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B.21 - Modélisation hydrologique : influence de l'incertitude sur les données d'entrée

De Wikhydro

Sommaire

Introduction

Les modèles hydrologiques Pluie – Débit utilisent plusieurs données d'entrée que nous connaissons de façon incertaine :

  • le débit à la station de prévision, utilisé pour le calage du modèle et éventuellement sa mise-à-jour : cette observation est sujette aux erreurs et imprécisions classiques de la mesure hydrométrique (incertitude sur la mesure de la cote et sur la courbe de tarage, fiches B.08 et suivantes) ;
  • la lame d'eau observée : l'estimation de cette lame d'eau diffère selon la source de données utilisée (données pluviométriques ou image radar) et la méthode de calcul employée (interpolation) ;
  • la lame d'eau prévue: les prévisionnistes emploient différentes sources de prévision (sortie de modèle, bulletin de précipitation, analogues...) ; une information sur l’incertitude associée peut être fournie pour chaque source de données sous des formes variées (fourchette haute ou basse du bulletin de précipitation, quantile pour la méthode des analogues, etc.) ;
  • les données nécessaires pour l’estimation de l’état initial du bassin : l'humidité du bassin va influer sur la rétention de la pluie et, par-delà, sur sa réponse hydrologique. Cette humidité est une entrée explicite de certains modèles (principalement des modèles événementiels pour leur initialisation). Elle peut être estimée par différents indicateurs : un abaque basé sur le débit initial, un indice des pluies antérieures, un indice d'humidité des sols (indice HU2 ou indice SWI de la chaîne SIM)… Les modèles continus réalisent un bilan en eau du bassin versant et n’utilisent donc pas en entrée l’humidité du bassin mais les éléments permettant de la calculer : les pluies antérieures (cf. infra) et l’évapotranspiration (potentielle ou réelle) ;

Les sections suivantes détaillent et illustrent l'impact des incertitudes de ces données d'entrée sur les résultats du modèle hydrologique. Les exemples sont tirés de la pratique du SPC Loire – Cher – Indre pour le bassin du Lignon du Velay à la station de Chambon-sur-Lignon (139 km²).


Incertitude sur la donnée débimétrique

L'information de débit est utilisée de deux façons différentes : au préalable pour le calage du modèle : l'incertitude sur cette donnée et en particulier sur les pointes peut avoir des effets néfastes et conduire à des jeux de paramètres sous-optimaux pour la suite. Ceci explique la nécessité de valider soigneusement les données utilisées au calage  ; éventuellement en temps réel pour la mise-à-jour du modèle : l'incertitude se reporte directement sur les prévisions. Toutefois, l'influence de cette incertitude sur les prévisions décroit avec l'horizon de prévision.

Exemple 1. Le modèle GRP a été calé sur le bassin du Lignon du Velay à la station de Chambon-sur-Lignon par le CEMAGREF[1] en 2008 à partir d'une base de données de débit qu'il avait constituée pour un très grand nombre de bassins versants à partir d'extractions de la banque HYDRO entre 1995 et 2005. À l'examen, il s'est avéré que cette chronique présentait des brusques variations de débit (Fig. 1). Une nouvelle étude par le SPC a conduit à un nouveau calage du modèle sur ce bassin en 2010 en corrigeant les débits sur la période 1994-2009. Le gain apporté par cette modification a été calculé en se plaçant dans les mêmes configurations de modélisation : même période de calage, même horizon, même seuil. Ainsi, le taux de détection de dépassement de seuil passe de 35 à 42%, le taux de fausses alertes diminue de 32 à 24%, l'indice de succès critique passe de 31 à 37%.

La qualité des données débimétriques influe donc fortement sur les performances du calage du modèle hydrologique.


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Incertitude sur les pluies observées

L'incertitude sur les pluies observées peut avoir un impact fort sur les prévisions du modèle hydrologique par plusieurs biais : au préalable comme dans le cas précédent, lors du calage du modèle (exemple 2) ; en temps réel, l'état initial des modèles hydrologiques continus et donc leur réactivité aux pluies à venir est principalement conditionné par l'humidité des sols qui résulte des précipitations antérieures. Les modèles événementiels sont moins sensibles à l'incertitude des observations de pluie antérieure si ces données ne sont pas employées pour leur initialisation. Comme pour les observations de débit, l'incertitude sur les observations de pluie se traduit d'autant moins en une incertitude de prévision que l'horizon de prévision s'éloigne.

Exemple 2. Nous continuerons sur l'exemple du Chambon-sur-Lignon. En 2008, le CEMAGREF a utilisé des pluies journalières SAFRAN désagrégées au pas de temps horaire à partir des répartitions observées sur des postes sols (cf figure 1). Lors de la reprise du calage en 2010, le SPC a repris le calcul de la lame d'eau en exploitant les données de 5 pluviomètres répartis sur et à la périphérie du bassin du Lignon (Fig. 2). La figure 3 illustre les résultats du modèle pour la crue de novembre 1996 calé, sur la période 1996-2005, d'une part avec les données Safran et d'autre part avec les données de 8 pluviomètres. L'influence des données de calage du modèle est, dans cet exemple, relativement limitée. À l'opposé, le remplacement des pluies observées par les pluviomètres lors de l’événement par des pluies SAFRAN désagrégées dégrade fortement la qualité de la prévision.


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Incertitude sur la lame d'eau prévue

L'exploitation des modèles Pluie – Débit nécessite souvent de recourir à des prévisions de pluies futures pour atteindre des horizons supérieurs au temps de réaction du bassin (par exemple, pour les besoins de la vigilance sur 24 heures). Ces pluies peuvent être calculées à partir de sources d'information diverses et selon plusieurs hypothèses. Elles peuvent ainsi conduire à élaborer plusieurs scénarios de pluies futures. L'incertitude sur les prévisions de précipitation est bien connue. Son influence sur les prévisions hydrologiques apparaît dès que l'horizon de prévision dépasse le temps de réaction du bassin et s'accroît (s'accumule) à mesure que l'horizon de prévision augmente.

Par ailleurs, l'incertitude sur les pluies futures tombées suffisamment avant l'échéance de prévision (avant l'intervalle de temps égal au temps de réaction et se terminant à l'échéance) se retrouve fortement dans l'incertitude de prévision. Elle peut même être amplifiée par le modèle hydrologique dans certains cas.

Exemple 3. Pour l'exploitation de ses modèles GRP, le SPC LCI réalise, pour chaque instant de prévision, 9 scénarios de pluies futures : valeurs RR3, fourchette haute et basse des valeurs moyennes et maximales ponctuelles des bulletins de précipitations, quantile 60 et 90% de la méthode des analogues, valeur manuelle et pluies futures nulles. Les écarts sur la prévision du maximum sont très importants (Fig. 4).

Autres données nécessaires pour l’estimation de l’état initial du bassin versant (humidité)

L’état initial du bassin (humidité) versant influe beaucoup sur les prévisions. Il est estimé à l’aide de différentes variables selon le mode de fonctionnement du modèle.

Incertitude sur l’évapotranspiration prise en compte par les modèles continus

Dans les modèles hydrologiques continus, l’état du bassin est estimé en « interne » de façon continue par un bilan en eau approché qui est basé le plus souvent sur les pluies antérieures (section 3) et l’évapotranspiration ou les températures. Il s'agit le plus souvent d'une information d'évapotranspiration potentielle car l'évapotranspiration réelle n'est que très rarement disponible. Ainsi l'incertitude sur cette donnée est très forte. Ludovic Oudin a étudié l'influence du choix de la formulation de l'ETP (ou de l'ETR) sur le résultat de modèles hydrologiques pour un grand nombre de bassins et différents modèles hydrologiques. Il a conclu à la faible influence de ce choix : « nous avons utilisé une approche par données synthétiques d’ETP qui permet notamment de lever toute incertitude sur la pertinence des données d’ETP. Les résultats ont montré que les différences entre ETP datées et interannuelles étaient presque totalement absorbées par les réservoirs de production des modèles pluie-débit ».


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Cette donnée est importante pour déterminer les conditions initiales du modèle traduisant l'état d'humidité du bassin. En revanche, son influence deviendra vite négligeable dès que le cumul de pluie sur l'événement (observé et prévu) devient très supérieur à l'évapotranspiration[2] (exemple 4). Des erreurs aléatoires sur quelques pas de temps ont donc un effet mineur. Ainsi, l'incertitude sur cette donnée n'influera que sur la réactivité du modèle au démarrage de l'événement et peu sur l'estimation de la pointe de crue. Certains modèles hydrologiques continus n'utilisent qu'une moyenne interannuelle d'évapotranspiration potentielle.

Exemple 4. L'ETP journalière sur le bassin du Lignon-du-Velay à Chambon-sur-Lignon varie sur l'année entre 0,2 mm/j et 3,67 mm/j. Ces valeurs sont très inférieures aux cumuls de pluie nécessaires pour déclencher une crue significative sur ce bassin, qui sont plutôt de l'ordre de quelques dizaines de mm (sauf si le bassin est extrêmement humide).

Incertitude sur l’humidité du bassin initialisée dans les modèles événementiels

Inversement, les modèles événementiels doivent être initialisés (fiche B.24). L’état initial qui rend compte de l’humidité du bassin versant peut être représenté par un niveau de remplissage d’un réservoir (réservoir sol pour les modèles de la famille GR ou MORDOR), par un abattement de pluie brute (indice D0 de la fonction de production SCS pour les modèles PQ et PQb). Le modélisateur doit caler une relation entre cet état initial et une variable externe comme un indice d’humidité (HU2 ou SWI) ou le débit initial, etc. (exemple 3 de la fiche B.24). L’incertitude de cette relation et l’incertitude sur la variable externe influe directement et fortement sur les résultats du modèle (surtout en début d’événement).

Conclusions

L'incertitude sur les données d'entrée des modèles pluie-débit est responsable d'une incertitude de prévision. Son influence commence dès le calage du modèle, se poursuit au niveau de la modélisation de l'état initial du bassin et des scénarios de précipitation future.

Les exemples étudiés montrent que cette influence peut être forte sur l'incertitude de prévision, notamment par la prise en compte des dernières données de débit (mise-à-jour du modèle) et de prise en compte des précipitations futures, mais aussi par l'intermédiaire du calage pour les observations de pluie et de débit. Ainsi, la reprise des données débimétriques et l'exploitation de nombreux pluviomètres a permis d'améliorer significativement les performances du modèle initial. Il est donc indispensable de réaliser une critique approfondie de ces données avant d'envisager le calage d'un modèle hydrologique.


Voir également

Fiche A.03 – Propagation des incertitudes : amplification et réduction

Fiche B.08 – Incertitude de la mesure de hauteur d’eau

Fiche B.09 – Établissement de la courbe de tarage

Fiche B.10 – Détarage en cours d’événement

Fiche B.11 – Incertitude sur le couple Hauteur – Débit

Fiche B.12 – Incertitude sur l’observation hydrométrique

Fiche B.24 – Initialisation des modèles hydrologiques et incertitude résultante


Pour aller plus loin

Oudin, L. (2004). Recherche d’un modèle d’évapotranspiration potentielle pertinent comme entrée d’un modèle pluie-débit global. Thèse de doctorat, ENGREF.



  1. Désormais IRSTEA.
  2. C'est le même raisonnement que la méthode du gradex en prédétermination des crues.
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