

L'espace de mobilité : définition, origines et conséquences

Définition de l'espace de mobilité

L'espace de mobilité se définit comme l'espace du lit majeur à l'intérieur duquel le ou les chenaux fluviaux assurent des translations latérales pour permettre une mobilisation des sédiments ainsi que le fonctionnement des écosystèmes aquatiques et terrestres [H.Piegay et al., 1996]. Dans cet espace, le chenal du lit mineur n'est pas fixe dans le temps. Les écosystèmes associés sont régulièrement renouvelée (annexes hydrauliques, frayères, berges, iscles...).

À l'origine : une dynamique à la recherche d'un équilibre

Dans la zone de divagation de plaine, la rivière cherche son équilibre entre le taux de charge alluviale (sédiments érodés et transportés) et le débit liquide capable d'évacuer cette charge sédimentaire. Cette recherche d'équilibre se traduit par une dynamique fluviale qui correspond à un ajustement permanent, par la rivière, de sa géométrie en plan, en long et en travers.

La dynamique fluviale : définition

La dynamique fluviale peut ainsi être présentée comme l'oscillation permanente des aiguilles d'une balance dont l'un des plateaux est rempli d'eau et l'autre de sable.

la dynamique fluviale principe equilibre dynamique
la dynamique fluviale formation meandre par erosion

La dynamique fluviale : facteurs de variation

Les facteurs de balancement sont la pente du cours d'eau et la granulométrie des sédiments. Ainsi, la rivière va ajuster son cours par méandrage pour atteindre l'équilibre entre sa capacité de transport des sédiments et le débit d'écoulement de l'eau induit par sa pente. Si son espace latéral de mobilité est suffisant, un équilibre peut être atteint. Il s'agit toutefois d'un équilibre dynamique qui peut correspondre à des chenaux divaguant et des méandres avançant vers l'aval au cours du temps.

En conséquence : une diversité des écosystèmes terrestres

Les cycles de destruction – régénération des milieux

L'érosion latérale et la migration des méandres vers l'aval provoque un dépôt de sédiments sur la rive convexe du cours d'eau. Ces bancs de convexité constituent autant de « terres vierges » sur lesquels les plantes pionnières viendront s'implanter. Ces plantes pionnières vont favoriser un développement du sol qui permettra ensuite l'établissement d'une forêt alluviale. La dynamique fluviale engendre ainsi un mécanisme de destruction-régénération des écosystèmes terrestres dont la diversité et la richesse écologique dépend de la fréquence de régénération, et de la possibilité d'assemblage des milieux sous forme de mosaïque, sur une surface relativement restreinte.

evolution cyclique zi

Les forêts alluviales

Ces forêts alluviales ont un fort pouvoir épurateur de l'eau. Par exemple, une jeune forêt alluviale peut prélever par absorption racinaire 25 fois plus d'azote qu'une jeune forêt artificielle de peupleraie plantée.

Pouvoir épurateur des forêts alluviales - CEN Auvergne.jpg

L' espace de mobilité de la rivière Allier

Comme présenté sur la figure ci-dessous, l'espace de mobilité optimal de l'Allier est, au niveau de Châtel-de-Neuvres (département de l'Allier) limité par les traits de couleur orange. Ce travail a été réalisé par le bureau d'étude EPTEAU [EPTEAU,1998].

evolution de l allier a chatel de neuvre entre 1884 et 1998

Plus récemment, le CEN Auvergne a révisé la cartographie de l'espace de mobilité de la rivière Allier en recensant les zones érodables, les digues et leur état de fonctionnement [CEN Auvergne et Véodis-3D, 2011].
L'espace de mobilité de la rivière Allier a évolué au cours du temps suite aux variations climatiques (changement du bilan érosion / débit liquide) et en fonction des aménagements effectués sur la vallée. L'espace de mobilité varie également de l'amont vers l'aval.

Évolution au cours du temps de l'espace de mobilité de l'Allier

En 1985, le CETE de Lyon a cartographié l'espace de mobilité de la rivière Allier en intégrant dans les cartes historiques les plus anciennes disponibles (i.e. cartes napoléoniennes) et l'historique des aménagements recensés sur le terrain et par interprétation de photographies aériennes de différentes époques, à savoir :

  • les enrochements,
  • les plantations d'arbres contribuant à stabiliser les berges (eg. peupleraies),
  • les endiguements,
  • les piles de ponts...

Ce travail [CETE de Lyon, 1985, affaire n°63/85/0031] a permis d'évaluer l'évolution au cours du temps de l'espace de mobilité de la rivière Allier et d'identifier les aménagements anciens ou récents contraignant, encore aujourd’hui, la mobilité de la rivière.

espace de mobilite de la riviere allier a joze
legende de la carte espace de mobilite de la riviere allier a joze

Variation de l'espace de mobilité de l'amont à l'aval

En général, l'espace de mobilité varie d'amont en aval.

Les problèmes de gestion d'un espace alluvial de rivière mobile ne se posent donc pas seulement localement au niveau de l'aménagement mais à l'échelle de l'ensemble du cours d'eau (amont-aval de l'aménagement) et sur l'ensemble de l'espace de mobilité de la rivière.

L'espace de mobilité de la rivière Allier varie ainsi significativement de l'amont (Figure 7), où il est contraint par la topographie, à l'aval, où il est définit par plusieurs chenaux divaguant (Figure 8).

Figure 7 - Évolution de l'amont à l'aval des cours d'eau - Malavoi J-R. et Bravard J-P., 2010.jpg
Figure 8 - l'Allier des Gorges - CEN Auvergne.jpg
Figure 9 - l'Allier des Plaines. Succession de méandres à Brioude - CEN Auvergne.jpg


Les enjeux de la gestion de la dynamique fluviale

Par le passé, l'espace de mobilité de la rivière Allier a été réduit par l'homme qui cherchait à figer son cours pour y construire des habitations ou des infrastructures. Des gravières y ont été creusées pour récupérer les granulats nécessaires à l'élaboration des routes et des constructions.
Aujourd'hui, les SDAGE (Schéma d'Aménagement et de Gestion de l'Eau) protègent l'hydromorphologie et l'intégrité du lit du cours d'eau. L'ensemble du lit mineur de l'Allier constitue une zone écologique d'intérêt protégée par un statut natura 2000. Cependant, il faut veiller à ne pas tomber dans l’excès inverse. Il est normal de protéger de l'érosion des berges à proximité d'infrastructures coûteuses tels les champs captants de Clermont Communauté pour ne pas avoir à les reconstruire et éviter un surcoût pour la société. A l'inverse, il n'est pas question d'endiguer un cours d'eau mobile et dynamique pour protéger un champ cultivé comme cela s'est souvent fait par le passé. Aujourd'hui, des actions sont entreprises pour restaurer la mobilité de la rivière Allier en accord avec les aménagements existants et pour essayer de restaurer le transport solide et l'équilibre dynamique de l'Allier en fonction des enjeux.

Des forêts alluviales à préserver pour la ressource en eau

Le CEN Auvergne a été missionné par la DREAL Auvergne dans le cadre du plan Loire pour maintenir un fonctionnement équilibré des forêts alluviales du cours moyen de la rivière Allier. Il intervient notamment au niveau des champs captants pour l'alimentation en eau potable de la ville de Clermont-Ferrand (alimentation de 75% de la population). Par ces travaux, le CEN Auvergne contribue à la fois à :

  • préserver la qualité de la ressource en eau captée dans la nappe alluviale,
  • sensibiliser le public sur les fonctions particulières d'épuration des forêts alluviales.

Des plaquettes ont ainsi été éditées pour le grand public. Les chemins ont été maintenus pour les activités de loisir. Les espèces invasives, telle la renouée du japon, sont contenues et des visites de terrain sont régulièrement organisées pour informer le public.

Des gravières à gérer pour éviter leur recapture

Les gravières creusées dans le lit majeur des cours d'eau et actuellement réhabilitées et maintenues en eau, peuvent être, selon le contexte, recapturées par la rivière mobile, lors d'une crue notamment. Dans ce cas, les matériaux solides transportés par la rivière combleront la gravière. Ainsi, à l'aval, il n'y aura plus de transport solide. Cela modifiera le comportement hydromorphologique du cours d'eau en provoquant une incision de son lit et une augmentation de la pente de son profil en long. Pour y remédier, des ouvrages de protection peuvent être disposés afin d'éviter la capture de la gravière.

Figure 10 - Gravières dans le lit majeur de l'Allier CEN Auvergne.jpg
Figure 11 - Gravière capturée - CEN Auvergne.jpg
Figure 12 - Effondrement du Pont Wilson en 1978 à Tours par affouillement du lit de la Loire - CEN Auvergne.jpg

Les risques associés à la recapture d'une gravière en eau sont multiples. La recapture d'une gravière en eau peut en effet avoir des impacts écologiques en fonction de la qualité de l'eau de la gravière au moment de sa recapture. Ces impacts restent néanmoins localisés, temporaires et réversibles. Au contraire, l'incision du lit provoquée en aval par la recapture d'une gravière peut avoir des conséquences beaucoup moins réversibles et un impact économique fort. L'incision peut en effet entraîner l'affouillement du fond du lit au droit des piles d'un pont provoquant, à terme, la destruction de ce pont.


Le problème des anciennes gravières comblées

En 2012, le CETE de Lyon, Département laboratoire de Clermont-Ferrand (DLCF) a débuté une réactualisation de l'inventaire exhaustif des gravières présentes dans le lit majeur de l'Allier, afin de les hiérarchiser vis-à-vis du risque de recapture. L'inventaire initial des gravières de l'Allier a été effectué en 1998 (étude EPTEAU) et ne concernait que les gravières en eau.
L'objectif principal de la nouvelle étude commandée par la DREAL Auvergne vise à évaluer les nécessités d'aménagement à réaliser pour prévenir les risques associés à la recapture des gravières. Il ne s'agit pas seulement de recenser les gravières en eau susceptibles d'être recapturées et de destabiliser la dynamique fluviale en jouant le rôle de piège à sédiment. Il s'agit aussi d'inventorier les anciennes gravières actuellement comblées situées sur des zones d'érosion actives du cours d'eau.

L'érosion des matériaux d'une gravière comblée peut poser problème selon la nature des matériaux qui ont été utilisés pour le comblement. Si les matériaux sont fins et facilement transportables, cela peut influencer à plus ou moins long terme la dynamique du cours d'eau en faisant pencher la balance du coté du transport solide. Si les matériaux sont des déchets, il est important d'en contrôler l’innocuité d'érosion et de transport par la rivière.


Bibliographie

  • Piegay H. et al. (1996) Comment délimiter l'espace de liberté des rivières ? SHF, 24e Journées de l'Hydraulique, septembre 1996.
  • Bureau d'étude EPTEAU, juin 1998. Étude de l'Allier entre Vieille-Brioude et Villeneuve. 92 pages.
  • Malavoi J-R. et Bravard J-P., 2010. Éléments d'hydromorphologie fluviale. Onema. 224 pages.
  • Esnouf S., 2012. Préservation et gestion de l'espace alluvial : exemple de la rivière Allier dans le Puy-de-Dôme, CEN Auvergne (Conservatoire des Espaces Naturels), Cotita Centre-Est « L'eau, un élément précieux et fragile », 2 février 2012.
  • CEN Auvergne et Véodis-3D, 2011. Etude des protections de berge et zones d'érosion de l'Allier alluvial. 105 pages.
  • CETE (Centre d’Étude TEchnique) de Lyon, Laboratoire Régional de Clermont-Ferrand, 1985, étude du lit moyen de l'Allier dans le Puy-de-Dôme. Affaire n°63/85/0031. 64 pages.
  • Loire nature - CEN Auvergne - J.SAILLARD, septembre 2004, photos aériennes de l'Allier prises par hélicoptère (http://www.cen-auvergne.fr).


Pour en savoir plus :

L'expérience du CEN Auvergne sur la gestion de l'espace de mobilité de la rivière Allier a été présentée par S. Esnouf lors de la journée COTITA Centre Est « L'eau: un élément fragile à protéger » qui s'est tenue à Riom le 2 février 2012.


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