Prévision des crues : les données nécessaires (HU)
Traduction en anglais : Flood forecasting : necessary data
Dernière mise à jour : 17/06/2024
article en chantier
Cet article traite des données nécessaires à la prévision des crues mises en œuvre dans la démarche Vigicrues.
Il a bénéficié de la relecture et des contributions de Nicolas Cavard (SPC Loire-Allier-Cher-Indre).
Cet article fait partie d'une série de sept articles qui traitent des différents aspects de la prévision des crues par les services de l’État. En plus de celui-ci, cette série comprend :
- un article général : Prévision des crues et des inondations : vue globale (HU) ;
- 5 autres articles détaillant différents aspects (dont certains encore en cours d'écriture) :
- Prévision des crues : les modèles utilisés ;
- Prévision des crues : erreurs, incertitudes et évaluation des performances ;
- Prévision des crues : son historique en France ;
- Prévision des crues : les outils opérationnels utilisés en France ;
- Prévision des crues : développements récents ou en cours en France.
Sommaire |
L'essentiel
Le chapitre 1 présente les trois types de données nécessaires à la prévision des crues et des inondations :
- les données d’observation :
- acquises antérieurement et utilisées pour des statistiques ou le calage des modèles,
- acquises en temps quasi réel lors du déroulé des évènements (pluies et crues consécutives), pour l’analyse des évolutions en cours, l’alimentation des modèles et l’ajustement de leurs résultats ;
- les variables d’état, qui permettent de décrire dans les modèles hydrologiques ou hydrauliques les principales caractéristiques, respectivement, des bassins versants élémentaires ou des cours d’eau du réseau hydrographique principal, acquises pour la construction des modèles et, dans certains cas, complétées pour l’initialisation des modélisations en temps réel,
- les paramètres des modèles, qui sont plus éloignés d’une réalité mesurable ou évaluable, et qu’il faut ajuster puis valider sur des jeux de données historiques, lors du calage des modèles.
Sont ensuite abordées de façon plus approfondie :
- dans le chapitre 2, les données météorologiques, essentiellement pluviométriques, provenant de mesures ponctuelles au sol ou d’images radar-météorologiques ajustées sur ces mesures au sol, et elles relèvent en quasi-totalité des données d’entrée et de contrôle des modèles, ainsi que leur prévision avec des modèles météorologiques ;
- dans le chapitre 3, les données hydrométriques, concernant les niveaux d’eau et les débits dans les cours d’eau ;
- dans le chapitre 4, les variables d’état et les paramètres (par exemple des niveaux initiaux de réservoirs) décrivant les bassins versants modélisés, nécessaires aux modèles hydrologiques de prévision, acquises le plus souvent en préalable :
- lors de l’élaboration et du calage, ou de la réactualisation, des modèles pour la prévision ou de ceux dont ils sont issus (créés dans le cadre d’autres démarches de réduction des risques d’inondation),
- et à l’initialisation d’une phase de prévision (par exemple pour l’humidité des sols) ;
- dans le chapitre 5, les variables d’état et les paramètres (par exemple les coefficients de rugosité) caractérisant les cours d’eau modélisés, ces données doivent être disponibles pour les divers tronçons de calcul aussi bien dans le réseau hydrographique principal que pour décrire la topographie des zones inondables ; elles sont acquises elles aussi en préalable ou à l’initialisation de la prévision (par exemple, pour établir le débit de base).
Les trois types de données nécessaires à la prévision des crues et des inondations
Les données d’observation
Ces données constituent des ressources importantes indépendamment ou en préalable de la modélisation hydrologique ou hydraulique, en général ou pour la modélisation, pour :
- constituer des séries historiques validées, qui sont des bases de travail indispensables pour les personnes chargées des statistiques ou du calage des modèles ;
- aux prévisionnistes, une première vision des évènements en préparation ou en cours et des évolutions à attendre pour la suite de l’évènement.
Elles sont aussi utilisées en temps réel dans les processus de prévision des crues :
- comme données d’entrée :
- des modèles hydrologiques : c’est le cas des données pluviométriques (lames d’eau précipitée ou prévue sur le bassin versant),
- des modèles hydrauliques, en complément des résultats des modèles hydrologiques, ce sont les données hydrométriques (niveaux d’eau et débits, directement mesurés ou déduits des niveaux d’eau) mesurées aux stations situées en amont des tronçons de cours d’eau modélisés :
- comme données de contrôle des résultats :
- des modèles hydrologiques : il s’agit des données hydrométriques mesurées sur les stations situées à l’exutoire des bassins versants élémentaires, qui sont comparées aux résultats de ces modèles pour caler leurs paramètres, ou pour évaluer en cours d’évènement les performances des prévisions antérieures, et dans certains cas les assimiler aux résultats au modèle (Voir : Prévision des crues : les modèles utilisés) ;
- des modèles hydrauliques : ce sont les mesures hydrométriques acquises sur les stations installées en aval des tronçons de cours d’eau modélisés, utilisées aussi pour évaluer les performances des prévisions antérieures et dans certains cas leur assimilation.
Les variables d’état des modèles
Ce sont des données mesurables ou évaluables, qui permettent de décrire les principales caractéristiques des bassins versants élémentaires et des cours d’eau du réseau hydrographique principal modélisé.
Elles sont acquises en préalable au processus de modélisation, pour la construction des modèles, ou juste avant le processus de prévision, par exemple :
- pour les modèles hydrologiques, les données décrivant l’humidité initiale des bassins versants au démarrage de l’évènement pluvieux ;
- pour les modèles hydrauliques, les données rendant compte des conditions avant le début de la crue ou pendant celle-ci : débit de base ou modifications survenues dans la géométrie des chenaux d’écoulement (embâcles, rupture de digue, etc.) ;
Les paramètres des modèles
Ces données représentent aussi les caractéristiques des bassins versants ou des tronçons de cours d’eau modélisés, mais elles sont plus éloignées d’une réalité mesurable ou évaluable.
Il faut caler leur valeur puis la valider (Voir : Prévision des crues : les modèles utilisés) en utilisant des jeux de données d’observation historiques qui ont eux-mêmes été préalablement vérifiés puis validés. Ces paramètres concernent :
- pour les modèles hydrologiques : des données à la fois pluviométriques et hydrométriques ;
- pour les modèles hydrauliques : des données seulement hydrométriques.
Les données météorologiques nécessaires, essentiellement pluviométriques, ainsi que les prévisions des pluies avec des modèles météorologiques
Les données nécessaires pour un système de prévision des crues sont de deux types :
- des séries historiques (données continues issues du passé à un pas de temps adapté au modèle visé et à la simulation du phénomène à prévoir) validées, pour l’ajustement des modèles hydrologiques ;
- l’évolution dans le temps et dans l’espace de l’intensité de la pluie déjà précipitée, ainsi que les prévisions de précipitations à venir, pour leur utilisation en temps réel dans les modèles de prévision.
Les données et les prévisions de précipitations sont nécessaires pour augmenter les délais de prévision des débits et niveaux d’eau dans les zones vulnérables aux inondations, par rapport à la seule utilisation des données hydrométriques observées et évaluées plus en amont ; les prévisions de pluie permettent, au prix d’une plus grande incertitude, d’allonger encore ces délais, ce qui est précieux pour gagner en anticipation et prendre les mesures de sauvegarde des personnes et des biens, surtout lorsqu’il s’agit de crues rapides.
Les précipitations ont des caractéristiques différentes suivant qu’elles sont plutôt :
- stratiformes (résultant de la formations de nuages de types "stratus"), dues au soulèvement lent et à grande échelle d’une masse d’air humide qui se condense assez uniformément ; elles génèrent des intensités relativement faibles (moins de 10 mm/h), souvent continues, relativement homogènes spatialement, et pouvant durer longtemps ;
- convectives (résultant de la formation de types "cumulus"), dues à l’élévation rapide de masses d’air humides chargées d’humidité ; elles génèrent des intensités fortes à très fortes, sont hétérogènes spatialement et parfois très localisées, d’une durée de quelques dizaines de minutes à quelques heures, pouvant s’accompagner d’orages, de grêle ou de tornades.
Les précipitations peuvent être composites et combiner ces deux formes-types (voir la fiche A.01 - Incertitude ou erreur).
La distribution temporelle des précipitations est une variable majeure, leur distribution spatiale est une information presque aussi importante, surtout lorsque la pluie est inégalement répartie, et si les caractéristiques du bassin versant modélisé le sont aussi (les deux types de répartition étant liés, voir Répartition spatio-temporelle des précipitations (HU)).
Un autre paramètre météorologique, essentiel, principalement en zone de montagne (mais pas seulement), est le suivi de la température à 2 m au-dessus de la surface du sol. Il permet de distinguer les précipitations neigeuses ou pluvieuses. Les modèles hydrologiques sont désormais souvent capables de modéliser le stockage, puis la fonte de la neige (Voir : Prévision des crues : les modèles utilisés et GRP).
Dans cet article, nous ne traiterons assez précisément que des données pluviométriques.
Les mesures ponctuelles de la pluie au sol
La pluviométrie est traditionnellement mesurée par des pluviomètres avec enregistrement et télétransmission des données saisies à pas de temps fin (toutes les 5 minutes, par exemple).
Les appareils le plus utilisés par les principaux utilisateurs pour la prévision (Météo-France, les prévisionnistes des crues, EDF, etc.) sont des appareils à augets basculeurs collectant la pluie tombée dans un cône d’axe vertical dont la base est ouverte vers le haut. On peut aussi utiliser des appareils à pesée, ou par mesure optique, ou par mesure du bruit des gouttes d’eau sur une plaque, etc.
Dans la suite, seuls les appareils à augets basculeurs seront évoqués. La finesse de la mesure sera donnée par le rapport entre la surface de la base de réception de la pluie et le volume recueilli pour lequel l’auget bascule (en général 0,1 à 0,2 mm de hauteur de précipitation). Certains de ces appareils peuvent être équipés d’un chauffage et couplés avec un thermomètre pour mesurer l’équivalent en eau des précipitations neigeuses.
Les erreurs de mesures dues à l’appareillage lui-même restent négligeables, sauf du fait des pertes d’eau quand l’auget bascule en cas de très fortes intensités (pertes estimées à plus de 10% pour une intensité de 200 mm/h).
Ces erreurs sont cependant très sensibles à l’implantation de l’appareil et en particulier à la présence d'obstacles à proximité, surtout en cas de vent, qui génère une sous-captation :
- de l'ordre de 10 % en cas de vent faible sur un emplacement sans obstacle notable (sites de classes 1 et 2) ;
- mais pouvant atteindre 60 % en présence d’obstacles importants (classe 4) pour des vents forts.
Cela nécessite une analyse de la situation d’implantation et une classification environnementale qui permet de juger de la qualité du site et des incertitudes liées à sa configuration (Voir la Note technique 35B de la DSO de Météo France qui prend en compte la classification adoptée par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) ainsi que la norme iso 19289:2015.
Les dispositifs d’enregistrement (mécaniques au départ et jusqu’aux années 1980) sont maintenant électroniques, de même que pour les télétransmissions par téléphone ou radio.
Pour en savoir plus : Fiche B.02 – Pluie : observations des précipitations ponctuelles au sol.
L’évaluation de la lame d’eau précipitée sur un bassin versant (ou ses subdivisions lorsque le modèle est distribué)
Pour passer de ces mesures de référence à la lame d’eau précipitée sur un bassin versant (voir Répartition spatio-temporelle des précipitations (HU)), on peut utiliser :
- des méthodes d’interpolation (moyennes pondérées, polygones de Thiessen, krigeages (Voir la Fiche B.03 – Pluie : observation de précipitations ponctuelles au sol) ; ces méthodes peuvent être prises en défaut, notamment lorsque la pluie est à teneur convective ;
- des images radar-météorologiques calibrées (Voir la Fiche B.04 – Estimation d’une pluie de bassin par observation RADAR).
Les images radar-météorologiques constituent une source particulièrement utile pour reproduire la répartition spatiale des précipitations. Encore faut-il pouvoir la quantifier ; c’est l’objet d’efforts importants et constants menés depuis le début des années 1980.
Le principe des images de réflectivité est de traduire la mesure de la puissance rétrodiffusée par les gouttes d’eau précipitée, moyennée sur une durée de 5 mn (pour la lame d’eau PANTHERE) ou 1h (pour la lame d’eau ANTILOPE), avec une résolution horizontale de 1 km x 1 km, avec une assez bonne fiabilité d’évaluation des précipitations dans un rayon de l’ordre de 50 km (pour des radars à bande X) à 100 km (pour des radars à bande C ou S) autour du radar émetteur-récepteur, suivant une altitude de la pluie mesurée augmentant avec l’éloignement du pixel atteint par le faisceau émis (du fait de l’inclinaison de quelques degrés du faisceau radar par rapport à l’horizontale et de la rotondité de la Terre).
Le passage des images brutes de réflectivité radar à l’estimation de la répartition spatiale de l’intensité de pluie doit surmonter divers types de sources d’erreurs liées à :
- la réflectivité elle-même (échos de sols et masques, bande brillante autour de l’isotherme 0° C, etc.) ;
- l’atténuation par la pluie traversée par le faisceau radar, lorsqu’elle est intense ;
- les effets liées à la relation entre la réflectivité électromagnétique à une certaine altitude et l’intensité de la pluie au sol, incluant des modifications des gouttes, de leur densité et de leur positionnement géographique, dans leur trajet depuis la zone de détection jusqu’au sol ;
- etc.
La correction, ou plutôt l’atténuation, de ces erreurs passe par :
- des améliorations au niveau du matériel et des traitements de leurs images brutes, qui limitent un certain nombre d’artéfacts, mais ne suffisent pas toujours et ont parfois des effets pervers qu’il faut limiter ;
- des post-traitements de ces images intégrant les mesures au sol permettent de compléter par des ajustements combinant les images de réflectivité améliorées avec les données ponctuelles au sol :
- l’outil CALAMAR, développé par la société RHEA, à la suite d’un programme de recherche mené au CERGRENE (ENPC-ENGREF), a eu un rôle historique important en France pour prouver la faisabilité de l’utilisation de ces images, au profit de l’hydrologie urbaine puis plus générale ;
- les développements propres de Météo-France, notamment les outils PANTHERE et ANTILOPE, avec une représentation des données par objet météorologiques géo-référencés plutôt que par zones géographiques (figure 1) ;
- l’outil LAMEDO développé par le Service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations (SCHAPI), de diffusion et de gestion des données observées en temps quasi-réel ou d’archivage, sur une base géomatique robuste.
Ainsi, dans le cadre du programme ARAMIS de Météo-France, soutenu par le ministère chargé de l’environnement depuis le début des années 2000, différentes améliorations ont été apportées :
- au niveau des radars eux-mêmes et du traitement de leurs images brutes ;
- au niveau des post-traitements en intégrant ces images de réflectivité améliorées avec les mesures au sol ;
- au niveau de la densité du réseau des radars hydrométéorologiques pour couvrir le territoire national : en 2024, 31 radars de Météo-France et 3 de pays limitrophes (Royaume-Uni, Suisse et Italie) permettent de bien couvrir le territoire métropolitain (Voir Figure 2), auxquels il faut ajouter 7 radars outre-mer (figure 3).


Ce dispositif permet de disposer d’une certaine continuité, avec une fiabilité améliorée, de l’image de la pluie, ce qui marque un progrès majeur pour la prévision des crues (sauf, dans certaines zones non encore couvertes) et pour celle des crues rapides ou soudaines (et a fortiori les crues sur des secteurs urbanisés plus réactifs encore). Ces images et leur mise à disposition présentent deux avantages supplémentaires : elles permettent de visualiser la dynamique spatio-temporelle des pluies, et facilite ainsi la prévision à court terme ; elles facilitent la communication avec les responsables de l’alerte et des secours, ainsi qu’avec la population via les médias.
Il n’en demeure pas moins que l’incertitude sur les lames d’eau estimées de précipitations sur les bassins versants reste notable pour certains radars, notamment en zones de montagne, en particulier en cas de fortes intensités. Les auteurs de la Fiche B.04 – Estimation d’une pluie de bassin par observation RADAR, publiée au début de 2015, estiment, en se fondant sur l’expérimentation Bassins Versants Numériques Expérimentaux (BVNE) initiée par le SCHAPI, et sur des réanalyses de séries d’évènements par les Services de prévision des crues Seine-Marne-Yonne-Loing et Loire-Cher-Indre, qu’après des progrès sensibles à partir de 2009, cette incertitude est fréquemment de 10% à 20 % (ce qui peut conduire à des incertitudes de 30% à 40 % sur le débit maximal à l’exutoire d’un bassin versant, prévu avec un bon modèle hydrologique). Cela nécessite et justifie, pour pouvoir corriger les données ou réévaluer les résultats de prévision, de maintenir un réseau pluviométrique au sol suffisamment dense.
Par ailleurs, il apparaît possible qu’à moyenne échéance les satellites météorologiques permettent de faire la distinction entre les divers types de nébulosités (nuages de glace ou d’eau, nuages bas ou brouillard, etc.), en donnant des informations assez fiables sur la structure verticale de l’atmosphère et de sa composante en eau. Ceci permettrait d'améliorer, dans une certaine mesure, la prévision et la quantification des pluies. Mais il apparaît qu’il est prématuré d’envisager une exploitation opérationnelle des seules images satellitaires pour évaluer les lames d’eau précipitée.
De plus, dans certaines situations, il est très utile aussi, de connaître les prévisions ou les estimations en temps légèrement différé des valeurs de certaines données complémentaires qui peuvent amplifier les crues :
- la température de l’air (Voir les Fiches B.05 – La température de l’air et B.15 – Prévision de la température de l’air), bien sûr importante pour alimenter et contrôler les modèles de prévisions météorologiques, mais aussi, en hydrologie, pour :
- situer les limites pluie-neige (Voir les Fiches B.06 – Précipitations neigeuses et B.16 – Prévision de la limite pluie-neige),
- évaluer l’évapotranspiration (ETP), une partie des pertes au ruissellement,
- déterminer les zones touchées par le gel au sol (pendant la pluie ou juste avant) qui limite fortement l’infiltration et augmente les volumes et vitesses de ruissellement ;
- les épaisseurs de neige et leur équivalent en eau, ainsi que les facteurs influant sur sa fonte (vent, température, pluie) (Voir la Fiche B.05 – La température de l’air) ;