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Prévision des crues : les modèles utilisés (HU)

De Wikhydro

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Traduction anglaise : Models used for flood forecasting

Dernière mise à jour : 15/09/2024

Cet article a pour objectif de présenter les différents modèles qui sont utilisés en France pour la prévision des crues dans le cadre du réseau Vigicrues.

Il a bénéficié de la relecture et des contributions de Renaud Marty et de Pierre-Adrien Hans (tous deux du SPC Loire-Allier-Cher-Indre), de Charles Perrin (INRAE-HYCAR, à Antony), Étienne Le Pape et Didier Narbaïs-Jauréguy (tous deux du SCHAPI).

Avertissement : Cet article, ainsi que ceux auxquels il renvoie ci-dessous, est spécifiquement centré sur la prévision, en France, des crues et des débordements des cours d’eau aujourd’hui pris en charge par le réseau et le système Vigicrues. Cette prévision s’appuie notamment sur les données météorologiques produites par Météo-France, et les données hydrométriques produite par le réseau HydroPortail. D'autres dispositifs de prévision et d'alerte existent, en particulier :

  • Prévision de hautes eaux marines produites par le SHOM et Météo-France ;
  • Prévision de crues de cours d’eau plus locaux, assurées par des Établissements publics territoriaux de bassins ou des collectivités territoriales assumant la compétence GEMAPI ou la gestion des systèmes d’assainissement pluvial, en liaison ou non avec des cours d’eau sur leur territoire ;
  • Détection des risques d’inondation, par des organismes comme PREDICT ou Météorage, et/ou aide des maires à la préparation et à la gestion des crises, comme, PREDICT.

Sommaire

Introduction

Cet article fait partie d'une série de sept articles qui traitent des différents aspects de la prévision des crues dans le cadre du réseau Vigicrues. En plus de celui-ci, cette série comprend :

Cette série d'articles est complétée par :

Cet article traite successivement :

  • des divers types de modèles utilisés par le réseau national français pour la prévision des crues ;
  • des modèles hydrologiques, simulant la relation entre la pluie précipitée sur les bassins versants élémentaires et les débits à leur exutoire (où ils sont « injectés » dans le réseau hydrographique principal et modélisé) ;
  • des modèles hydrauliques (ou hydrodynamiques), simulant la propagation des ondes de les 2crues et leurs compositions aux confluences, dans le réseau hydrographique modélisé.

Les modèles, hydrologiques et hydrauliques, y sont présentés suivant un schéma similaire :

  • les fonctions et les limites de ces modèles,
  • les divers types de modèles utilisés pour la prévision, et ceux qui ont été choisis pour un soutien prioritaire aux développements et pour l’aide à leur maîtrise, faits dans le cadre de la stratégie du réseau national français pour la prévision des crues,
  • des points d’attention majeurs pour la construction et l’utilisation de ces modèles,
  • des cas particuliers.

Présentation générale des modèles utilisés pour la prévision des crues

Modèles hydrologiques et modèles hydrauliques

Les modèles utilisés pour la prévision des crues ont pour fonction de prévoir l'évolution des niveaux d’eau aux stations de prévision, ainsi que les débits et les lignes d'eau (notamment dans le cas de la prévision des inondations), sur le linéaire d'un cours d'eau. Comme pour de nombreuses autres applications en hydrologie, ils sont le plus souvent de type semi-distribué (ou détaillé), c'est à dire que le territoire d'étude est décomposé en sous-bassins versants qui produisent des débits en fonction des précipitations qu'ils reçoivent, ces sous-bassins versants étant connectés entre eux par des tronçons de rivière (et éventuellement des ouvrages de stockage). Ils reposent donc sur deux catégories distinctes de modèles qui doivent être utilisés de façon conjointe :

  • les modèles hydrologiques (ou parfois principalement hydrologiques, voir nota), qui simulent la transformation des variables météorologiques (en particulier des précipitations), ou hydrologiques antérieures, en débits à l'exutoire des bassins versants ; ils sont alimentés par les observations et les prévisions météorologiques et sont chargés de prévoir les valeurs des variables d’état hydrologiques qui déterminent la réponse du bassin versant et d'en déduire les débits qui vont s'écouler dans les cours d'eau aval (figure 1) ;


Figure 1 : Illustration schématique d’une chaîne de prévision hydrologique sur un bassin versant ; les observations météorologiques sont formulées en valeurs instantanées pour la température et en moyennes sur un pas de temps pour les intensités de pluie (mm/h) et les observations et prévision hydrologiques en débit (m3/s) ; Source : Marty, 2020.
  • les modèles hydrauliques (ou hydrodynamiques) (ou parfois principalement hydrauliques, voir nota), ou leurs versions simplifiées qui simulent la propagation des ondes de crues (comprenant les phénomènes de déplacement de ces ondes et d’amortissement-stockage intermédiaire, voir Modèle de propagation d’ondes de crue (HU)) ; ces modèles sont chargés de représenter l'évolution prévue des débits, des hauteurs d'eau et des vitesses dans les lits mineurs, moyens ou majeurs des cours d’eau modélisés, ainsi que la composition des ondes de crue aux confluences et, éventuellement, leur transformation dans les retenues ou d’autres phénomènes d’hydraulique influencée, comme en zone fluviomaritime ou en amont de certaines confluences (voir Modèles d'écoulement en réseau et en rivière (HU)) ; ils sont alimentés par les prévisions issues des modèles hydrologiques, les résultats simulés étant éventuellement corrigés par des observations hydrométriques (figure 2).


Figure 2 : Illustration schématique d’une chaîne de prévision hydraulique sur un tronçon de cours d’eau pour représenter la propagation d’une onde de crue : les "entrées" du modèles sont constituées : des observations hydrométriques, en amont du tronçon sur le cours d’eau principal ainsi que sur les affluents ; des prévisions hydrologiques à l’exutoire des bassins versants "élémentaires" situés immédiatement en amont du tronçon ; de l’estimation des apports hydrologiques intermédiaires entre points d’injection des apports de ces bassins versants "élémentaires" ou entre 2 stations hydrométriques ; et des prévision hydrauliques ; Source : Marty, 2020.

Nota : Le découpage entre modèle hydrologique et modèle hydraulique n'est pas toujours parfaitement tranché ; les modèles hydrologiques intègrent souvent des fonctions de transfert, voire des modules hydrauliques simulant les écoulements dans les cours d’eau, permanents ou non, internes au sous-bassin versant et les modèles hydrauliques peuvent prendre en compte des apports intermédiaires entre exutoires des bassins versants ou stations hydrométriques, provenant d'écoulements superficiels et/ou souterrains, ainsi que des pertes.

Autres classifications des modèles

Il existe dans la littérature plusieurs typologies des modèles. On peut s’appuyer en particulier sur celle de (Roche et al., 2012) au Chapitre 10.3.

En termes de prévision des crue, une différence importante est à faire selon la durée de la simulation que permettent les modèles ; on distingue ainsi (pour les modèles hydrologiques comme pour les modèles hydrauliques) :

  • les modèles événementiels : leur objectif est de simuler les crues résultant d’un évènement pluvieux particulier ou d’une série de pluies suffisamment rapprochées pour générer des ruissellements qui interfèrent entre eux, ce qui justifie que l'on considère la crue de façon globale ; ces modèles sont souvent limités par la difficulté à déterminer pour eux des conditions initiales fiables, ce qui conduit par exemple à les coupler avec des modèles continus (ils sont de moins en moins souvent utilisés seuls) ou à anticiper leur mise en route par une phase de "chauffe" ;
  • les modèles continus : ces modèles prennent en compte en continu toutes les précipitations qui se succèdent sur le bassin hydrographique durant une longue période (base annuelle glissante). Ils permettent de connaître les variables (comme l’humidité du sol) qui dépendent à la fois de l'antécédent pluviométrique, des conditions météorologiques, de la succession des saisons. Ils sont utiles notamment pour déterminer les conditions initiales nécessaires aux modèles événementiels, hydrologiques mais aussi hydrauliques.

D'autres distinctions sont également souvent faites, par exemple :

Nous renvoyons le lecteur à l'article Modèle (HU) et aux différents articles spécifiques pour en savoir plus sur les classifications possibles, leur intérêt et leur signification.

Rapide historique des modèles de plus en plus élaborés utilisés en France pour la prévision des crues

Les premières prévisions des crues modernes et structurées ont été faites en France à partir du milieu du XIXe siècle (Voir l'article Prévision des crues : son historique en France), après les crues de 1840 sur le Rhône et de 1846 sur la Loire, en élaborant des combinaisons linéaires des hauteurs d’eau relevées sur des échelles en amont, en des points choisis pour représenter au mieux la réaction de parties assez homogènes (en pédologie, géologie et topographie). Elles ont été élaborées pour évaluer le niveau maximum à attendre et le moment où il se produira plus en aval, au droit de zones particulièrement vulnérables aux inondations.

Malgré la proposition, dès 1871 par Adhémar Barré de Saint-Venant, d’un système d'équations différentielles décrivant la propagation des ondes de crues dans les cours d’eau, ainsi que des compléments apportés par d’autres dans les années suivantes, ces équations n’ont pas eu de suites pratiques pendant près d’un siècle, faute de moyens pour les résoudre aisément, avant l’avènement de l’informatique.

En 1934 pour la prévision des crues de la Loire de Gien à Montjean, puis en 1940 et en 1948 (Bachet, 1948) propose une méthode, pouvant aussi être qualifiée de modèle, traduite, notamment pour compenser un peu des pertes de compétences, par un ingénieux jeu d’abaques, les « Réglettes de Bachet », longtemps utilisées dans plusieurs Services d’Annonce des Crues (figure 3). (Voir Fiche B.23 – Modèles hydrologiques empiriques).


Figure 3 : Exemple de réglette de Bachet dans le bassin de la Garonne : la prévision à la station de LAMAGISTERE se fait à partir de deux stations : VERDUN et SAINT-SULPICE ; Source : Ntonga (1984).

En parallèle, dans les années 1930, on voit apparaître la notion de modèles numériques, essentiellement hydrauliques, conceptuels ou simplifiant les équations de Barré de Saint-Venant, qui seront utilisés plus tard pour expliquer, représenter à des fins d’aménagement et prévoir la propagation des crues. A partir des années 1960, à titre expérimental (Cunge, 2020), puis plus opérationnel, et de façon largement dominante depuis le début des années 2010, les modèles hydrologiques et hydrauliques (ou hydrodynamiques) numériques sont les outils utilisés pour la prévision des crues.

La généralisation relativement rapide, en une dizaine d’années, de l’utilisation de modèles numériques de prévision des crues est le résultat de plusieurs facteurs :

  • la maturation antérieure sur la modélisation hydrologique et hydraulique au niveau de certaines Directions régionales de l’environnement (DIREN) qui avaient eu recours à de tels modèles pour les Plans Grands Fleuves (Loire, Rhône, Seine, etc.) ou pour consolider, avec les Directions départementales de l’Équipement puis des Territoires (et de la Mer), les Plans de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI) ;
  • la création en 2002 des Services de Prévision des Crues (SPC), dont une majorité au sein des DIREN, avec l’affichage de l’ambition d’une prévision des crues allant au-delà de leur annonce (comme auparavant), et l’invitation, ensuite, à publier de plus en plus sur le site Vigicrues ces prévisions ainsi que les incertitudes associées ;
  • le fonctionnement en réseau des SPC et du SCHAPI, créé en 2003, avec des échanges renforcés et des formations structurées ;
  • l’établissement de relations fortes, avec un soutien financier croissant, entre le SCHAPI, et les SPC, d’une part, et les milieux de la recherche et du développement, d’autre part ;
  • la mise à disposition progressive de données nécessaires (pluviométriques et radar-météorologiques ; humidité des sols calculée par Météo-France ; possibilité de relevés topographiques suffisamment précis, par GPS puis aussi par LIDAR aéroporté, réalisés depuis 2011 sur la quasi-totalité des zones inondables par les cours d’eau du réseau hydrographique surveillé par l’État ;
  • l’organisation de Retours d’expérience (REX) des évènements marquants en matière d’importance des dommages mais aussi d’enseignements à tirer dans le processus de prévision, notamment d’améliorations souhaitables des modèles ; le dispositif de collaboration continue avec les équipes de recherche et développement impliquées dans ceux-ci permet de dégager assez rapidement des évaluations des performances et des perspectives d’améliorations ciblées : on peut citer, par exemple, le travail mené par l’Equipe HYDRO (UR HYCAR) de l’INRAE, concernant le modèle GRP, par suite des importants inondations de mai-juin 2016 ayant touché le bassin de la Seine et le nord de celui de la Loire (Pinna, 2017), et l’analyse par suite de la crue de février 2021 sur la Garonne marmandaise (Marchandise et al., 2023) ou celle des crues de juillet 2021 sur les bassins du nord-est de la France (Diederics et al, 2023).

Modèles hydrologiques pour la prévision des crues

Fonctions et limites des modèles hydrologiques

Les modèles hydrologiques visent, dans le cadre de la prévision des crues, à estimer les valeurs futures, à divers horizons de prévision, que va prendre le débit à l’exutoire des bassins versants.

Les modèles utilisés prennent en compte les données acquises en cours d’évènement, concernant la pluie que le bassin versant a reçue, ou qu’il est prévu qu’il recevra, ainsi que des paramètres variables en fonction de l’antécédent pluviométrique (humidité des sols, éventuellement niveau des nappes, etc.). Ils utilisent aussi comme donnée de référence, lorsque c’est possible, le débit ou le niveau du cours d’eau constituant le drain final du bassin versant modélisé.

Les bassins versants sont des systèmes très complexes dont on ne peut cerner qu’une partie de la réalité. Il est donc nécessaire de s’appuyer sur un certain nombre d’hypothèses, pas toujours vérifiées ; de plus, certaines données ne sont pas accessibles en temps réel. Comme pour la plupart de ceux qui représentent des systèmes environnementaux complexes, on ne peut donc pas attendre que ces modèles donnent des résultats très précis. Pour en savoir plus sur les incertitudes associées à ce type de modélisation, voir la fiche B.18 – Modélisation hydrologique : quelles incertitudes ?

Les modèles hydrologiques utilisés pour la prévision des crues et ceux qui ont été choisis pour un soutien prioritaire aux développements et pour l’aide à leur maîtrise

Modèles hydrologiques utilisés en France et dans le monde pour la prévision des crues

Les modèles hydrologiques anciennement et actuellement utilisés dans le réseau pour la prévision des crues en France sont :

  • les modèles conceptuels à réservoirs, évènementiels au départ, puis utilisables aussi en continu, de la famille GR développés par l’INRAE (ex-CEMAGREF et IRSTEA) : GR3H (utilisé dans la plate-forme SOPHIE), GR4H à la fin des années 2000 (au SPC LCI) puis à partir du début des années 2010, les versions successives du modèle GRP ;
  • les modèles hydrologiques évènementiels et géographiquement distribués, à base relativement physique, de la plate-forme PLATHYNES, utilisée pour leur calage et leur utilisation en temps réel ; PLATHYNES résulte de la fusion, en 2014, des plates-formes ATHYS et MARINE ; le modèle ALTHAIR, développé et utilisé depuis le début des années 2000 par le Service de Prévision des Crues Grand Delta [du Rhône] pour la prévision des crues rapides voire soudaines sur son territoire, après des efforts de spatialisation de ce modèle en 2005 (Ayral et al., 2005), a été porté sur PLATHYNES, aussi en 2014 ;
  • le modèle LARSIM (pour Large Area Runoff SImulation Model) (voir https://www.hydrology.uni-freiburg.de/publika/FSH-Bd22-Bremicker-Ludwig-francais.pdf), géographiquement distribué, et développé par la Communauté des développeurs de LARSIM (LARSIM, 2019), (Bourcet, 2013) et utilisé sur l’ensemble du bassin du Rhin, en particulier en France sur les bassins de la Moselle ainsi que du Rhin et de la Sarre, dans le cadre d’un système transfrontalier partagé de prévision des crues côtés français, luxembourgeois, et, en Allemagne, sarrois et rhénano-palatins ; il est aussi utilisé pour le bassin versant de la Meuse. Il s’applique à des mailles de 1km x 1km ou par sous-bassins versants, dit "de bilan hydrologique" (où est simulée une série assez complète des sous-processus hydrologiques) ;
  • le modèle MORDOR de prévision des crues et des étiages, développé par EDF depuis le début des années 1990 (Paquet, 2004). Il n’est utilisé jusqu’ici que marginalement par le réseau Vigicrues ;
  • pour l’anticipation des crues soudaines, le modèle SMASH (anciennement AÏGA), mis en œuvre dans Vigicrues Flash.

On peut aussi citer, entre beaucoup d’autres utilisés au niveau mondial, les modules hydrologiques des plates-formes de modélisation suivantes, incluant des fonctions de prévision, qui sont, ou ont pu être, mis en œuvre en France :

  • HYDRA (SETEC / Hydratec), géographiquement semi-distribué, pour l’hydrologie ;
  • Delft FEWS (Hydrological Forecasting and Warning System), Deltares aux Pays-Bas ;
  • La plate-forme LISFLOOD, base du système EFAS, conçue par le Centre commun de recherche (JRC) de la commission européenne pour les bassins fluviaux internationaux par suite des inondations de l’Oder, de l’Elbe et du Danube en 1997 et après (Van Der Knijff et al., 2008) ; LISFLOOD est un modèle géographiquement distribué à base physique et utilise des fonctions géomatiques ;
  • HEC-HMS (Hydrologic Modelling System), géographiquement distribué, développé par l’Hydrologic Engineering Center of the US Army Corps of Engineers (USACE), basé sur les principes des modèles SCS, développés par le Soil Conservation Service américain depuis la fin des années 1960 ; il peut alimenter divers modèles hydrauliques, dont HEC-RAS.

Les modèles hydrologiques priorisés dans le réseau Vigicrues

Le réseau national pour la prévision des crues, sous l’impulsion du SCHAPI, a préparé dès 2010 (Le Pape et Souldadié, 2010), puis adopté en 2012, une stratégie de développement et de consolidation des modèles hydrologiques et hydrauliques de prévision, qui a été ensuite régulièrement actualisée, notamment en 2020. Cette stratégie est centrée sur des modèles :

  • remplissant divers critères (ouverture des codes informatiques, gratuité, existence d’une communauté de développeurs et d'utilisateurs, etc.) ;
  • s’avérant pertinents ;
  • restant suffisamment peu nombreux pour bénéficier d’un soutien suffisant pour leurs développements et l’aide à leur maîtrise, y compris par la formation.

De plus, la stratégie prévoit, pour les modèles hydrologiques, de :

  • s’appuyer sur les outils existants, tant qu’ils donnent satisfaction et ne sont pas remplacés par d’autres plus performants, en s'appuyant notamment sur SOPHIE, une plate-forme multi-modèles "pluie-débit" ou "débit-débit", développée en France dès les années 1980 (Roche et al. , 2012), (voir aussi B.23 - Modèles hydrologiques empiriques) et qui a été utilisée comme pilote d’une structure plus complète, la Plate-forme opérationnelle pour la modélisation, la POM, qui l’a remplacée (Voir aussi Prévision des crues : les outils opérationnels utilisés en France (HU)). Les formules ou modèles que SOPHIE mettait en œuvre ont été abandonnés lorsque des outils reconnus comme plus performants ont été opérationnels ;
  • installer très largement le modèle GRP, relativement simple et robuste, dans tous les cas où il s’avère qu’il donne satisfaction (figure 4) ;
  • soutenir le développement des modèles distribués empiriques et à base relativement physique, en favorisant leur convergence (dans le cadre de la plate-forme PLATHYNES), en privilégiant, au départ, leur utilisation dans des cas de bassins versants à caractéristiques très contrastées et où les crues sont souvent consécutives à des évènements pluvieux très hétérogènes voire, comme on le verra plus loin, pour des sous-bassins versants non jaugés, ou pour mieux évaluer des apports intermédiaires entre stations de mesure. L’observation, au cours de ces dernières années d’événements pluvieux localisés et intenses sur des territoires peu habitués à ce genre d’épisodes a conduit à la mise en œuvre de modèles distribués en compléments des approches globales traditionnelles ;
  • développer des stratégies de modélisation sur sites non jaugés, dans le cadre des évolutions de Vigicrues Flash et de la plate-forme PLATHYNES.


Figure 4 : Utilisation en 2021 du modèle GRP dans les SPC en France ; le SPC Grand-Delta (GD)-Source a généralisé l’utilisation d’ALTHAÏR, intégré à la plate-forme PLATHYNES: https://webgr.inrae.fr/outils/modeles-hydrologiques/modele-de-prevision-hydrologique-grp.

Des points d’attention majeurs pour la construction et l’utilisation des modèles hydrologiques conceptuels de prévision des crues

Le calage de ces modèles hydrologiques

Concernant le calage, on pourra se référer à l'article Calage d'un modèle (HU) et à la Fiche B.19 - Calage des modèles hydrologiques.

Le calage des modèles hydrologiques est indispensable, que ces modèles aient ou non une part (plus ou moins mesurable) de signification physique. Ce calage, du fait que les paramètres à choisir sont spécifiques à chaque bassin versant, doit s’appliquer à chacun d’eux. Il consiste à :

  • pour un échantillon de crues continu, aussi long que possible et comprenant de préférence des évènements de période de retour statistique assez longue, analyser et critiquer (ou utiliser des séries déjà validées) les données d’évolution dans le temps :
    • des intensités de pluie précipitée sur le bassin versant (données d’entrée du modèle),
    • des débits mesurés à l’exutoire de celui-ci (données de sortie du modèle) ;
  • ajuster (phase d’apprentissage), sur une partie de l’échantillon, la valeur de ces paramètres, en minimisant les écarts entre les débits prévus à l’exutoire par le modèle et les débits observés, en mettant en œuvre une fonction objectif utilisant des critères de calage, comme ceux de Nash-Sutcliffe (Nash and Sutcliffe, 1970) ou Kling-Gupta (Gupta et al., 2009) ou d’autres ;
  • valider ces paramètres, sur une autre partie de l’échantillon, pouvant correspondre en partie à des contextes différents.

Pour certains modèles, par exemple ceux de la famille GR développés par l’Unité HYCAR de l’INRAE, et donc le modèle GRP, les calages peuvent être semi-automatisés grâce aux fonctionnalités d’un utilitaire de calage et d’évaluation (Furusho et al., 2014).

Par exemple, dans le cas du modèle GRP (figure 5), trois paramètres, dits libres font l’objet d’un calage (Tangara, 2005 ; Berthet, 2010):

  • $ Corr $ : facteur de correction du volume total de pluie nette, sans unité, utilisé en phase finale de la fonction de production pour calculer les intensités de pluie nette corrigée, $ P’r $, alimentant la fonction de transfert, en fonction de la pluie nette mesurée $ Pr $ ;
  • $ TB $ : le temps de base de l’hydrogramme unitaire (en nombre de pas de temps) qui permet de simuler le décalage temporel entre la pluie précipitée sur le bassin versant et le débit à son exutoire ;
  • $ Rout $ : la capacité (en mm/pas de temps) du réservoir de transfert (l’autre module central de GRP), qui assure un lissage temporel de la pluie efficace corrigée


Figure 5 : Schéma structurel du modèle GRP (E : ETP ; P : pluie ; Q : débit ; CORR (-) : facteur de correction des pluies nettes ; TB (h) : temps de base de l’hydrogramme unitaire ; ROUT (mm) : capacité du réservoir de routage ; les autres lettres représentent des variables internes) ; Source : INRAE (2024).

Il est à noter que :

  • la pluie précipitée a le statut de donnée d’entrée (ou de forçage) et le volume du réservoir d’humidité (dans le module de production) doit être initialisé (voir § "L’initialisation des modèles") ;
  • le modèle comporte, en amont dans les processus modélisés, deux modules récents, devant être initialisés :
    • un module "neige" qui est dédié à l’accumulation et à la fonte de la neige,
    • ainsi qu’un "réservoir d’interception" des précipitations par l’évapotranspiration potentielle ;
  • en aval dans ce processus, une procédure d’assimilation des valeurs du dernier débit observé et de l’écart entre celui qui avait été prévu et celui qui a été observé au pas de temps précédent, permet de corriger les valeurs aux pas de temps suivants de la capacité du réservoir de routage ; cette assimilation requiert donc une 3ème donnée d’entrée, le dernier débit observé à l’exutoire. Cette procédure est à utiliser préférentiellement en mode opérationnel de prévision, car en calage elle peut influencer la détermination des paramètres du modèle (Astagneau, 2022) ; une réflexion est en cours pour atténuer, si possible, cet inconvénient.

L’initialisation des modèles

On pourra aussi se référer notamment à la Fiche B.24 - Initialisation des modèles hydrologiques et incertitude résultante.

Lors de l’initialisation d’un modèle hydrologique, on définit la valeur des variables d’état au démarrage d’une période de prévision (ou d’un autre type de simulation), pour décrire l’état du système hydrologique (bassin versant, y compris les cours d’eau qui le drainent) à ce moment-là. La précision des prévisions dépend beaucoup de la qualité de l’initialisation : notamment, celle des variables d’état traduisant l’humidité du sol au début de l’évènement, car elle a une forte influence sur les valeurs du débit simulé.

Pour initialiser un modèle, on peut avoir recours à trois méthodes :

  • l’observation des débits à l’exutoire du bassin versant, qui peuvent être des témoins de l’état d’humidité des sols, comme dans une procédure d’assimilation des données ;
  • l’initialisation évènementielle, en s’appuyant sur des indicateurs calculés comme ceux de la chaîne SIM (Safran – Isba – Modcou) (https://www.umr-cnrm.fr/spip.php?article424) puis d’ISBA-CTRIP (https://www.umr-cnrm.fr/spip.php?article1092) mis à disposition du SCHAPI et des SPC par Météo-France ; l’initialisation par l’indicateur $ HU $ d’humidité des sols issu de ces chaînes est opérationnelle depuis la fin 2023 pour les modèles de la plate-forme PLATHYNES ainsi que pour des abaques de vigilance utilisés par certains SPC, d’autres se référant aussi, comme témoins, aux débits observés à l’aval des bassins versants concernés ; même pour un prévisionniste averti il s’avère difficile, en particulier pour les modèles conceptuels, de relier un certain nombre de variables d’état à des observations disponibles en temps réel car elles peuvent varier sensiblement suivant leur localisation et les évolutions météorologiques ;
  • la simulation continue de l’historique des pluies et des évènements de temps sec pendant une assez longue période avant l’évènement faisant l’objet de la prévision. Cela demande de disposer d’une version adaptée du modèle, qui s’appuiera sur les mesures de pluie (et, si on est en mode "assimilation", sur celles du débit à l’exutoire), ainsi que de mesures météorologiques complémentaires. Pour la plupart des modèles hydrologiques, les résultats d’une simulation continue assez longue deviennent assez indépendants des variables d’état initiales : il est conseillé, pour le modèle GRP, de simuler en mode continu une période d’une année, ou moins, mais en prenant des précautions particulières.

Le fonctionnement en extrapolation de ces modèles

On pourra aussi se référer notamment à la Fiche B.20 - Modélisation hydrologique : fonctionnement en extrapolation.

Un modèle fonctionne en extrapolation lorsqu’il s’applique à des pluies ou des débits dont les caractéristiques sortent de la gamme de ceux sur lesquels il a été calé. Ces caractéristiques peuvent être des valeurs très fortes d’intensité de pluie ou de débit maximal, correspondant à des évènements assez rares et dont on n’aura pas toujours la chance de disposer dans l’échantillon des données observées ; elles peuvent aussi concerner des situations surprenantes non observées sur l’échantillon, comme des ruissellements très fortement ou faiblement amortis au regard des caractéristiques des précipitations.

Les modèles qui respectent des principes robustes, comme la conservation de la masse, le garde-fou le plus fiable, sont moins susceptibles de donner, en extrapolation, des résultats trop faux. Les modèles conceptuels prenant cette précaution, ou les modèles à base physique, sont en général dans ce cas. Ce n'est pas toujours le cas des modèles reposant sur des réseaux de neurones artificiels ou de certains modèles empiriques, en particulier certains de ceux qui ont été mis en œuvre dans la plate-forme multi-modèles SOPHIE et qui ont qui ont été repris dans PLATHYNES, comme les modèles de "relations linéaires".

L'importance d'une évolution permanente des modèles

Une confrontation permanente entre les résultats de simulation et les valeurs de débit mesurées, en particulier au travers de retours d'expérience, permet de faire évoluer les modèles et d'améliorer leur capacité prédictive.

Cette démarche a en particulier été appliquée au modèle GRP est a permis de mettre en place des versions plus performantes sur un grand nombre de bassins versants (voir GRP (HU)) (Pinna, 2017 ; Pérédo et al., 2018 ; Tibéri-Wadier et al., 2022).

Les modèles géographiquement distribués, en partie d’inspiration physique (MARINE, ATHYS, et ALTHAÏR)

Cette voie a fait, en France, l’objet d’investigations depuis les années 1990 (Moussa, 1993) pour prendre en compte l’hydrologie générale de bassins versants hétérogènes, comme dans les Cévennes.

Pour les applications actuelles en prévision des crues, notamment, on pourra se référer :

Les modèles MARINE, développé par l’Institut de Mécanique des fluides de Toulouse (figure 6), ATHYS, conçu par HydroSciences de Montpellier et l’IRD, et ALTHAÏR, développé et utilisé par le SPC GD, sont tous les trois installés sur la Plate-forme commune PLATHYNES (Narbaïs-Jaureguy et al., 2023) et utilisable pour la prévision opérationnelle des crues. Ils sont adaptés pour des bassins versants dont les parties ont des caractéristiques assez contrastées et qui sont soumis à des crues rapides consécutives à des pluies consécutives intenses et inégalement réparties.


Figure 6 : Présentation synthétique de la structure du modèle MARINE ; Source :

D'autres modèles de ce type existent, comme :

  • LARSIM, qui, lui, permet aussi de sectoriser par sous-bassins versants,
  • MORDOR-TS (pour MOdèle à Réservoir, de Détermination Objective du Ruissellement, totalement Spatialisé), développé par EDF pour la prévision des crues et des étiages (En réalité il s'agit d'un modèle semi-distribué, le bassin versant étant découpé en sous-bassins versants de superficie choisie, sachant, par ailleurs, que le modèle MORDOR-SD est, lui, découpé en bandes d’altitude) ; voir https://www.drias-eau.fr/accompagnement/sections/394.

Tous ces modèles reproduisent, en s’appuyant sur un maillage régulier et assez fin de l'espace. Des mailles de 1 km x 1 km sont souvent conseillées car cette échelle kilométrique :

  • correspond au maillage des images radar-météorologiques calibrées décrivant le mieux la distribution spatio-temporelle de la pluie ;
  • est un bon compromis entre la représentation du bassin, de son réseau de drainage, et ne génère pas des temps de calcul excessifs, les divers processus hydrologiques de production et de transfert, étant décrit en s’appuyant sur des lois d'inspiration physique ;
  • est assez cohérent avec la précision des modèles numériques de terrain des bassins versants, celle des cartes d’occupation du sol ou des caractéristiques pédologiques et géologiques, ainsi que de la description de la morphologie des cours d’eau drainant le bassin versant.
  • permet de positionner assez correctement dans les modèles l’exutoire du bassin et les stations de mesure.

Nota : Il faut noter que, même dans ces modèles, on est encore très loin d'une véritable description physique des phénomènes hydrologiques, la dimension des mailles de calcul étant beaucoup trop grande pour assurer une réelle homogénéité de fonctionnement, ce qui justifie d’utiliser de préférence l’expression "d’inspiration physique" pour les caractériser.

Le modèle MARINE, par exemple, simule au niveau de chaque maille et dans les échanges entre mailles :

Ces modèles, développés à l’origine pour des bassins versants aux caractéristiques hétérogènes, sont aussi de plus en plus utilisés pour modéliser l’hydrologie de bassins versants moins hétérogènes, mais où les cours d’eau ne sont pas très densément instrumentés (ce qui est le cas général), en faisant un effort de régionalisation des paramètres des fonctions de production simulant la relation "pluie sur chacune des mailles - débit à l’exutoire de ces mailles". La régionalisation est une méthode générale consistant à extrapoler des informations acquises sur des bassins jaugés (disposant d’assez longues séries de mesures hydrométriques validées) à des bassins versants non jaugés. Appliquée à des modèles géographiquement distribués comme ceux de la plate-forme PLATHYNES, elle permet d’opérer une interpolation spatiale de la réponse hydrologique mesurée à l’aval d’un assez grand bassin versant (Voir en p. 279 du mémoire de thèse (Rouhier, 2018) portant sur la régionalisation du modèle MORDOR-TS). Cela ouvre des perspectives prometteuses pour étendre largement la prévision des crues à l’aval de nombreux sous-bassins versants.

Les procédures multi-modèles principalement hydrologiques

La plate-forme SOPHIE (HU) a permis, à partir de la deuxième moitié des années 1980, de fédérer dans une même plate-forme les diverses formules et les quelques modèles utilisés opérationnellement pour la prévision des crues. Elle a ainsi offert un premier environnement commun pour la gestion des données d’entrée et des résultats, ainsi que pour leur comparaison, lorsque plusieurs modèles étaient mis en œuvre. Cet outil a constitué la ressource permettant d’attendre jusqu’en 2013 le début de la diffusion de la Plate-forme Opérationnelle de Modélisation (POM). La généralisation de l’utilisation de la POM dans les SPC et la mise en évidence des limitations des formules et modèles empiriques ont rendu caduc l’outil SOPHIE, dont les composants restant utiles ont été intégrés dans la POM.

Le principe du recours à des modélisations différenciées et à la comparaison de leurs résultats est une ressource précieuse pour consolider l’évaluation des incertitudes de prévision. La POM le rend possible. Ces multi-modèles peuvent être de la même famille (GRP, comme on l’a vu plus haut), mais aussi favorisent une complémentarité et un rapprochement des modèles conceptuels et des modèles distribués d’inspiration physique (sans que cela ne nécessite beaucoup plus de mesures, notamment en temps réel).

L’intérêt pour les procédures multi-modèles reste d’actualité, en hydrologie générale : on peut citer par exemple (Arsenault, 2015) et (Thébault et al., 2023).

Modèles hydrauliques (ou hydrodynamiques) pour la prévision des crues et des inondations

Les fonctions et principales caractéristiques des modèles hydrauliques

La simulation de la propagation d’une onde de crue (voir Modèle d'écoulement en réseau et en cours d'eau (HU)) permet de prévoir les changements que subira l’hydrogramme qui la représente au cours de sa propagation dans le système hydraulique, le long des tronçons modélisés de cours d’eau, entre deux confluences majeures. Ces changements résultent :

  • de la diffusion de l'onde de crue qui se traduit par un amortissement du pic de crue, un allongement de la durée de l'hydrogramme et un décalage temporel ;
  • des apports (et dans une moindre mesure des pertes) intermédiaires ou des particularités rencontrées sur le parcours (stockage ou lâcher d’eau au niveau d’un barrage-réservoir, par exemple).

Et à ces confluences majeures, ces modèles composent les apports du cours d’eau principal et d’un ou plusieurs affluents.

Il existe deux grandes familles de modèles de propagation et de composition des crues :

  • les modèles simplifiés de propagation des ondes de crue, apparentés aux modèles analogiques numériques (dits parfois improprement "hydrologiques") et résultant, soit d'approches conceptuelles, soit de simplifications des équations Barré de Saint-Venant, par exemple : le modèle Muskingum, le modèle de l’onde cinématique, ou encore les modèles basés sur des hydrogrammes unitaires de type Hayami (voir par exemple Baptista et Michel, 1989), ou plus récemment MOHYS ; les modèles de cette famille n'utilisent que le débit et permettent uniquement de représenter les déformations de l'onde de crue.
  • les modèles hydrauliques (ou hydrodynamiques) reposant sur les équations de Barré de Saint-Venant ; ils représentent à la fois le débit et les grandeurs hydrauliques qui le caractérisent (hauteur et vitesse moyenne) ; ces modèles nécessitent des informations détaillées sur la géométrie et la rugosité des tronçons du cours d’eau, ainsi que des méthodes de calcul plus élaborées ; ce sont ceux qui sont aujourd'hui les plus largement utilisés ; ils peuvent être monodimensionnels (1D) ou bidimensionnels (2D).

L'utilisation d'un modèle filaire (1D) peut être suffisante dans les secteurs avec des lits majeurs assez étroits et sans enjeux très forts. Elle est alors privilégiée pour des questions de temps de calcul et de quantité de données à fournir.

Cette représentation simple peut cependant être insuffisante dans les autres cas, pour lesquels il faudra simuler les écoulements en lit majeur. Ceci est possible de deux façons :

  • l’ajout au modèle filaire (1D) utilisé sur le lit mineur, et éventuellement sur les principaux chenaux d’écoulement en lit moyen ou majeur, d’un modèle à casiers permettant de représenter les transferts d'eau, d'une part entre le lit mineur et les principaux chenaux d’écoulements, et d'autre part les zones d’expansion de crue dans les lits moyen et majeur ; ces modèles à casiers sont d'autant plus pertinents que les trois types de lits sont assez bien compartimentés par des infrastructures en remblais, des digues latérales ou des talus routiers ou ferroviaires, qui contraignent les écoulements en lit majeur et conditionnent les stockages consécutifs aux débordements ; les échanges entre casiers sont régis par des lois de transfert (souvent des lois de seuils ou d’orifices) ;
  • des modèles multidirectionnels, à 2 dimensions horizontales (2D), dans le cas où les écoulements vont, au sein du lit mineur (par exemple dans un estuaire large comme la Gironde) ou de la zone inondée, dans plusieurs directions horizontales ; ces modèles fournissent le niveau d’eau ainsi que les composantes horizontales de la vitesse en tous points d’un maillage reposant sur une grille de calcul horizontale ; ils nécessitent des données topographiques et bathymétriques suffisamment précises, en altimétrie (une à deux dizaines de centimètres) et en résolution horizontale (variant de quelques mètres à quelques dizaines de mètres, suivant que les variations altimétriques sont marquées ou pas) ; ils permettent aussi de représenter les écoulements de manière relativement concrète, sur des cartes dynamiques, ce qui facilite la communication au public. Mais ils sont plus lourds à mettre en œuvre, notamment pour la collecte des données nécessaires, même si de très notables progrès ont été faits depuis le début des années 2010 sur la disponibilité et la précision des informations topographiques. Ces modèles multidirectionnels peuvent aussi être très utiles pour simuler des écoulements localisés aux abords d’un ouvrage ou d’une autre singularité hydraulique ou consécutifs à l’ouverture d’une brèche dans une digue. Ils peuvent tenir compte d'autres variables climatiques (par exemple le vent).

La spécificité des modèles hydrauliques pour la prévision des crues par rapport à ceux qui sont utilisés en simulation pour évaluer les risques ou les effets d’aménagements est moins forte que pour les modèles hydrologiques. Elle est centrée sur leur capacité à :

  • recevoir et traiter en temps réel différentes données d’entrée : résultats des modèles hydrologiques, mesures hydrométriques et informations éventuelles sur des modifications du contexte hydraulique ;
  • exécuter les calculs et fournir les résultats dans des délais obligatoirement assez courts.

Ces modèles peuvent donc résulter assez facilement d’adaptations de modèles ayant déjà été mis en place pour d’autres fonctions (élaborer des Plans de prévention des risques d’inondation, évaluer les options d’une stratégie de réduction de ces risques, etc.) ce qui s’est produit, par exemple dans le cadre de Plans grands fleuves ou des PAPI. Les contraintes opérationnelles nécessitent tout de même de privilégier des modèles à la fois robustes informatiquement (peu sujets à des interruptions ou des pannes) et d’exécution rapide, ce qui oblige parfois à simplifier ou reconfigurer ces modèles, voire à coupler de la modélisation filaire (grands corridors) et de la modélisation mulidirectionnelle (lits mineurs ou majeurs larges, zones de confluences, présence d’ouvrages hydrauliques et d’enjeux forts et différenciés, etc.) comme le permettent les suites TELEMAC-MASCARET ou HEC-RAS.

Les divers modèles hydrauliques utilisés et ceux qui ont été choisis pour un soutien prioritaire

Les modèles hydrauliques utilisés pour la prévision des crues

Les modèles hydrauliques, ou hydrodynamiques, actuellement utilisés dans le réseau pour la prévision des crues en France sont présentés dans les paragraphes suivants.

Modules hydrauliques simplifiés et MOHYS, intégrés dans la Plate-forme PLATHYNES

La plate-forme PLATHYNES intégrait, dès 2014, divers modules de transfert hydraulique simplifié : onde cinématique, relations linéaires, etc.

MOHYS constitue un modèle spécifique de cette famille. Il s’agit d’un modèle de propagation simplifié, rapide et souvent performant, qui appartient à la famille des modèles de propagation d'ondes de crue. Il a été rajouté à la plate-forme en 2023. Ses principales fonctions sont les suivantes :

  • il propage l'hydrogramme dans le tronçon selon un temps de propagation qui peut être ajusté en fonction d'un indicateur (une classe de niveau d’eau ou de débit),
  • il réalise ensuite une amplification par application d'un coefficient (ratios de surfaces de bassins versants) pour prendre en compte les apports intermédiaires entre le bassin drainé à une station en amont et le bassin jusqu'à la confluence avec le cours d’eau principal,
  • il représente le laminage de l’onde de crue du fait de sa propagation et/ ou du fait des débordements,
  • il lisse le signal via un hydrogramme unitaire, ce qui est notamment nécessaire si la station amont est une sortie de barrage.
MASCARET

Pour en savoir plus, voir MASCARET (HU) ainsi que (Le Pape et al., 2024).

Ce logiciel repose sur un modèle hydrodynamique filaire 1D (monodimensionnel suivant l’axe longitudinal du cours d’eau) résolvant les équations de Barré de Saint-Venant par la méthode des différences finies ou la méthode des éléments finis.

Il a été développé à l'origine par le Laboratoire National d’Hydraulique et d’Environnement (LNHE) d’Électricité de France (EDF) (Goutal et Maurel 2002 ; Goutal et al, 2012), puis codéveloppé avec le CETMEF (intégré par la suite au CEREMA) et Artelia. Il est composé de trois noyaux de calcul hydrodynamique et permet des calculs en régime :

  • fluvial ou transcritique (souvent dit torrentiel) permanent ;
  • fluvial non permanent (en utilisant le schéma de différences finies de Preissmann) ;
  • transcritique non permanent (en utilisant le schéma Volumes finis Roe).

Le logiciel peut décrire des profils complexes incluant un grand nombre de points descriptifs du lit mineur et des cours d’eau des lits majeurs contributifs (cas de vallées assez étroites ou de chenaux dans les vallées plus larges), dont les mises en eaux puis hors d’eau peuvent se faire de manière progressive. Un modèle à casiers, couplé avec les noyaux fluviaux, permet de prendre en compte, par un ensemble de casiers interconnectés, les zones inondables moins contributives à l’écoulement. Ces casiers peuvent être reliés à la rivière et entre eux par différentes liaisons hydrauliques représentant les zones d'échange et les obstacles naturels de l'écoulement (digue, seuil, chenal, siphon, orifice, vanne-clapet).

MASCARET est maintenant intégré dans la chaine TELEMAC-MASCARET qui constitue un ensemble de codes de calculs scientifiques couplés et parallélisés, dédiés à la modélisation de l’hydraulique environnementale à surface libre, qui regroupe des codes 1D, 2D et 3D, permettant de modéliser et prédire tous les écoulements liés à l’eau : cours d’eau, réservoirs et lacs, mers et océans, divers transports solides, qualité de l’eau, etc. Cette suite est composée de logiciels libres, gratuits et bénéficie d’une communauté d’utilisateurs et développeurs. Depuis 2015, le bureau d’études Artelia gère la maintenance du code Mascaret dans le cadre du Consortium TELEMAC-MASCARET et intègre les développements des contributeurs. Cet outil est utilisé par de nombreux organismes européens et internationaux.

Le développement d'une nouvelle interface de description de la géométrie des lits, d’abord par le SPC Maine-Loire aval (DREAL Pays de la Loire), sous forme d’un prototype de plugin QGIS, puis son amélioration permanente, sous pilotage du SCHAPI, en association avec le CEREMA, a permis de beaucoup faciliter son utilisation, sous contrôle par visualisation cartographique, avec une ergonomie rendant plus fiable et plus rapide la construction d’un modèle de grande emprise. Le plugin de QGIS est diffusé par ARTELIA, et bénéficie d’une documentation en ligne (https://github.com/Artelia/Mascaret/wiki) (voir figure 7).


Figure 7 : Positionnement des profils en travers (en rouge) pour la modélisation hydraulique avec MASCARET des écoulements dans les lits mineur et majeur de l’Adour et des Gaves réunis au niveau et à l’aval de leur confluence ; Source : Open TELEMAC-MASCARET.

Dès 2006, un premier modèle Mascaret a été construit sur un secteur influencé par la marée : l’Adour aval, un des cas où il devenait impératif de disposer d’un modèle permettant de prendre en compte cette influence aval (maritime, en l’occurrence) aussi bien que celle des crues générées en amont. Petit à petit d’autres modèles MASCARET de prévision des crues ont été construits et plus d'une cinquantaine existaient en 2023 (figure 8). La plupart des 17 SPC sont aujourd'hui dotés d’au moins un modèle MASCARET. Cette montée en puissance a été accompagnée par des formations spécifiques pour une cinquantaine de modélisateurs, ainsi que de développements en interne dans plusieurs SPC et par le CEREMA. La construction de modèles MASCARET a vocation à se poursuivre notamment sur les zones à forts enjeux surveillés par Vigicrues.


Figure 8 : Recensement en 2022 et 2023 des modèles MASCARET utilisés pour la prévision des crues en France sur le territoire métropolitain ; Source : Le Pape et al. (2024).
TELEMAC-2D

Pour en savoir plus, voir TELEMAC-MASCARET (HU).

Le logiciel TELEMAC-2D (Open TELEMAC-MASCARET, 2023) et (TELEMAC-2D Manuel de l’utilisateur, 2010) résout les équations de Barré de Saint-Venant à deux dimensions horizontales. Ses résultats principaux sont la hauteur d’eau et la vitesse moyenne sur la verticale en chaque point du maillage. TELEMAC-2D trouve ses applications en hydraulique à surface libre, maritime ou fluviale. Il est capable de prendre en compte une multitude de phénomènes physiques, notamment, dans notre domaine : le frottement sur le fond ; l’influence de la force de Coriolis ; l’influence de phénomènes météorologiques (pression atmosphérique et vent) ; la turbulence ; les écoulements torrentiels et fluviaux ; les zones sèches dans le domaine de calcul (bancs découvrant et plaines inondables) ; le traitement de singularités (seuils, digues, buses, etc.) ; le couplage avec le transport sédimentaire ; etc.

HYDRARIV

HYDRARIV (SETEC Hydratec) est un progiciel de modélisation hydrologique et hydraulique, notamment, qui associe et peut coupler divers schémas de représentation (1D ou filaire ; casiers ; maillages 2D). Son noyau de calcul est constitué par le logiciel HYDRA Et repose sur le système d’information QGIS, libre et open-source. Une interface graphique dédiée, HYDRAMAP agit comme pré processeur d’HYDRARIV pour générer en lot certaines entités de modélisation et traite cartographiquement certains résultats. HYDRARIV a été utilisé pour évaluer les stratégies du Plan Loire, puis pour la prévision des crues sur la Loire moyenne, après adaptation (pour pouvoir mieux simuler les ruptures de digues en Loire moyenne et leurs effets) à la fin des années 2000 (DREAL Centre / HYDRATEC, 2009), avant que ne soit aussi mis en place MASCARET ; HYDRARIV continue d’être utilisé sur la Loire moyenne, en particulier pour ses capacités à simuler les ruptures de digues ; il est aussi mis en œuvre, par exemple, pour la prévision des crues de la Saône aval.

Autres modèles

D'autres modèles méritent également d'être cités :

  • le modèle de la Compagnie Nationale du Rhône, qui a été utilisé pour le Plan Rhône, puis adapté et utilisé pour la prévision des crues du Rhône en aval de Lyon ;
  • le modèle HEC-RAS qui a été connecté, pour le SPC Rhin-Sarre, au modèle LARSIM (Bourcet, 2013) et aussi d’autres modèles de prévision utilisés dans d’autres pays :
    • MIKE 11 et MIKE 21, modèles respectivement filaire et multidirectionnel, développés par le Danish Hydraulic Institute (DHI), utilisés pour la prévision des crues, notamment dans les pays scandinaves ;
    • Delft-FEWS (plate-forme destinée à la prévision en temps réel, plate-forme très complète de modèles divers et d’outils périphériques produite par Deltares aux Pays-Bas), utilisée notamment au BanglaDesh et aux USA par le Community Hydrologic Prediction System (CHPS), système national collectif de prévisions hydrologiques du service météorologique américain (NOAA) ;
    • Les modèles de propagation et composition des ondes de crues de la plate-forme LISFLOOD, base du système EFAS, et son module LISFLOOD–FP (Flood Plains) permettant la simulation multidirectionnelle de l’inondation des plaines inondables.

Les modèles hydrauliques priorisés dans le réseau Vigicrues

Comme pour les modèles hydrologiques (Voir § 3.2.2. ci-dessus), la stratégie de développement et de consolidation des modèles de prévision des crues du réseau Vigicrues prévoit, pour les modèles hydrauliques :

  • d’intégrer dans les Plates-formes opérationnelle POM et PLATHYNES les principaux modèles utilisés ;
  • d’installer le modèle hydrodynamique filaire 1D MASCARET, sauf dans les cas suivants :
    • lorsqu'un modèle de niveau au moins équivalent (HYDRARIV ou MIKE 11, par exemple) a été mis en place sur le cours d’eau et sa zone inondable à l'occasion d'une étude antérieure (par exemple pour définir les cartes d’aléas d’inondation des Plans de prévention des risques d’inondation), et que ce modèle a été adapté pour la prévision des crues et reste performant ;
    • lorsque qu’un modèle de propagation d'onde de crue simplifié, comme MOHYS, donne satisfaction ;
  • de soutenir la mise en place du modèle TELEMAC 2D dans les cas où c’est nécessaire.

le modèle MASCARET a été choisi car il s'agit d'un logiciel libre et gratuit, relativement facile d’utilisation et dont le potentiel continue d’être développé par une communauté dynamique (LNHE d’EDF, CEREMA, SPC, ARTELIA et d’autres), notamment pour l’assimilation des données, en forte liaison avec un club des utilisateurs.

Une action de recherche associant le SCHAPI et le CERFACS a par exemple visé à développer une méthode d'assimilation des données prenant en compte, à chaque pas de temps de prévision, le dernier débit observé et son écart avec le débit prévu antérieurement pour cette échéance (Habert, 2016). Cette recherche a pu être mise en phase opérationnelle pour la prévision des crues dans le SPC "Seine amont-Marne amont" ;

Des points d’attention majeurs pour la construction et l’utilisation des modèles hydrauliques de prévision

Voir également la Fiche B.26 - Modélisation hydraulique.

L’architecture de calcul des modèles hydrauliques

Comme vu plus précisément au § "MASCARET", la construction d'un modèle hydraulique repose essentiellement sur des données topographiques décrivant le lit mineur de la rivière avec ses éventuels bras secondaires, ainsi que la plaine inondable (lits moyen et majeur) et tous les ouvrages hydrauliques influant sur les écoulements (digues de protection contre les crues, barrages de navigation ou autres, ponts, etc.). Ces données sont obtenues par des relevés terrestres (nivellement classique ou relevés GPS) et désormais, couramment, par relevés LIDAR aéroportés ainsi que, pour la partie sous l'eau, par bathymétrie. Pour les digues, la donnée essentielle, le profil en long de la crête de digue, peut être complété par un relevé topographique spécifique ou une extraction ciblée à partir d’un levé LIDAR.

Pour les ouvrages hydrauliques, il est souvent préférable de consolider les données disponibles par un relevé avec une précision de l'ordre du centimètre.

Sur la base de ces données topographiques et géométriques, on définit une topologie (une schématisation du fonctionnement hydraulique du cours d'eau et de sa vallée), comprenant :

  • pour les modèles filaires (1D) :
    • des tronçons de calcul de caractéristiques homogènes dans les zones d'écoulement (le bras principal, les bras secondaires éventuels, les chenaux de crues en lit majeur) décrites par des modélisations filaires,
    • les zones de stockage – et d’inondation - (décrites par des casiers),
    • les points d'échange entre ces zones (communication entre lit principal et bras secondaires, débordements dans la plaine inondable au niveau du terrain naturel ou par-dessus une digue, etc.) ;
  • pour les modèles multidirectionnels (2D) : des mailles, le plus souvent triangulaires ou rectangulaires en projection horizontale, ayant divers types de liaisons entre elles.

Les risques d’éloignement des hypothèses de modélisation hydraulique

La modélisation hydraulique filaire repose sur la résolution des équations de Barré de Saint-Venant 1D, qui est fondée sur une série d'hypothèses, notamment :

  • l'écoulement est unidimensionnel (ou filaire) ;
  • la répartition des vitesses est uniforme dans une section transversale donnée ;
  • la répartition des pressions sur une verticale est hydrostatique.

Pour la propagation des crues sur un tronçon homogène et entre les nœuds de calcul extrémités, ces hypothèses peuvent être considérées comme assez satisfaites. Mais il ne faut pas perdre de vue que le modèle pourra mal représenter localement les écoulements au niveau de points singuliers, comme les confluences ou les ouvrages hydrauliques. Cela peut être gênant, par exemple, au niveau des échelles de crue, car elles sont souvent situées près des ponts.

Le calage des modèles hydrauliques

Deux aspects sont particulièrement importants :

  • la prise en compte des apports intermédiaires relativement diffus, entre confluences alimentées par un modèle hydrologique ;
  • le réglage des coefficients de rugosité.
Maitrise des apports intermédiaires

Tous les affluents du cours d’eau principal, se situant entre les principales confluences ou points d’injection de débit ruisselé à l’exutoire des bassins versants modélisés, ne peuvent pas être instrumentés ni même représentés par des sous-bassins versants bien identifiés. Or ces apports intermédiaires ont une importance relative non négligeable, en particulier en tête de grand bassin versant (où ils peuvent représenter une importante part relative du débit), ou bien en cas de pluie intense localisée. Une évaluation trop approximative de ces apports intermédiaires peut se traduire par d’importantes sous-estimations ou surestimations des débits, et donc des hauteurs d'eau, modélisés. Dans ces cas, plusieurs solutions s'offrent au modélisateur :

  • caler des modèles pluie-débit pour modéliser les principaux apports (solution assez coûteuse en temps de calage) ;
  • sinon, lorsque la répartition spatiale des pluies est assez homogène et les comportements hydrologiques des cours d'eau sont comparables :
    • injecter entre chaque station d'observation sur le cours d’eau principal un débit moyen constant ajusté sur le déficit moyen de débit constaté à la station de mesure à l'aval lorsque les apports intermédiaires ne sont pas pris en compte,
    • dans les cas où les caractéristiques hydrologiques des bassins versants concernés sont également assez homogènes, appliquer un coefficient multiplicateur à l'hydrogramme de crue produit par un bassin voisin ; ce coefficient multiplicateur est déterminé en fonction de la surface des bassins concernés, ou de l’évaluation des volumes d’apports respectifs, et en prenant en compte des temps de propagation estimés ;
    • avoir recours à un modèle de la plate-forme PLATHYNES, avec régionalisation des paramètres et mise en cohérence des maillages et points d’injection.
Calage des coefficients de rugosité

Ce calage concerne les coefficients de rugosité des lits mineur et majeur et des échanges entre les différentes parties du lit mineur ainsi qu’entre les chenaux d’écoulement dans le lit majeur et les zones ayant principalement une fonction de stockage temporaire

On s’en tient ici, seulement au calage des modèles hydrauliques monodimensionnels, avec ou sans casiers, comme MASCARET, les modules 1D d’HYDRARIV ou Mike 11.

Ce calage porte essentiellement sur les coefficients de rugosité du lit mineur et des chenaux d’écoulements principaux dans les lits moyen et majeur.

Ce calage nécessite de disposer de données d'observation des niveaux d’eau et des débits, faites si possible durant plusieurs types de crues, dont certaines faiblement, ou pas du tout, débordantes (pour les calages dans le lit mineur) et d’autres nettement débordantes (pour les calages dans le lit majeur). Les données utilisées sont : des hydrogrammes aux entrées du modèle, déduits des courbes de tarage établies par :

  • des jaugeages effectués en période de crue au droit des échelles hydrométriques, et plutôt aux moment du maximum ou de phases de plateau ;
  • des relevés de pente de ligne d'eau, à partir de laisses et de repères de crues antérieures ;
  • des relevés en temps réel au passage de la crue par prise de vue aérienne avec repérage GPS.

La disponibilité et la densité de ces données est très variable. Leur collecte et leur critique représente un travail important mais primordial pour la qualité du calage du modèle. Elle justifie aussi, pour améliorer le modèle par la suite, une stratégie d'acquisition de ces données (renforcement des réseaux d'observation, marchés prêts pour faire réaliser des relevés géométriques ou de laisses de crue, ainsi que des prises de vue aériennes ou au sol "sur le vif" de crues significatives, réalisation d’un maximum de jaugeages de crues).

Si on ne dispose que des relevés aux échelles, en l'absence de mesures intermédiaires le long du cours d'eau, le calage du modèle ne pourra être que global, reproduisant au mieux les observations disponibles à ces échelles, mais restant approximatif, avec une précision altimétrique de la ligne d'eau restant de l'ordre du mètre. Alors qu’avec des observations denses et précises de la ligne d'eau, le calage du modèle peut être affiné, et reproduire ces lignes d'eau avec une précision de l'ordre de 20 à 30 centimètres, voire mieux.

La représentation au droit des singularités hydrauliques est souvent faite à partir de formules théoriques (loi de perte de charge de type Bradley pour les ponts, loi de seuil (ou de déversoir), etc.). Des observations de terrain (ou par drone) pendant les crues peuvent permettre de vérifier, voire de préciser les valeurs calculées par le modèle, et de recaler les coefficients utilisés en conséquence.

L’initialisation du modèle MASCARET

Les modèles hydrauliques de prévision des crues sont généralement employés de façon événementielle. En situation de prévision opérationnelle, ces modèles, comme MASCARET, ne recalculent pas, faute de temps, leur condition initiale (hauteurs et débits de base et lignes d’eau avant le démarrage de la crue). Pour contourner ce problème, il est recommandé, comme pour les modèles hydrologiques, de débuter la simulation quelques jours avant la date prévue de la crue durant un temps de chauffe, afin de réduire nettement cette erreur de condition initiale.

Pour éviter d’avoir à simuler une période de "chauffe" trop longue, on effectue en général une reprise de calcul à partir d’un état (ligne d’eau et remplissage des casiers) sauvegardé lors d’une simulation précédente basée uniquement sur des observations, que l’on dénomme "analyse", par opposition aux "simulations de prévision" qui, elles, prolongent cette "analyse" par un forçage (introduction de données d’entrée) supplémentaire correspondant à des prévisions, issues, par exemple, de modèles en amont (Le Pape et al., 2024).

L’assimilation des données avec le modèle MASCARET

Même dans des cas de modèles assez bien calés sur des évènements bien observés, on peut constater des écarts, par exemple sur la valeur des débits de pointe et la date où ils sont atteints.

La topographie, la bathymétrie, les valeurs des paramètres (coefficients de frottement) ou des données d’entrées (débits calculés par les modèles hydrologiques et évaluation des apports intermédiaires), ainsi que les conditions initiales sont sources d'incertitude et engendrent des écarts entre les données modélisées dans un premier temps (appelé ébauche) et observées. Il est possible de réduire ces écarts en modifiant certains paramètres ou certaines variables d’état du modèle en fonction des données hydrométriques observées les plus fraîches et de notre connaissance des différentes sources d'incertitude : ce processus est l’assimilation de données (Habert, 2016), à utiliser avec précaution, notamment dans le processus d’évaluation, à nouveau comme pour les modèles hydrologiques.

Les niveaux d’eau ou les débits aux stations d'observations sont assimilés et comparés à l'ébauche. Dans le cadre de la méthode du filtre de Kalman, des perturbations sont générées sur les débits d'entrée du modèle et/ou les coefficients de frottement. La réponse à cette perturbation est analysée et une modification "optimale" de ces états ou paramètres est choisie en fonction de :

  • l'écart entre l'ébauche et l'observation ;
  • la connaissance quantitative des différentes incertitudes liées à l'observation (écarts-types d'erreur d'observation) ;
  • la connaissance quantitative de l'incertitude de modélisation (écarts-type d'erreur sur les paramètres estimés au calage, comme le coefficient multiplicateur pour les apports intermédiaires ou les coefficients de rugosité).

Cette modification est considérée comme "optimale" dans le sens où elle correspond à un équilibre entre les différentes sources d'incertitude à prendre en compte.

Cette procédure d'assimilation de données peut être répétée en temps réel (cycles), au niveau de chaque tronçon de calcul et afin de réduire les écarts entre les données modélisées et observées, en optimisant les paramètres sources d'erreurs et les données d’entrée, en particulier les apports intermédiaires.

Bibliographie :

  • Arsenault R. (2015) : Equifinalité, incertitude et procédures multi-modèles en prévision hydrologiques aux sites non-jaugés, thèse de Doctorat par articles à l’École de technologie supérieure, Montréal ; 284 p. + 93 p. d’Annexes ; en anglais et français (chapitres introductifs) ; disponible sur https://espace.etsmtl.ca/id/eprint/1488/1/ARSENAULT_Richard%20%282%29.pdf
  • Astagneau, P-C (2022) : Pistes d’amélioration de la généralité et de l’efficacité d’un modèle opérationnel de prévision des crues, thèse de doctorat soutenue à Sorbonne Université dans le cadre de l’Ecole doctorale Géosciences, ressources naturelles et environnement, 237 p.; disponible sur https://theses.hal.science/tel-04028903 ou https://theses.hal.science/tel-04028903v1/document
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