Débitmètre (HU)
Traduction anglaise : flowmeter
article en chantier
Dernière mise à jour : 28/06/2024
Appareil permettant de mesurer le débit d'un cours d'eau ou d'une conduite.
Sommaire
|
Éléments d'historique
Les plus anciennes tentatives d'estimation des volumes écoulés et des débits datent de l'antiquité, et les premières mesures de hauteur d'eau attestées remontent au troisième millénaire avant J.C.. A cette époque, les services du département de l'irrigation des administrations pharaoniques égyptiennes mesuraient la hauteur d'eau du Nil afin de surveiller ses crues, de gérer l'irrigation et de calculer les taxes (déjà!) des agriculteurs en fonction du bénéfice qu'ils avaient pu tirer de l'inondation. Ces "nilomètres" étaient répartis tout le long du fleuve, et un véritable service de métrologie en assurait le suivi et l'entretien [Biswas, 1970] ; [Nordon, 1991]. Mais passer de la hauteur d'eau au débit demandera un effort conceptuel considérable qui ne sera couronné de succès qu'au 17ème siècle. Aristote (384-322 av. J.C.), dans les "Météorologiques", pensait qu'il existait une relation entre la vitesse, la section d'écoulement, et la grandeur qui est aujourd'hui appelée le débit. Mais sa conception du débit n'était pas encore assez précise : il notait simplement qu'à débit égal la vitesse était fonction de la section traversée.
Au premier siècle après J.C., Frontin (35-104), auteur d'un ouvrage intitulé "Les aqueducs de la Ville de Rome", a cherché à mesurer les quantités d'eau transportées dans ces ouvrages pour estimer les pertes et les vols d'eau. Il considérait que les quantités transportées étaient directement proportionnelles à la section d'écoulement, tant pour les écoulements en charge dans les tuyaux que pour les écoulements à surface libre dans les aqueducs. Mais des difficultés insurmontables sont rapidement apparues pour les faibles ou les fortes vitesses qui, dans les deux cas, perturbaient ses mesures. Frontin n'est donc pas parvenu à formuler clairement la notion de débit telle qu'elle est connue aujourd'hui : il confondait débit et quantité d'eau.
A l'époque romaine, la mesure des débits sur les aqueducs était surtout destinée à estimer les pertes et les vols d'eau.
Définir le débit comme le produit de la vitesse par la section, ou comme le quotient d'un volume par un temps reviendra à Héron d'Alexandrie (65-150) qui explique qu'on ne peut mesurer le débit d'une source uniquement à partir de la section d'écoulement : il faut également mesurer sa vitesse. Toutefois, il ne sait pas comment exprimer la vitesse ni comment la mesurer. La vitesse reste en effet une notion non triviale qui nécessite de calculer le quotient de deux grandeurs non homogènes : Archimède (287-212 av. J.C.) lui-même a buté sur la question.
Il faut attendre Léonard de Vinci (1452-1519) pour observer un léger progrès. Sans parler encore de débit mais toujours de quantité d'eau, il réaffirme, après plusieurs siècles d'oubli depuis Héron d'Alexandrie, que cette grandeur correspond au produit de la vitesse par la section d'écoulement, et il applique, également sans le nommer, le principe de continuité. Il propose même de découper la section d'écoulement en surfaces élémentaires au moyen d'un quadrillage pour essayer de décrire tant bien que mal le mouvement de l'eau à travers la section [Nordon, 1991].
Les notions abordées par Léonard de Vinci seront clarifiées et explicitées de manière beaucoup plus rigoureuse par Benedetto Castelli (1578-1643), élève de Galilée, dans son "Traité sur la mesure des eaux courantes" corrigé plusieurs fois après une première édition en 1628. Cela lui vaudra d'être considéré comme l'inventeur de la loi de continuité. Pourtant, Castelli a également conscience que la notion de vitesse n'est pas encore tout à fait claire, et encore moins celle d'accélération.
Domenico Guglielmini (1656-1710), l'un des fondateurs de l'école italienne d'hydraulique, montre que la vitesse d'écoulement dépend de la section mouillée et qu'elle est inversement proportionnelle au périmètre mouillé. Il définit également la vitesse moyenne : c'est la vitesse uniformément répartie sur toute la section d'écoulement qui, multipliée par cette section, donne le débit réel mesuré. Toutefois, la répartition des vitesses sur une verticale ou sur toute la section reste délicate à établir.
Déjà Galilée et Castelli avaient remarqué que la vitesse n'était pas homogène sur toute une section, sans pouvoir être plus précis. Edme Mariotte (1620-1684), dans un ouvrage posthume intitulé "Traité du mouvement des eaux et autres corps fluides" paru en 1686, montre que les vitesses sont plus faibles au fond que vers la surface dans un écoulement régulier à surface libre. Cette constatation, correspondant aux profils de la Figure 1, contredisait l'opinion générale de l'époque selon laquelle, en application du principe de la chute des corps, les vitesses étaient plus faibles à la surface que vers le fond.
Figure 1 : Exemples de profils de vitesse observés par Mariotte.
Les mesures ultérieures confirmeront ces profils, variables selon les conditions d'écoulement, et où la vitesse maximale est généralement située légèrement sous la surface. Toutefois, la mesure des profils de vitesse reste encore difficile et les résultats parfois contradictoires. Henri Bazin (1829-1917) déterminera la distribution correcte des vitesses en 1865, en tenant compte à la fois des frottements au fond et sur les bords, et de la résistance de l'air en surface pour les écoulements en canaux (voir Figure 2). Après les travaux d'Osborne Reynolds (1842-1912) sur la turbulence, les profils de vitesse seront également différenciés selon que l'écoulement est laminaire ou turbulent.
Figure 2 : Distribution type des vitesses mesurée par Henri Bazin dans un canal rectangulaire, d’après [Nordon, 1991].
La notion de vitesse d'écoulement étant enfin clairement établie, il restait encore à développer les outils de mesure. Léonard de Vinci utilisait par exemple de la sciure ou des grains de céréales pour matérialiser les lignes de courant, sans toutefois passer à la mesure de vitesse. Des flotteurs de diverses natures ont également été utilisés pendant longtemps, par exemple par Charles Bossut (1730-1814), mais ils ne donnaient que la vitesse en surface ou à son voisinage immédiat, et leur emploi n'était pas des plus pratique. Santorio (1561-1630) a inventé vers 1610 une "balance hydrométrique" pour mesurer la force exercée par le courant sur un obstacle placé au sein de l'écoulement. Ce type de dynamomètre a ensuite été perfectionné par P. Michelotti en 1767 pour permettre la mesure des vitesses à des hauteurs variables. Entre temps, Robert Hooke, inventeur anglais inspiré par la propulsion des bateaux par hélice, aurait proposé vers 1683 de mesurer la vitesse au moyen d'une hélice libre immergée. Mais il ne s'agissait encore que d'une idée sans réalisation concrète : il faudra attendre 1835 pour que Reinhard Woltmann (1757-1837) invente le premier modèle opérationnel de courantomètre à hélice également appelé moulinet.
Partant d'un principe différent, Henry de Pitot (1695-1771) a inventé le tube qui porte son nom en installant deux tubes piézométriques perpendiculaires dans l'écoulement : le premier est parallèle au courant pour mesurer la pression totale, le deuxième est perpendiculaire au courant et mesure la pression statique. La vitesse de l'écoulement est alors directement proportionnelle à la racine carrée de la différence de pression. Ce principe sera repris ensuite par Jean-Baptiste Venturi (1746-1822) pour mettre au point son célèbre débitmètre, tandis que H. Darcy (1803-1858) perfectionnera le tube de Pitot. Enfin, l'ensemble des notions nécessaires étant défini et les moyens de mesure étant disponibles, les 18ème et 19ème siècles verront se multiplier les études de débitmétrie et les formules donnant les débits des écoulements à surface libre et des écoulements en charge. Sans être exhaustif, on peut citer les travaux des français Chézy, de Prony, Darcy, Bazin, Gauckler, Flamant, des américains Humphreys et Abbot, Williams et Hazen, de l'irlandais Manning, des suisses Kutter et Ganguillet, de l'allemand Weisbach, etc. A titre d'illustration, quelques formules classiques sont indiquées dans le tableau 1 (Voir également Coefficient de rugosité).
éléments complémentaires à reprendre par exemple à partir Lallement (2021)
Le débit, une grandeur difficile à appréhender
On définit classiquement le débit d’un écoulement comme le volume d'eau qui s'écoule en un point donné, pendant une durée donnée, à travers une section droite de cet écoulement.
Le caractère d'évidence de cette définition cache en fait deux difficultés de taille qui sont plus largement discutées dans l'article Débit (HU) :
- La première difficulté est d'ordre pratique : Le débit est une grandeur qui varie avec le temps ; quelle doit être la durée d'observation ? une seconde ? une heure ? une année ?
- La seconde difficulté est d'ordre métrologique : Comment mesurer un volume d'eau écoulé pendant une certaine durée ? Si le débit dans la rivière ou dans la conduite est faible on peut essayer de détourner tout le flux vers un récipient de volume connu et mesurer le temps nécessaire pour le remplir (avec l'hypothèse que ce débit reste constant pendant la durée de remplissage) ; mais dès que le débit devient plus important, ce type de méthode devient bien évidemment impossible à mettre en œuvre.
Les méthodes mesurage du débit repose donc sur deux principes de base :
- rechercher une valeur moyenne sur une durée convenant au problème étudié ; typiquement, en hydrologie, cette durée peut varier de quelques minutes à l'année (voir Module (HU)) ;
- utiliser une autre définition du débit, le plus souvent le produit de la section mouillée par une vitesse moyenne d'écoulement.
Dans le cas des écoulements en charge, le second principe est relativement simple à mettre en œuvre car la section mouillée est constante et qu'un mesurage de la vitesse suffit.
Dans le cas des écoulements à surface libre, la situation se complique car la section mouillée varie en permanence en lien avec la hauteur d'eau et qu'il n'existe pas de relation univoque entre cette hauteur d'eau et le débit (figure ). Un double mesurage de la vitesse et du débit est donc en théorie nécessaire, sauf exceptions.
Passer de la hauteur d'eau au débit
Plusieurs méthodes permettent de calculer le débit à partir de mesures de hauteur d’eau. Les plus simples sont directes, d'autres nécessitent un jaugeage préalable, enfin d'autres imposent une double mesure.
Calcul du débit en section courante en fonction de la hauteur d'eau
La première solution possible consiste à utiliser une relation hydraulique. Le principe est simple : pour un écoulement à surface libre, il peut exister une relation directe entre la hauteur d'eau et le débit, à la condition de garantir, par exemple, un régime permanent uniforme. Dans ce cas, on utilise la relation de Manning-Strickler :
avec :
- $ Q $ : débit (m3/s) ;
- $ S $ : section mouillée (m2) ;
- $ I $ : pente du fond (m/m) ;
- $ K_s $ : coefficient de rugosité des parois (m1/3/s) ;
- $ R_h $ : rayon hydraulique (m) ;
- $ V $ : vitesse moyenne de l'écoulement (m/s).
Outre le fait que cette méthode nécessite le choix des valeurs de $ I $ (théoriquement mesurable) et surtout de $ K_s $, elle repose sur une hypothèse forte (régime uniforme) qui n'est que très rarement vérifiée. Elle est donc déconseillée en l'absence de tarage (voir § suivant).
Calcul du débit en utilisant une courbe de tarage
Utilisation d'un appareil précalibré
La première solution consiste à utiliser un appareil normalisé (seuil jaugeur ou canal venturi). D’un point de vue hydraulique, ces ouvrages fonctionnent en passant par la hauteur critique, ce qui permet de garantir une relation univoque entre la hauteur et le débit. Les résultats sont généralement corrects, en particulier si la relation a fait l'objet d'un tarage préalablepréalable ou s’ils respectent les normes d’installation. Ce procédé n'est cependant pas toujours possible :
- particulièrement dans les réseaux d'assainissement, la mise en place du dispositif réduit la section d'écoulement, remonte la ligne d'eau et peut provoquer des désordres (modification du transport solide, mises en charge et/ou débordement) ;
- dans tous les cas, mais de façon encore plus importante sur les cours d'eau, il n'est pas toujours simple d'installer l'appareil du fait de la configuration du lit ; ce travail peut nécessiter des travaux importants et conduire à une installation onéreuse ;
- les appareils posés de façon provisoire sont également soumis à des aléas en cas de crue forte (arrachage et entraînement).
Mise en œuvre d'un jaugeage in situ
La deuxième solution consiste à établir une relation empirique débit = f(hauteur),
- soit en mesurant simultanément la hauteur et la vitesse moyenne pour une gamme représentative de valeurs de débit (et donc de hauteur d'eau) : voir Courbe de tarage (HU)
- soit en mesurant directement le débit par une technique de traçage, également pour différentes hauteurs d'eau.
Remarque : Ces deux solutions peuvent également permettre de choisir les paramètres (coefficient de rugosité et pente motrice) dans le cas d'un calcul direct utilisant par exemple la formule de Manning-Strickler.
Les solutions de ce type présentent trois inconvénients :
- il n'est pas toujours possible de réaliser des jaugeages en période de crue, d'une part parce que ces situations sont rares et d'autre part parce que l'accès au site peut alors être difficile, voire impossible (c'est souvent le cas dans les réseaux d'assainissement) ;
- la méthode repose sur l'existence d'une relation univoque entre la hauteur et le débit, or c'est loin d'être le cas :
- d'une part parce que, même si l'écoulement n'est pas perturbé, il existe un hystérésis au cours d'une crue et, pour un même débit, la hauteur d'eau est plus petite pendant la crue que pendant la décrue,
- d'autre part parce que les écoulements peuvent être fortement perturbés par des influences aval, susceptibles de rendre la relation totalement inapplicable ;
- la méthode suppose également que la relation entre hauteur d'eau et section mouillée reste constante dans le temps (de même que la rugosité), or, pendant une crue le transport solide est important et les phénomènes de dépôt et/ou d'érosion peuvent modifier considérablement le profil en travers d'un cours d'eau et, dans une moindre mesure, d'une conduite fermée.
Calcul du débit en utilisant un double mesurage
La dernière possibilité consiste à effectuer un double mesurage continu de façon à obtenir une information plus précise sur le phénomène étudié.
Double mesurage de la hauteur
Ce double mesurage peut porter sur la hauteur d'eau. Connaître la hauteur d'eau en deux points distants de plusieurs dizaines ou centaines de fois la hauteur d’eau, dans le sens de l'écoulement, permet en effet de calculer la pente de la ligne d'eau. Il est alors possible d'ajuster plus précisément une relation de type Manning-Strickler. En effet, dans ce cas, la pente de la ligne d'eau est égale aux pertes de charge linéaires et il est donc possible d'en déduire directement la vitesse moyenne de l'écoulement (relation $ (3) $).
avec :
- $ J $ : pente de la ligne d'eau (m/m) ; les autres grandeurs ayant la même signification que pour la relation $ (2) $.
Cette méthode nécessite cependant une mesure très précise des deux hauteurs et un calage également précis des capteurs en altimétrie. L'écart entre les deux niveaux de la ligne d'eau est en effet souvent faible et donc très sensible aux différentes incertitudes.
Mesurage complémentaire de hauteur et de vitesse
La méthode la plus complète consiste à mesurer de façon simultanée les valeurs de hauteur et de vitesse moyenne. Cette solution permet de se prémunir contre les différents problèmes évoqués plus haut. Elle suppose cependant que la relation entre la hauteur d'eau et la section mouillée reste stable.
Toutes ces solutions sont présentées plus en détail dans l'article Débitmétrie (HU).
Intégration du limnimètre dans une station de mesures
Pour être utilisable(s) le(s) limnimètre(s), (ou les différents appareils de mesures en cas d'acquisition multiple), doi(ven)t être installé(s) dans une station de mesure qui va compléter les appareils de mesure par :Hydrométrie : mesurer les débits d’une rivière, pourquoi et comment ?
- un enregistreur local et/ou ;
- un système de télétransmission.
Une alimentation électrique (éventuellement locale : batterie, panneau solaire) de même que des moyens de liaison (téléphone, câble, radio) sont nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de l'installation.
Bibliographie :
- Biswas, A.K. (1970)] : History of hydrology ; Ed. North Holland Publishing Co ; Amsterdam ; 336 p. ; 1970.
- GRAIE (2018) : Fiche Technique n°6 : Calcul du débit à partir de la hauteur d’eau ; 2p. ; disponible sur http://www.graie.org/graie/graiedoc/reseaux/autosurv/F6_hautdebit_vu_GLK-v2.pdf
- Lallement, C. (2021) : Une brève histoire de l’hydrométrie ; focus de l'article "Hydrométrie : mesurer les débits d’une rivière, pourquoi et comment ?" ; Encyclopédie de l'environnement ; disponible sur https://www.encyclopedie-environnement.org/zoom/breve-histoire-de-lhydrometrie/
- Moore, S. (2019) : Manuel pratique de levés hydrométriques : Mesure de niveau d’eau ; 35p. ; disponible sur https://publications.gc.ca/collections/collection_2021/eccc/en37/En37-274-2019-fra.pdf
- Nordon M. (1991) : Histoire de l'hydraulique ; Tome 1 : "L'eau conquise - les origines et le monde antique" ; Tome 2 : "L'eau démontrée - du Moyen-Age à nos jours.." ; Ed. Masson ; Paris ; 181p; et 242p. ; 1991 et 1992.
Pour en savoir plus :
- Bernard M. (coordinatrice) (2019) : Guide d’échantillonnage à des fins d’analyses environnementales ; cahier 7 : Méthodes de mesure du débit ; Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec ; 321p. ; disponible sur https://www.ceaeq.gouv.qc.ca/documents/publications/echantillonnage/debit_conduit_ouvc7.pdf.
- Bertrand-Krajewski, J.-L., Laplace, D., Joannis, C., Chebbo, G. (2008) : Mesures en hydrologie urbaine et assainissement ; ed. tec et Doc, Lavoisier, Paris ; 292p. (épuisé).
- Ministère chargé de l’Environnement (2017) : Charte qualité de l’hydrométrie, Guide de bonnes pratiques, janvier 2017, 82 p. ; disponible sur https://www.eaufrance.fr/sites/default/files/documents/pdf/Schapi_Charte_hydro_P01-84_BasseDefinition_5Mo_.pdf