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Gestion intégrée des ressources en eaux (HU)

De Wikhydro

Traduction anglaise : Integrated water resources management

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Dernière mise à jour : 26/09/2023

Ensemble des moyens mis en œuvre pour assurer une gestion coordonnée et efficace des ressources en eau à l'échelle d'un territoire, quelle que soit sa taille et sa nature : agglomération, bassin versant, pays, continent, etc.

La première partie de cet article est largement inspiré du dossier GRAIE-Eau MéliMélo sur la rareté de l'eau.

Sommaire

Le paradoxe de l'eau : pourquoi est-il nécessaire de mettre en œuvre une gestion intégrée des ressources en eau ?

A première vue l'idée que l'eau est un bien rare et précieux semble paradoxale. La terre est en effet une planète bleue, couverte à environ 70% par des océans. Même si 97,4% de cette eau est salée et inutilisable sans traitement poussé, il reste cependant, en première lecture, plus de 5 millions de m3 d’eau douce à la disposition de chacun des habitants de la planète, beaucoup plus que le plus dépensier d’entre nous n’en utilisera tout au long de sa vie. Plus encore, contrairement au pétrole, qui est (presque) uniquement d’origine fossile et dont le renouvellement ne peut se faire que sur des temps géologiques, de l’ordre de millions d’années, l’eau est recyclée en permanence par la machine atmosphérique, et la même eau peut être réutilisée indéfiniment. On peut donc parfaitement lui appliquer l’un des principes phares du développement durable « vivre sur l’intérêt, sans toucher au capital ». Il suffirait pour cela de se contenter d’utiliser les quantités périodiquement renouvelées. Le volume annuel moyen mobilisé par la partie continentale de ce cycle hydrologique (c’est-à-dire en ne prenant pas en compte les précipitations qui retombent dans les océans) est environ de 80 000 km3. L’eau douce nouvelle fournie par la nature représente donc plus de 10 000 m3 par an et par terrien, un chiffre qui peut paraître extrêmement confortable à un français moyen qui en consomme 250 fois moins à son robinet. Ceci est d'autant plus vrai, que même à l'intérieur d'un même cycle, l'eau peut être utilisée plusieurs fois. Ceci est vrai par exemple pour les utilisations urbaines : la parenthèse urbaine de l'eau, souvent appelé petit cycle, consiste en effet à prélever l'eau à l'amont de la ville pour la restituer en grande partie à l'aval de la ville. Ceci et vrai également pour des utilisations correspondant à des consommations réelles comme l'irrigation, pour lesquelles l'eau utilisée est restituée à l'atmosphère est donc en apparence sortie du cycle. En effet même cette eau évaporée ou évapotranspirée va également réalimenter le grand cycle sous la forme de précipitations (figure 1).


Figure 1 : L'analyse du cycle hydrologique montre que, contrairement à ce qui est souvent indiqué, plus des 2/3 des précipitations sur les surfaces continentales ont pour origine une eau qui s'est évaporée depuis une autre surface continentale et donc moins d'un tiers provient des océans.

Pourquoi alors y-a-t-il un problème ? Pourquoi craignons-nous de surexploiter les ressources au-delà des quantités d’eau naturellement renouvelables, entrainant ainsi des conséquences irrémédiables sur les écosystèmes et condamnant de fait ce modèle lorsque les stocks d’eau non renouvelés seront épuisés ?

Les raisons de ce problème sont multiples :

  • les besoins en eau sont beaucoup plus nombreux, diversifiés et importants que nous ne le pensons ;
  • il existe des décalages forts entre les répartitions spatiales et temporelles des eaux douces d’un côté et celles des usages de l’autre ;
  • la qualité de l'eau douce recyclée par la machine atmosphérique est excellente, mais elle peut aussi se dégrader très rapidement, compliquant fortement les possibilités d'usage.

Le résultat est que l'on observe aujourd'hui des pénuries localisées et cycliques pour plus de 2 milliards de personnes dans le monde (WWDR 2021). En France,depuis deux ans, nous vivons des périodes de crise longues et nombreuses comme le montre la carte interactive des arrêtés de restriction d’eau en France (voir https://www.data.gouv.fr) (figure 2).


Figure 2 : Carte des arrêtés de restriction d’eau en France au 12 septembre 2023 ; Source https://www.data.gouv.fr.

Ces différents points sont développés dans les paragraphes suivants.

Les besoins en eau sont beaucoup plus importants que nous ne le pensons

Figure 3 : Les besoins en eau pour la production de nourriture constituent la part principale dans la consommation d'eau ; Source dossier Ressource en eau ; projet Graie - Eau MéliMélo.

La première difficulté est que nous consommons beaucoup plus d’eau que celle que nous tirons de nos robinets :

  • nous « mangeons » en particulier beaucoup plus d’eau que nous n’en buvons (figure 3) ; la production d’un kilogramme de tomates nécessite par exemple plus de 150 litres d’eau ;
  • nous avons également besoin d’eau pour de très nombreuses activités agricoles, industrielles ou de production d’énergie ;
  • nous consommons aussi de l’eau de façon indirecte en rejetant des polluants dans les milieux aquatiques ; ces polluants doivent être dilués pour que l’eau soit à nouveau utilisable ;
  • enfin, nous utilisons de l’eau « in situ » sans la prélever, pour la navigation, les activités nautiques, la production d’énergie par des turbines, le refroidissement des centrales nucléaires, etc.

Pour finir, nous ne pouvons pas utiliser toute l'eau disponible et devons en laisser aux écosystèmes aquatiques ; les débits d'étiage des cours d'eau doivent par exemple être suffisants pour ne pas perturber trop gravement le milieu.

Même si, selon les pays, l’importance relative des secteurs de consommation est extrêmement variable comme l’illustre la figure 4, l'agriculture constitue cependant le principal poste de consommation dans le monde. Elle utilise à elle seule plus de 4 000 km3 d’eau par an, ce qui représente 69% des prélèvements totaux, et presque 10% du volume disponible (Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2019 et 2020), contre 19 % pour l’industrie (y compris la production d’électricité) et 12 % pour les ménages (AQUASTAT).


Figure 4 : L'importance relative des secteurs de consommation de l'eau varie selon les pays et les zones climatiques, l’agriculture constitue en général le secteur qui consomme le plus ; Source Margat et Andreassian (2008).


Dans certains pays en développement, souvent ceux où l'eau est plus rare, la part de l’agriculture dans les usages de l’eau peut atteindre 95% (FAO 2011). Il faut préciser à ce sujet que l’eau utilisée par l’agriculture additionne les précipitations sur les champs de culture et l’irrigation.

La conséquence est que, même si la machine atmosphérique renouvelle régulièrement l'eau douce disponible, la consommation excède en beaucoup d'endroits le renouvellement et les réserves pérennes baissent. Les conséquences de cette baisse peuvent être spectaculaires et se traduire par exemple par des affaissements de terrain caractéristiques (figure 54).


Figure 5 : Les prélèvements d'eau dans la nappe phréatique pour l'irrigation dans la vallée de San Joaquin en Californie ont entrainé une subsidence des terrains d'une dizaine de mètres en moins d'un siècle ; Source : Land Subsidence in the San Joaquin Valley.


Dans tous les cas la consommation d’eau est de toute façon beaucoup forte que nous le pensons généralement et peut se mesurer par différents indicateurs qui font référence à la notion d'eau virtuelle, par exemple « l’empreinte eau ».

L’empreinte eau constitue l'une des façons possibles pour connaître les quantités réelles d’eau que nous consommons. Il s’agit d’un indicateur qui mesure l’usage direct ou indirect qui est fait de l’eau douce. L’empreinte eau se décompose en :

  • empreinte eau bleue (eau de surface ou eau souterraine effectivement consommée),
  • empreinte eau verte (eau de pluie mobilisée, mais immédiatement restituée au milieu naturel, par exemple sous forme d’évapotranspiration),
  • empreinte eau grise (eau utilisée pour diluer les polluants).

L’empreinte eau permet ainsi de calculer la quantité d’eau nécessaire pour produire un bien quelconque. Il faut par exemple 15 m3 d’eau pour produire 1 kg de bœuf ou encore 3 m3 d’eau pour 1 kg de riz (voir la figure 6).


Figure 6 : Quantité d'eau nécessaire pour produire 1kg de différents produits ; Source : https://waterfootprint.org/en/resources/waterstat/.

Le chiffre à retenir est que, en 2021, les besoins totaux en eau de l’humanité représentaient plus de 10% du flux disponible et que ce pourcentage augmente régulièrement en particulier du fait :

  • de l'augmentation de la population mondiale ;
  • de l'exode rural et la croissance associée des mégalopoles ;
  • de la modification des pratiques culturales reposant de plus en plus sur l'irrigation.

Les précipitations sont très variables dans l'espace

Contrairement au pétrole, la quantité d’eau sur terre est stable, la comparaison entre l’eau et le pétrole lui est donc favorable si l’on raisonne en capacité de renouvellement de la ressource. Mais elle ne l’est pas si on raisonne en partage de cette ressource. Il n’y a en effet pas de marché mondial de l’eau comme il y a un marché mondial du pétrole. Si le pétrole produit au Moyen Orient peut être utilisé partout dans le monde, le Moyen Orient ne doit compter, du moins en première approche, que sur l’eau qu’il produit lui-même pour s’approvisionner.

Or l’eau douce est extrêmement mal répartie sur la planète. Selon les zones climatiques, la quantité annuelle de précipitation varie ainsi de quelques centimètres à plusieurs mètres.

Plus encore, ce ne sont pas nécessairement les zones les plus peuplées qui sont les mieux servies. Différents indicateurs permettent ainsi de mesurer la « richesse » d’un pays en eau.

Le volume annuel d’eau douce disponible par habitant varie de quelques centaines de m3 par an dans des pays très « pauvres en eau », pour beaucoup situés en Afrique du Nord et de l'Est, à près de 100 000 m3 dans les pays « riches en eau », par exemple dans les pays d’Europe du Nord ou situés dans les zones équatoriales (voir figure 7).


Figure 7 : Disponibilité en eau par habitant et par an ; Source : https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/disponibiliteeau.

Toutefois cet indicateur ne reflète pas la totalité de la réalité de la rareté locale de l’eau douce selon l’usage qui en est fait : en effet, les pays qui ont une agriculture étendue utilisent beaucoup plus d’eau que ceux qui n’en ont pas, et a fortiori d’autant plus lorsqu’il y a de l’irrigation. D’autre part, la pénurie d’eau est souvent un phénomène saisonnier. Il est ainsi plus intéressant de représenter le stress hydrique par pays, calculé en pourcentage de l’eau douce utilisée sur l’eau douce disponible, indépendamment des usages de l’eau comme le représente la figure 8. Au total, plus de 2 milliards de personnes vivent dans des pays soumis à un stress hydrique (ONU, 2018).


Figure 8 : Stress hydrique par pays ; Source : ONU AQUASTAT.

La carte du monde que ces indicateurs font apparaître est, par certains côtés, inattendue. Par exemple, l’Australie, pays pourtant aride, semble correctement pourvu du fait de son immensité et de sa faible population. Ceci montre aussi les limites de ces indicateurs. L’échelle du pays est probablement trop vaste pour cartographier la disponibilité réelle de l’eau et les régions où le stress hydrique est important sont encore plus nombreuses que ne le montrent ces cartographies. On comprend alors mieux pourquoi la surexploitation locale des réserves d’eau souterraine constitue un phénomène mondial.

Les précipitations sont très variables dans le temps

Il ne pleut pas en permanence, et, dans beaucoup d'endroits, les précipitations sont les plus faibles au moment où les besoins en eau sont les plus importants. De façon pratique, le volume d’eau arrivant sur terre se divise en trois parts d’importance comparable (voir Cycle de l’eau (HU)) :

  • une première partie ruisselle très vite en surface, rejoint le réseau hydrographique (ruisseaux, rivières, fleuves) et s’écoule vers la mer en quelques jours ou, au plus, quelques semaines ;
  • une deuxième partie s’infiltre dans les couches superficielles du sol et est utilisée par la végétation qui va la restituer à l’atmosphère sous forme d’évaporation ou d’évapotranspiration ;
  • enfin une troisième partie va se stocker, soit en surface sous forme de neige ou de glace, soit en s’infiltrant profondément dans le sol pour rejoindre une nappe d’eau souterraine, soit dans un lac naturel ou artificiel.

Les volumes réellement disponibles pendant les périodes sèches correspondent essentiellement à cette troisième part et sont donc inférieurs aux quantités précipitées.

La ressource effectivement mobilisable est souvent calculée comme étant égale à la quantité de précipitations moins l’évapotranspiration. Ce calcul est cependant discutable pour deux raisons :

  • il ne prend pas en compte l’eau de pluie mobilisée « naturellement » (c’est-à-dire hors irrigation) par les cultures ;
  • on n’est pas capable de stocker (par exemple dans des lacs artificiels) la totalité de l’eau générée par le ruissellement de surface. C’est difficilement faisable sur le plan technique, ce n’est pas raisonnable sur le plan économique et c’est très discutable sur le plan écologique.

Quoi qu’il en soit, l’eau mobilisable pendant les périodes sèches est uniquement constituée par l’eau stockée en surface sous forme de glace ou de neige, dans des lacs ou des retenues artificielles ou infiltrée dans les nappes souterraines. Ceci est vrai également pour l’eau transportée par les cours d'eau qui, en dehors des périodes de pluie, sont également alimentés par les mêmes réservoirs naturels sans lesquels ils s'assécheraient complètement au plus en quelques semaines.

La qualité de l'eau stockée n'est pas toujours suffisante

Avoir de l'eau à disposition n'est pas toujours suffisant. Il est également nécessaire que cette eau ait une qualité adéquate par rapport aux usages que l'on souhaite en faire, ou du moins que l'on puisse facilement la traiter pour la rendre utilisable. A priori, ceci est techniquement possible quelle que soit sa qualité de départ (y compris pour l'eau salée des océans), mais peut nécessiter des ressources techniques, énergétiques, et donc financières très importantes et qui ne sont pas accessibles partout et pour tous.

En France et dans beaucoup d'autres pays la pollution des nappes phréatiques par des polluants persistants, et en particulier par les pesticides constitue une menace à prendre très au sérieux. Les cours d'eau sont également utilisés pour évacuer les eaux polluées par l’activité humaine. Si dans les pays développés les dispositifs d’assainissement sont réglementés et surveillés, à l’échelle de la planète 85% des eaux usées sont rejetées dans le milieu naturel sans aucun traitement. Ce sont donc souvent les pays les plus pauvres qui cumulent une eau de mauvaise qualité avec le manque des ressources nécessaires à son traitement.

L'un des enjeux importants des décennies à venir sera donc, non seulement de mieux réguler la consommation, mais également de mieux contrôler les rejets pour préserver la qualité de la ressource. A titre illustratif, fermer le robinet d'eau lorsque l'on se lave les dents permet d'économiser quelques centaines de litres d'eau potable par an, jeter un seul mégot de cigarette dans la nature suffit à rendre 5 m3 d'eau impropre à la consommation. La gestion intégrée des ressources doit donc intégrer à la fois la gestion des prélèvements et celle des rejets.

A ce titre une solution possible consiste justement à réutiliser les eaux usées qui contiennent en particulier des matières azotées et phosphorées utiles pour l'agriculture. Plusieurs pays arides ou à faibles ressources en eau se sont ainsi tournés vers la réutilisation des eaux usées, éventuellement après un traitement sommaire, pour l’irrigation des cultures : avec plus de 90% de réutilisation de ses eaux usées, Israël est devenu le leader mondial en ce domaine. Ce point amène à se poser la question de la différence entre eau prélevée et eau consommée. En France, les pouvoirs publics ont pris conscience de l'enjeu et le décret du 29 aout 2023 simplifie la procédure d'autorisation pour la réutilisation des eaux usées traitées. Ce même décret facilite également la récup-utilisation des eaux de pluie.

Prélever l'eau ou la consommer ?

Il existe une ambiguïté forte entre la notion de prélèvement et celle de consommation. D’une part on peut utiliser l’eau sans la retirer de son milieu naturel, pour la pêche, la navigation ou la baignade par exemple ; c’est ce que l’on appelle la consommation « in situ ».

Mais à l’opposé, l’eau que l’on prélève dans le milieu et que l’on utilise « ex situ » n’est pas nécessairement consommée. La plus grande partie est même souvent restituée au milieu naturel après usage, même si c’est souvent après avoir altéré sa qualité (introduction de substances polluantes, élévation de sa température, diminution de son énergie potentielle, etc.). La seule partie réellement « consommée », c’est-à-dire « perdue » pour le territoire, est constituée par l’eau qui est plus ou moins directement rejetée en mer ou, de façon plus discutable, par celle qui est restituée à l’atmosphère par évaporation ou évapotranspiration.

Cette différence est fondamentale car elle modifie totalement l’importance relative des différents secteurs d’usage de l’eau. En France, par exemple, l’irrigation ne constitue que le troisième secteur en importance pour les prélèvements, loin derrière la production d’énergie et même derrière la production d’eau potable, mais constitue le secteur le plus consommateur, en restituant à l’atmosphère l’essentiel de l’eau utilisée. Dans le monde et pour les mêmes raisons, la situation est similaire pour l’irrigation, qui représente 70% des prélèvements et 90% de la consommation nette. La figure 9, utilisant les données du centre d'information sur l'eau de 2012, illustre cette notion.


Figure 9 : En France, en 2012, la production d'énergie représentait 64% des prélèvements mais seulement 22% de la consommation alors que l'irrigation représentait 9% des prélèvements et 48% de la consommation ; Source : centre d'information sur l'eau de 2012.

Il n'est cependant pas si simple de définir ce qu'est l'eau consommée. Par exemple l'eau consommée en ville pour les usages domestiques est restituée en grande partie à des cours d'eau (sauf pour les villes en bordure de mers ou d'océan). Même si elle a été le plus souvent prélevée sur une ressource plus pérenne (généralement une nappe), elle peut cependant être à nouveau pompée et utilisée à l'aval. De même l'eau utilisée pour l'irrigation va être évapotranspirée et restituée propre à l'atmosphère. Elle rentre donc à nouveau dans le cycle hydrologique et, selon la direction des vents dominants, va souvent contribuer à alimenter les précipitations quelques centaines de kilomètres plus loin (file:///C:/Users/BERNAR~1/AppData/Local/Temp/The_Biotic_Pump_Condensation_atmospheric_dynamics_.pdf).

Est-ce à cause du manque d’eau que 1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable ?

Même si, comme nous l'avons vu, les besoins en eau potable ne constituent qu'une faible part des besoins totaux en eau, cet usage est cependant fondamental et l’un des problèmes majeurs en matière d’eau douce concerne l’alimentation en eau potable des habitants de la terre. Les maladies hydriques, c’est-à-dire dues à la mauvaise qualité de l’eau consommée, tuent chaque année des millions d’enfants (figure 10). Plus d’un milliard de terriens n’avaient pas accès à l’eau potable en 2013 et l’essor démographique associé à l’urbanisation croissante de notre planète vont encore accroître ces difficultés dans les années à venir.


Figure 10 : Si les pays développés fournissent à (presque) tous leurs citoyens une eau d'excellente qualité, ce n'est pas le cas partout dans le monde ; Source dossier Ressource en eau ; projet Graie - Eau MéliMélo.

Même s’il est vrai que dans certaines régions du globe l’eau est rare, le manque d’eau ne constitue cependant pas l’obstacle principal. Nous disposons en effet, comme indiqué plus haut, des moyens technologiques pour produire et apporter de l’eau en quantité suffisante pour la consommation humaine en tout point de la planète. En fait, la limite principale provient de notre incapacité à construire et faire fonctionner durablement les infrastructures indispensables pour offrir à tous un service "eau" de qualité acceptable, par manque de ressources financières et/ou de volonté politique. On peut alors parler de « pénurie économique d’eau » là où la ressource existe en quantité suffisante mais où le coût d’accès aux services n’est pas accessible pour les populations pauvres, ce qui se traduit par la situation paradoxale pour ces derniers de devoir au final payer leur eau indispensable à un coût plus élevé que pour les autres.

En guise de conclusion provisoire

L'eau est en train, dans beaucoup de pays, de devenir une ressource de plus en plus rare et précieuse. Si le changement climatique, souvent mis en cause, constitue un facteur aggravant en augmentant la variabilité spatiale et temporelle des précipitations il n'est pas la seule cause. L'augmentation de la population mondiale, l'exode rural et la croissance associée des mégalopoles, les modifications des pratiques culturales reposant de plus en plus sur l'irrigation, la déforestation, l'imperméabilisation des sols et l'accélération des écoulements, etc., constituent le plus souvent les facteurs principaux.

La bonne nouvelle c'est que cette diversité des causes nous laisse à disposition une grande diversité d'outils. Encore faut-il les mettre en œuvre de la façon la plus efficace possible, c'est l'un des objectifs de la gestion intégrée des ressources.

Comment procéder ?

On définit le plus souvent une gestion intégrée comme un mode de gestion qui prend en compte, dès le départ de la réflexion, l'ensemble des facteurs techniques, écologiques, économiques, sociaux, politiques, etc., qui lui sont liés. L'un des principaux enjeux des années à venir sera de fournir une eau de qualité suffisante à tous les habitants de la planète. Ceci implique une gestion efficace de cette ressource à toutes les échelles d'espace et il ne peut pas y avoir de gestion efficace de l'eau sans que cette gestion soit véritablement intégrée au sens précédent.

Du fait, d'une part de la très grande diversité des problèmes à résoudre et des solutions possibles, et, d'autre part, de la très grande difficulté associée à l'imbrication des territoires, la gestion intégrée devrait logiquement être envisagée depuis l'échelle planétaire jusqu'à celle de la ville. Par exemple l'importance des précipitations en Europe de l'Est dépend en partie de la gestion des forêts en Europe de l'Ouest (voir le paragraphe "Prélever l'eau ou la consommer"). Les outils à mettre en œuvre sont cependant extrêmement divers et dépendent bien évidemment de la taille des territoires. Malgré leur importance stratégique, nous ne développerons pas ici les outils qui peuvent être utilisés à des échelles nationales et surtout supranationales car ils sont intimement liés à des considérations géopolitiques. Nous fournirons donc principalement des éléments de réflexion à l'échelle des agglomérations en distinguant deux étapes : la préparation de la mise en place et les outils de mise en œuvre proprement dits.

Planifier

Bien définir l'échelle territoriale d'intérêt et les acteurs concernés

Le premier travail à fournir consiste à fixer les limites du territoire d'action. Sur le plan administratif il existe une structure parfaitement adaptée : l’Établissement Public Territorial de Bassin (EPTB). Il est cependant important d'aller au delà des collectivités territoriales et de bien identifier tous les acteurs de terrain qui seront concernés par les mesures à prendre (industriels, agriculteurs, associations diverses, etc.).

Évaluer les différentes ressources en quantité et en qualité ainsi que leur variabilité temporelle et spatiale

La gestion intégrée suppose que l'on prenne en compte l'ensemble des ressources disponibles, à condition que celles-ci soient renouvelables. La question du caractère renouvelable ou non nécessite que l'on choisisse une base de temps, la plus logique étant l'année. Sur un plan purement théorique, en France métropolitaine, les ressources strictement renouvelables sont énormes. Il tombe en effet en moyenne entre 500 et 1000 mm d'eau par an, soient entre 0,5 et 1 m3 d'eau par an et par m2, soient encore entre 500 000 m3 et 1 million de m3 d'eau par km2. La région parisienne est la plus peuplée avec 18,8 % de la population de la France métropolitaine sur seulement 2,2 % de sa superficie. Ceci représente une densité de population un peu supérieure à 1 000 hab/km2. Chaque habitant de ce territoire reçoit donc en dotation entre 500 et 1000 m3 d'eau pure venant du ciel chaque année. A ces ressources que l'on peut qualifier d'endogènes puisqu'elles arrivent directement sur le territoire, il convient d'ajouter les ressources exogènes apportées par les cours d'eau venant des bassins versants amont et également par certaines nappes phréatiques de grande extension.

Ce simple calcul montre que ce n'est pas tant la ressource elle-même qui constitue la vraie limite mais la part de cette ressource qui est effectivement mobilisable. Évaluer les ressources consiste donc à se demander comment il est techniquement et économiquement possible d'utiliser des ressources naturellement mobilisables et/ou d'augmenter la part mobilisable de la ressource disponible

Cette façon d'élargir le problème met en évidence l'importance qu'il y a à mieux gérer les eaux pluviales, y compris (et même surtout) dans les zones urbaines, en particulier en privilégiant leur infiltration ou leur récupération.

Évaluer les différents besoins en quantité et en qualité

La gestion intégrée constitue par définition une approche globale. Elle doit donc intégrer la dimension temporelle. Faire un bilan des besoins à un moment donné n'est pas suffisant, il est nécessaire de réfléchir à leur évolution, si possible en bâtissant différents scénarios reliant ces besoins aux ressources disponibles.

Dans les zones urbaines on a souvent tendance à confondre "besoins en eau" et "besoins en eau potable". En réalité la demande en Eau destinée à la consommation humaine est très faible, même en zone urbaine, par rapport aux autres besoins. Par ailleurs des eaux chargées en nutriments peuvent être plus intéressantes pour l'irrigation que des eaux très pures. Il est donc nécessaire de s'interroger, usage par usage, non seulement sur la quantité nécessaire mais également sur la qualité souhaitable. Le terme "eau usée" devrait d'ailleurs être utilisé avec précaution car, pour beaucoup, il associe à la notion vraie que l'eau a été utilisée, la notion plus discutable, qu'elle a perdu toute valeur d'usage (de la même manière qu'une paire de chaussures "usées" a perdu toute intérêt). Dans l'inconscient collectif il peut donc conduire à discréditer par avance la possibilité d'une réutilisation.

Mettre en place les critères et les procédures d'arbitrage

En France les procédures d'arbitrage existent en cas de crise. l’article L.211-3 II-1° du code de l’environnement prévoit la mise en place de mesures de restriction définies au niveau local par les préfets. "Les arrêtés « Sécheresse » doivent assurer l’exercice des usages prioritaires, plus particulièrement pour la santé, la sécurité civile, l’approvisionnement en eau potable et la préservation des écosystèmes aquatiques. Ils doivent également respecter l’égalité entre usagers des différents départements et la nécessaire solidarité amont-aval des bassins versants." (https://www.gouvernement.fr/risques/secheresse). L'analyse du fonctionnement de différents comités "sécheresse" amène cependant Barbier et al (2007) à proposer que les élus puissent "prendre un rôle clé dans la résolution de la tension entre (la) recherche de généricité et une nécessaire adaptation aux contextes micro-locaux"

De façon encore plus importante il semble nécessaire que ces négociations ne soient pas conduites uniquement en temps de crise mais anticipées en fonction des ressources mobilisables.

Mettre en œuvre

Les outils de la gestion intégrée à l'échelle d'un territoire urbain sont nombreux et permettent d'agir à la fois sur l'offre et sur la demande.

Diversifier les ressources

L'outil sans doute le plus efficace consiste à diversifier les ressources en les adaptant aux besoins. Au XIXème siècle à Paris les porteurs d'eau livraient à domicile une grande variété d'eau de qualité différente selon l'usage auquel elles étaient destinées. Aujourd'hui on dispose certes pour se désaltérer d'une très grande variété d'eaux en bouteille, mais on utilise la même qualité d'eau destinée à la consommation humaine pour la plupart des usages urbains : se laver ou laver les rues, boire ou arroser son jardin, remplir sa piscine ou alimenter sa chasse d'eau. Même s'il n'est généralement pas souhaitable, ni économiquement (figure 11), ni sanitairement, de développer des réseaux urbains distribuant des qualités d'eau différentes (voir dossier EauMéliMélo sur les usages de l'eau potable), il serait certainement très utile de développer la récup-utilisation des eaux pluviales urbaines ainsi que la réutilisation des eaux usées.


Figure 11 : Dans la plupart des situations, le coût du traitement pour rendre l'eau apte à la consommation humaine ne représente qu'une faible partie de son coût de production ; l'essentiel est constitué par l'amortissement et l'entretien des installations ; il n'est donc en général pas rentable d'avoir plusieurs réseaux ; Source dossier EauMéliMélo sur les usages de l'eau potable.

Protéger les ressources vulnérables

Comme indiqué plus haut, nous ne pouvons utiliser en période de sécheresse que l'eau stockée dans des glaciers, dans des lacs (naturels ou artificiels) ou dans les nappes phréatiques. En France près des 2/3 de l'eau distribuée dans les villes provient de nappes souterraines. Or ces ressources sont vulnérables. Une fois polluées il leur faudra très longtemps (parfois plusieurs centaines d'années) avant de retrouver une qualité acceptable. Nous devons donc tout faire d'une part pour les réalimenter au mieux en eau (en privilégiant) l'infiltration et d'autre part pour éviter de les polluer. En zone urbaine, ces deux impératifs ne sont pas aussi contradictoires qu'on pourrait le penser à condition d'infiltrer chaque goutte d'eau au plus près de son point de chute (voir Pollution des eaux de ruissellement (HU), Solutions de gestion durable des eaux pluviales urbaines (HU)).

Développer le recyclage

La même eau peut être utilisée plusieurs fois au cours de son cycle continental. Les usages successifs peuvent être identiques : une ville prend de l'eau à l'amont dans la rivière, la traite, l'utilise, la restitue à la rivière à l'aval après l'avoir épurée et la ville plus à l'aval peut ainsi recommencer la même parenthèse urbaine. Ils peuvent également être différents. Par exemple l'eau sortant de la station d'épuration peut être utilisée pour l'irrigation. Dans tous les cas il est nécessaire d'avoir une réflexion globale et intégrée sur l'ensemble des petites dérivations que l'on inflige ainsi au cycle hydrologique naturel et en particulier sur le niveau de traitement à apporter à chaque étape (par exemple vaut-il mieux améliorer l'épuration avant le rejet dans le cours d'eau à l'amont ou le traitement de l'eau avant son utilisation à l'aval ?) et sur la perte sèche (différence entre le volume prélevé et le volume restitué).

Développer le stockage

Le stockage intermédiaire constitue la clé pour rendre mobilisable une part suffisante de la ressource disponible. Ce stockage peut se faire en surface (barrages, retenues collinaires), de façon souterraine (nappes phréatiques) ou, de façon plus anecdotique, à des échelles plus petites allant jusqu'aux citernes individuelles. La gestion de l'eau en surface fait l'objet de nombreuses critiques, fondés à la fois sur des problèmes quantitatifs (pertes par évaporation) et qualitatifs (réchauffement de l'eau, modification de la morphodynamique fluviale, rupture de la continuité longitudinale, etc.). S'il n'est pas question de remettre en cause les barrages existants, souvent multifonctionnels (production d'énergie, réserve d'eau, plan d'eau de loisir, etc.), il est cependant possible de s'interroger sur l'intérêt d'en construire de nouveaux. Le stockage souterrain constitue sans doute un mode à développer de même que la récupération des eaux pluviales dans des cuves ou des citernes.

Nota : Nous ne traiterons pas ici la solution des bassines consistant à pomper l'eau des nappes en hiver pour la stocker en surface et à l'utiliser en été. Les polémiques à caractère général, très virulentes, entre les partisans et les adversaires de ce type de solution, nous semblent en effet plus fondées sur des principes et des apriori politiques que sur une réelle évaluation technique et scientifique qui ne peut être faite qu'au cas par cas.

Limiter les consommations

Le dernier levier consiste à limiter les consommations. Si les conseils comportementaux comme "il faut couper le robinet lorsque l'on se lave les dents" sont plus cosmétiques et éducatifs que réellement efficaces (figure 12), il peut cependant exister des gisements importants d'économie. Ceux-ci doivent cependant être analysés localement. Ce sera le plus souvent es modalités d'irrigation (passer de l'aspersion au gouttes à gouttes par exemple), parfois des usages industriels spécifiques et plus rarement la limitation des usages domestiques (limitateurs de débit sur les douches, chasses d'eau à double fonction, amélioration des appareils électroménager, etc.). Le prix de l'eau n'est cependant pas suffisamment dissuasif pour que des citoyens non militants limitent fortement la durée de leur douche pour économiser l'eau.


Figure 12 : Parler des économies d'eau que l'on doit faire lors des usages domestiques est très important en terme éducatif mais pas nécessairement très directement efficace ; Source dossier EauMéliMélo sur les usages de l'eau potable.

Nous n'avons pas parlé de l'amélioration de l'étanchéité des réseaux de distribution car, dans la logique d'une gestion intégrée de la ressource, l'eau qui fuit des réseaux s'infiltre dans le sol et réalimente la nappe. Elle n'est donc pas perdue. Ceci ne signifie pas pour autant que ce ne soit pas un problème à traiter car pour produire cette eau ainsi infiltrée on a dépensé de l'énergie et potentiellement des produits chimiques.

Bibliographie :

  • Barbier, R., Barreteau, O., Breton, C. (2007) : Gestion de la rareté de l'eau : entre application négicuée du décret "sécheresse" et émergene d'arrangements locaux Ingénieries - E A T ; pp 3-19. Disponible sur Hal.
  • Camdessus, M., Badré, B., Chéret, I., Ténière-Buchot, P.-F. (2004) : Eau ; ed Robert Lafond, Paris, 290 pp.
  • Hellier, E., Carré, C., Dupont N., Laurent F., Vaucelle S. (2009) : La France, la ressource en eau ; collection U, Armand Colin ; 309pp.
  • GIEC (2013) : Changement climatique 2013 – éléments scientifiques – résumé pour décideurs ; 34pp ; téléchargeable sur : www.ipcc.ch/report/ar5/wg1/docs/WG1AR5_SPM_brochure_fr.pdf.
  • Margat, J., Andréassian V. (2008) : Idées reçues : l’eau ; ed. Le cavalier bleu ; Paris ; 125pp.
  • Payen, G. (2013) : De l’eau pour tous ! Abandonner les idées reçues, affronter les réalités ; Armand Colin ; 215pp.
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