Prévision des crues : les modèles utilisés (HU) : Différence entre versions
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En parallèle, dans les années 1930, on voit apparaître la notion de modèles numériques, essentiellement hydrauliques, conceptuels ou simplifiant les équations de Barré de Saint-Venant, qui seront utilisés plus tard pour expliquer, représenter à des fins d’aménagement et prévoir la propagation des crues. A partir des années 1960, à titre expérimental (Cunge, 2020), puis plus opérationnel, et de façon largement dominante depuis le début des années 2010, les modèles hydrologiques et hydrauliques (ou hydrodynamiques) numériques sont les outils utilisés pour la prévision des crues. | En parallèle, dans les années 1930, on voit apparaître la notion de modèles numériques, essentiellement hydrauliques, conceptuels ou simplifiant les équations de Barré de Saint-Venant, qui seront utilisés plus tard pour expliquer, représenter à des fins d’aménagement et prévoir la propagation des crues. A partir des années 1960, à titre expérimental (Cunge, 2020), puis plus opérationnel, et de façon largement dominante depuis le début des années 2010, les modèles hydrologiques et hydrauliques (ou hydrodynamiques) numériques sont les outils utilisés pour la prévision des crues. | ||
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* Delft FEWS – Hydrological Forecasting and Warning System – (Deltares aux Pays-Bas) ; | * Delft FEWS – Hydrological Forecasting and Warning System – (Deltares aux Pays-Bas) ; | ||
* La plate-forme LISFLOOD, base du système EFAS, conçue par le Centre commun de recherche (JRC) de la commission européenne pour les bassins fluviaux internationaux par suite des inondations de l’Oder, de l’Elbe et du Danube en 1997 et après ; il utilise le modèle LISFLOOD (Van Der Knijff et al., 2008), géographiquement distribué à base physique et utilisant des fonctions géomatiques ; | * La plate-forme LISFLOOD, base du système EFAS, conçue par le Centre commun de recherche (JRC) de la commission européenne pour les bassins fluviaux internationaux par suite des inondations de l’Oder, de l’Elbe et du Danube en 1997 et après ; il utilise le modèle LISFLOOD (Van Der Knijff et al., 2008), géographiquement distribué à base physique et utilisant des fonctions géomatiques ; | ||
− | * HEC-HMS, géographiquement distribué, développé par l’Hydrologic Engineering Center of the US Army Corps of Engineers - USACE-, HMS signifiant Hydrologic Modelling System, basé sur les principes des modèles SCS (développés par le Soil Conservation Service américain depuis la fin des années 1960 ; il peut alimenter divers modèles hydrauliques, dont HEC-RAS. | + | * HEC-HMS, géographiquement distribué, développé par l’Hydrologic Engineering Center of the US Army Corps of Engineers - USACE-, HMS signifiant Hydrologic Modelling System, basé sur les principes des modèles SCS (développés par le Soil Conservation Service américain depuis la fin des années 1960 ; il peut alimenter divers modèles hydrauliques, dont HEC-RAS. |
+ | ====Les modèles hydrologiques priorisés dans le réseau Vigicrues ==== | ||
+ | Le réseau national pour la prévision des crues, sous l’impulsion du SCHAPI, a préparé dès 2010 (Le Pape et Souldadié, 2010), puis adopté en 2012, une stratégie de développement et de consolidation des modèles hydrologiques et hydrauliques de prévision, qui a été ensuite régulièrement actualisée, notamment en 2020. Cette stratégie est centrée sur des modèles : | ||
+ | * remplissant divers critères (ouverture des codes informatiques, gratuité, existence d’une communauté de développeurs et utilisateurs, etc.) ; | ||
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+ | De plus, la stratégie prévoit, pour les modèles hydrologiques, de : | ||
+ | * s’appuyer sur les outils existants tant qu’ils donnent satisfaction et ne sont pas remplacés par d’autres plus performants en s'appuyant notamment sur SOPHIE, une plate-forme multi-modèles « pluie-débit » ou « débit-débit », développée en France dès les années 1980 (Roche ''et al.'' , 2012), (voir aussi B.23 - Modèles hydrologiques empiriques) et qui a été utilisée comme pilote d’une structure plus complète, la Plate-forme opérationnelle pour la modélisation, la POM, qui l’a remplacée. Les formules ou modèles qu’elle mettait en œuvre ont pour la plupart été abandonnés ; | ||
+ | * installer très largement le modèle GRP, relativement simple et robuste, dans tous les cas où il s’avère qu’il donne satisfaction (''figure 4'') ; | ||
+ | * soutenir le développement des modèles distribués empiriques et à base relativement physique, en favorisant leur convergence (dans le cadre de la plate-forme PLATHYNES) en privilégiant, au départ, leur utilisation dans des cas de bassins versants à caractéristiques très contrastées et où les crues sont souvent consécutives à des évènements pluvieux très hétérogènes voire, comme on le verra plus loin, pour des sous-bassins versants non jaugés, ou pour mieux évaluer des apports intermédiaires entre stations de mesure. L’observation, au cours de ces dernières années d’événements pluvieux localisés et intenses sur des territoires peu habitués à ce genre d’épisodes a conduit à la mise en œuvre de modèles distribués en compléments des approches globales traditionnelles ; | ||
+ | * développer des stratégies de modélisation sur sites non jaugés, dans le cadre des évolutions de Vigicrues Flash et de la plate-forme PLATHYNES. | ||
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+ | [[File:Prévision des crues Fig-3_Utilisation-modele-GRP-en-SPC-82021_webGR.jpeg|600px|center|thumb|<center><u>Figure 4</u> : Utilisation en 2021 du modèle GRP dans les SPC en France ; <u>Source</u> : : https://webgr.inrae.fr/outils/modeles-hydrologiques/modele-de-prevision-hydrologique-grp.</center>]] | ||
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+ | ===Des points d’attention majeurs pour la construction et l’utilisation des modèles hydrologiques conceptuels de prévision des crues : exemple de GRP=== | ||
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+ | ====Le calage de ces modèles hydrologiques : exemple de GRP==== | ||
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+ | On pourra se référer notamment à la Fiche B.19 - Calage des modèles hydrologiques de la Catégorie:Incertitudes, dans Wikhydro, ainsi que, pour GRP, à (Tangara, 2005) et à (Berthet, 2010). | ||
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+ | Le calage des modèles hydrologiques est indispensable, qu’ils aient ou non une part de signification physique, plus ou moins mesurable. Ce calage, du fait que ces paramètres représentent la particularité de chaque bassin versant, doit s’appliquer à chacun d’eux. Il consiste à : | ||
+ | * analyser et critiquer (ou utiliser des séries déjà validées) les données d’évolution dans le temps : | ||
+ | ** d’intensité de pluie précipitée sur le bassin versant (données d’entrée du modèle), | ||
+ | ** et de débit à l’exutoire de celui-ci (données de sortie du modèle) | ||
+ | pour un échantillon de crues continu aussi long que possible et comprenant de préférence des évènements de période de retour statistique assez longue ; | ||
+ | * ajuster (phase d’apprentissage), sur une partie de l’échantillon, la valeur de ces paramètres, en minimisant les écarts entre les débits prévus à l’exutoire par le modèle et les débits observés, en mettant en œuvre une fonction objectif utilisant des critères de calage, comme ceux de [[Nash-Sutcliffe (critère de) (HU)|Nash-Sutcliffe]] (Nash and Sutcliffe, 1970) ou Kling-Gupta (Gupta ''et al.'', 2009) ou d’autres ; | ||
+ | * et valider ces paramètres, sur une autre partie de l’échantillon, pouvant correspondre en partie à des contextes différents. | ||
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+ | Les calages, pour certains modèles, comme pour ceux de la famille GR développés par l’Unité HYCAR de l’INRAE, et donc le modèle GRP, peuvent être semi-automatisés grâce aux fonctionnalités d’un utilitaire de calage et d’évaluation (Furusho C. ''et al.'', 2014). | ||
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+ | Par exemple, dans le cas du modèle [[GRP (HU)|GRP]] (''figure 5''), trois paramètres, dits libres font l’objet d’un calage : | ||
+ | * Corr : sans unité, en phase finale du module de production, facteur de correction du volume total de pluie efficace Pr, pour donner P’r, la pluie efficace corrigée alimentant le module de routage, qui répartit temporellement celle-ci ; | ||
+ | * TB : le temps de base de l’hydrogramme unitaire (en nombre de pas de temps) qui permet de simuler le décalage temporel entre la pluie précipitée sur le bassin versant et le débit à son exutoire ; | ||
+ | * Rout : la capacité (en mm/pas de temps) du réservoir de transfert (l’autre module central de GRP), qui assure un lissage temporel de la pluie efficace corrigée | ||
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+ | [[File:grp2.JPG|500px|center|thumb|<center>''<u>Figure 5</u> : Schéma structurel du modèle GRP (E : ETP ; P : pluie ; Q : débit ; CORR (-) : facteur de correction des pluies efficaces ; TB (h) : temps de base de l’hydrogramme unitaire ; ROUT (mm) : capacité du réservoir de routage ; les autres lettres représentent des variables internes) ; <u>Source</u> : Lilas ''et al'' (2012).''</center>]] | ||
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+ | Il est à noter que : | ||
+ | * la pluie précipitée a le statut de donnée d’entrée (ou de forçage) et le volume du réservoir d’humidité (dans le module de production) est initialisé comme on le verra au § 3.3.2. ci-dessous) ; | ||
+ | * le modèle comporte, en amont dans les processus modélisés, deux modules récents, devant être initialisés : | ||
+ | ** un module neige qui est dédié à l’accumulation et à la fonte de la neige, | ||
+ | ** ainsi qu’un réservoir d’interception des précipitations par l’évapotranspiration potentielle ; | ||
+ | * en aval dans ce processus, une procédure d’assimilation des valeurs du dernier débit observé et de l’écart entre celui qui avait été prévu et celui qui a été observé au pas de temps précédent, permet de corriger les valeurs aux pas de temps suivants de la capacité du réservoir de routage ; cette assimilation requiert donc une 3ème donnée d’entrée, le dernier débit observé à l’exutoire. Cette procédure est à utiliser préférentiellement en mode opérationnel de prévision, car en calage elle peut influencer la détermination des paramètres du modèle (Astagneau, 2022) ; une réflexion est en cours pour atténuer, si possible, cet inconvénient. | ||
[[Catégorie:Dictionnaire_DEHUA]] | [[Catégorie:Dictionnaire_DEHUA]] | ||
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Version du 9 mai 2024 à 11:05
Traduction anglaise : Models used for flood forecasting
Dernière mise à jour : 09/05/2024
article en chantier
Cet article a pour objectif de présenter les différents modèles qui sont utilisés en France pour la prévision des crues.
Il a bénéficié de la relecture et des contributions de Renaud Marty et de Pierre-Adrien Hans (tous deux du SPC Loire-Allier-Cher-Indre), de Charles Perrin (INRAE-HYCAR, à Antony), Etienne Le Pape et Didier Narbaïs-Jauréguy (tous deux du SCHAPI).
Introduction
Cet article fait partie d'une série de sept articles qui traitent des différents aspects de la prévision des crues, un article général :
et 5 autres articles détaillant différents aspects (actuellement en cours d'écriture) :
- Prévision des crues : son historique en France ;
- Prévisions des crues : les données nécessaires ;
- Prévisions des crues : erreurs, incertitudes et évaluation des performances ;
- Prévision des crues : les outils opérationnels utilisés en France ;
- Prévision des crues : développements récents ou en cours en France.
Cet article fait également référence à une partie des fiches de la famille « B. Description des principales sources d’incertitudes à considérer dans l’élaboration [par modélisation] d’une prévision de débit et de hauteur d’eau » Ces fiches ont été élaborées entre 2013 et 2015 par un groupe de travail constitué de prévisionnistes des SPC et du SCHAPI, ainsi que de confrères de Météo-France, de l’IRSTEA (devenu INRAE) et de l’IFSTTAR (devenu Université Gustave Eiffel). En effet, ces fiches, pour présenter les incertitudes liées aux données utilisées et modèles eux-mêmes, décrivent assez précisément les processus qu’ils mettent en œuvre.
Il traite successivement :
- des divers types de modèles utilisés par le réseau national français pour la prévision des crues ;
- des modèles hydrologiques, simulant la relation entre la pluie précipitée sur les bassins versants élémentaires et les débits à leur exutoire (où ils sont « injectés » dans le réseau hydrographique principal et modélisé) ;
- des modèles hydrauliques (ou hydrodynamiques), simulant la propagation des ondes de les 2crues et leurs compositions aux confluences, dans le réseau hydrographique modélisé.
Les modèles, hydrologiques et hydrauliques, y sont présentés suivant un schéma similaire :
- les fonctions et les limites de ces modèles,
- les divers types de modèles utilisés pour la prévision, et ceux qui ont été choisis pour un soutien prioritaire aux développements et pour l’aide à leur maîtrise, faits dans le cadre de la stratégie du réseau national français pour la prévision des crues,
- des points d’attention majeurs pour la construction et l’utilisation de ces modèles,
- des cas particuliers.
Présentation générale des modèles utilisés pour la prévision des crues
Les modèles utilisés pour la prévision des crues ont pour fonction de prévoir l'évolution des débits (et des lignes d'eau dans le cas de la prévision des inondations) sur le linéaire d'un cours d'eau lors d'un événement pluvieux. Comme pour de nombreuses autres applications en hydrologie, ils sont le plus souvent de type semi-distribué, c'est à dire que le territoire d'étude est décomposé en sous-bassins versants qui produisent des débits en fonction des précipitations qu'ils reçoivent, ces sous-bassins versants étant connectés entre eux par des tronçons de rivière (et éventuellement des ouvrages de stockage). Ils reposent donc sur deux catégories distinctes de modèles qui doivent être utilisés de façon conjointe :
- les modèles hydrologiques qui simulent la transformation des variables météorologiques (en particulier des précipitations) ou hydrologiques antérieures, en variables débitmétriques à l'exutoire des bassins versants ; ils sont alimentés par les observations et les prévisions météorologiques et sont chargés de prévoir les valeurs de débit qui vont s'écouler dans les cours d'eau aval (figure 1) ;
- les modèles hydrauliques (ou hydrodynamiques), ou leurs versions simplifiées qui simulent uniquement la propagation des ondes de crues (comprenant les phénomènes de déplacement de ces ondes et d’amortissement-stockage intermédiaire, voir Modèle de propagation d’ondes de crue (HU)) ; ces modèles sont chargés de représenter l'évolution prévue des débits, des hauteurs d'eau et des vitesses dans les lits mineurs, moyens ou majeurs des cours d’eau modélisés, ainsi que la composition des ondes de crue aux confluences et, éventuellement, leur transformation dans les retenues ou d’autres phénomènes d’hydraulique influencée, comme en zone fluviomaritime ou en amont de certaines confluences (voir Modèles d'écoulement en réseau et en rivière (HU)) ; ils sont alimentés par les prévisions issues des modèles hydrologiques, les résultats simulés étant éventuellement corrigés par des observations hydrométriques (figure 2).


Deux familles de modèles sont utilisées en prévision des crues :
- des modèles événementiels. : leur objectif est de simuler les crues résultant d’un évènement pluvieux particulier ou d’une série de pluies suffisamment rapprochées pour générer des ruissellements qui interfèrent entre eux, ce qui justifie que l'on considère la crue de façon globale ; ces modèles sont souvent limités par la difficulté à déterminer pour eux des conditions initiales fiables, ce qui conduit par exemple à les coupler avec des modèles continus (ils sont de moins en moins souvent utilisés seuls) ou à anticiper leur mise en route par une phase de « chauffe » ;
- des modèles continus : ces modèles prennent en compte en continu toutes les précipitations qui se succèdent sur le bassin hydrographique durant une longue période (base annuelle glissante). Ils permettent de connaître les variables (comme l’humidité du sol) qui dépendent à la fois de l'antécédent pluviométrique, des conditions météorologiques, de la succession des saisons. Ils sont utiles notamment pour déterminer les conditions initiales nécessaires aux modèles événementiels, hydrologiques mais aussi hydrauliques.
Nota : Il existe dans la littérature plusieurs typologies des modèles. On peut s’appuyer en partie sur celles de (Todini, 2007) et de (Roche et al., 2012) au Chapitre 10.3, ou de (Le Pape, 2020). On distingue par exemple souvent : les modèles empiriques (basés sur l’expérience et les données d’observation disponibles), les modèles conceptuels et les modèles à base physique. Les frontières entre ces catégories ne sont pas toujours très nettes et plusieurs modèles peuvent être considérés comme hybrides. Nous renvoyons le lecteur à l'article Modèle (HU) pour en savoir plus sur les différentes classifications possibles.
Rapide historique des modèles de plus en plus élaborés utilisés en France pour la prévision des crues
Les premières prévisions des crues modernes et structurées ont été faites en France à partir du milieu du XIXe siècle (Voir l'article Prévision des crues : son historique en France), après les crues de 1840 sur le Rhône et de 1846 sur la Loire, en élaborant des combinaisons linéaires des hauteurs d’eau relevées sur des échelles en amont, en des points choisis pour représenter au mieux la réaction de parties assez homogènes (en pédologie, géologie et topographie). Elles ont été élaborées pour évaluer le niveau maximum à attendre et le moment où il se produira plus en aval, au droit de zones particulièrement vulnérables aux inondations.
Malgré la proposition, dès 1871 par Adhémar Barré de Saint-Venant, d’un système d'équations différentielles décrivant la propagation des ondes de crues dans les cours d’eau, ainsi que des compléments apportés par d’autres dans les années suivantes, ces équations n’ont pas eu de suites pratiques pendant près d’un siècle, faute de moyens pour les résoudre aisément, avant l’avènement de l’informatique.
En 1934 pour la prévision des crues de la Loire de Gien à Montjean, puis en 1940 et en 1948 (Bachet, 1948) propose une méthode, pouvant aussi être qualifiée de modèle, traduite, notamment pour compenser un peu des pertes de compétences, par un ingénieux jeu d’abaques, les « Réglettes de Bachet », longtemps utilisées dans plusieurs Services d’Annonce des Crues (figure 3). (Voir Fiche B.23 – Modèles hydrologiques empiriques).
En parallèle, dans les années 1930, on voit apparaître la notion de modèles numériques, essentiellement hydrauliques, conceptuels ou simplifiant les équations de Barré de Saint-Venant, qui seront utilisés plus tard pour expliquer, représenter à des fins d’aménagement et prévoir la propagation des crues. A partir des années 1960, à titre expérimental (Cunge, 2020), puis plus opérationnel, et de façon largement dominante depuis le début des années 2010, les modèles hydrologiques et hydrauliques (ou hydrodynamiques) numériques sont les outils utilisés pour la prévision des crues.
La généralisation relativement rapide, en une dizaine d’années, de l’utilisation de modèles numériques de prévision des crues est le résultat de plusieurs facteurs :
- la maturation antérieure sur la modélisation hydrologique et hydraulique au niveau de certaines Directions régionales de l’environnement (DIREN) qui avaient eu recours à de tels modèles pour les Plans Grands Fleuves (Loire, Rhône, Seine, etc.) ou pour consolider, avec les Directions départementales de l’Équipement puis des Territoires (et de la Mer), les Plans de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI) ;
- la création en 2002 des Services de Prévision des Crues (SPC), dont une majorité au sein des DIREN, avec l’affichage de l’ambition d’une prévision des crues allant au-delà de leur annonce (comme auparavant), et l’invitation, ensuite, à publier de plus en plus sur le site Vigicrues ces prévisions ainsi que les incertitudes associées ;
- le fonctionnement en réseau des SPC et du SCHAPI, créé en 2003, avec des échanges renforcés et des formations structurées ;
- l’établissement de relations fortes, avec un soutien financier croissant, entre le SCHAPI, et les SPC, d’une part, et les milieux de la recherche et des développements, d’autre part ;
- la mise à disposition progressive de données nécessaires (pluviométriques et radar-météorologiques ; humidité des sols calculée par Météo-France ; possibilité de relevés topographiques suffisamment précis, par GPS puis aussi par LIDAR aéroporté, réalisés depuis 2011 sur la quasi-totalité des zones inondables par les cours d’eau du réseau hydrographique surveillé par l’État ;
- l’organisation de Retours d’expérience (REX) des évènements marquants en matière d’importance des dommages mais aussi d’enseignements à tirer dans le processus de prévision, notamment d’améliorations souhaitables des modèles ; le dispositif de collaboration continue avec les équipes de recherche et développement impliquées dans ceux-ci permet de dégager assez rapidement des évaluations des performances et des perspectives d’améliorations ciblées : on peut citer, par exemple, le travail mené par l’Equipe HYDRO (UR HYCAR) de l’INRAE, concernant le modèle GRP, par suite des importants inondations de mai-juin 2016 ayant touché le bassin de la Seine et le nord de celui de la Loire (Pinna, 2017), et l’analyse par suite de la crue de février 2021 sur la Garonne marmandaise (Marchandise et al., 2023) ou celle des crues de juillet 2021 sur les bassins du nord-est de la France (Diederics et al, 2023).
Modèles hydrologiques
Fonctions et limites des modèles hydrologiques
Dans le cadre de la prévision des crues, les modèles hydrologiques visent à estimer les valeurs futures, à divers horizons de prévision, que va prendre le débit à l’exutoire des bassins versants.
Les modèles utilisés prennent en compte les données acquises en cours d’évènement concernant la pluie que le bassin versant a reçue ou qu’il est prévu qu’il recevra, ainsi que des paramètres variables en fonction de l’antécédent pluviométrique (humidité des sols, éventuellement niveau des nappes, etc.). Ils utilisent aussi comme donnée de référence, lorsque c’est possible, le débit ou le niveau du cours d’eau constituant le drain final du bassin versant modélisé.
Les bassins versants sont des systèmes très complexes dont on ne peut cerner qu’une partie de la réalité. Il est donc nécessaire de s’appuyer sur un certain nombre d’hypothèses, pas toujours vérifiées ; de plus, certaines données ne sont pas accessibles en temps réel. Comme pour la plupart de ceux qui représentent des systèmes environnementaux complexes, on ne peut donc pas attendre que ces modèles donnent des résultats très précis. Pour en savoir plus sur les incertitudes associées à ce type de modélisation, voir la fiche B.18 – Modélisation hydrologique : quelles incertitudes ?
Les modèles hydrologiques utilisés pour la prévision des crues et ceux qui ont été choisis pour un soutien prioritaire aux développements et pour l’aide à leur maîtrise
Modèles hydrologiques utilisés en France et dans le monde pour la prévision des crues
Les modèles hydrologiques anciennement et actuellement utilisés dans le réseau pour la prévision des crues en France sont :
- les modèles conceptuels à réservoirs, évènementiels au départ puis utilisables aussi en continu, de la famille GR développés par l’INRAE (ex-CEMAGREF et IRSTEA) : GR3H (utilisé dans la plate-forme SOPHIE), GR4H à la fin des années 2000 (au SPC LCI) puis à partir du début des années 2010, les versions successives du modèle GRP ;
- les modèles hydrologiques évènementiels et géographiquement distribués, à base relativement physique, de la plate-forme PLATHYNES, utilisée pour leur calage et leur utilisation en temps réel ; PLATHYNES résulte de la fusion, en 2014, des plates-formes ATHYS et MARINE ; le modèle ALTHAIR, développé et utilisé depuis le début des années 2000 par le Service de Prévision des Crues - SPC - Grand Delta [du Rhône] pour la prévision des crues rapides voire soudaines sur son territoire , après des efforts de spatialisation de ce modèle en 2005 (Ayral et al., 2005), a été porté sur PLATHYNES, aussi en 2014 ;
- le modèle LARSIM - Large Area Runoff SImulation Model -, géographiquement distribué, et développé par la Communauté des développeurs de LARSIM (LARSIM, 2019), (Bourcet, 2013) et utilisé sur l’ensemble du bassin du Rhin, en particulier en France sur les bassins de la Moselle ainsi que du Rhin et de la Sarre, dans le cadre d’un système transfrontalier partagé de prévision des crues côtés français, luxembourgeois, et, en Allemagne, sarrois et rhénano-palatins ; il est aussi utilisé pour le bassin versant de la Meuse. Il s’applique à des mailles de 1km x 1km ou par sous-bassins versants, dit « de bilan hydrologique » (où est simulée une série assez complète des sous-processus hydrologiques) ;
- le modèle MORDOR de prévision des crues et des étiages, développé par EDF depuis le début des années 1990 (Paquet, 2004). Il n’est utilisé jusqu’ici que marginalement par le réseau Vigicrues ;
- pour l’anticipation des crues soudaines, le modèle SMASH (anciennement AÏGA), mis en œuvre dans Vigicrues Flash (Voir Vigicrues Flash (HU).
On peut aussi citer, entre beaucoup d’autres utilisés au niveau mondial, les modules hydrologiques des plates-formes de modélisation suivantes, incluant des fonctions de prévision, qui sont, ou ont pu être, mis en œuvre en France :
- HYDRA (SETEC / Hydratec), géographiquement semi-distribué, pour l’hydrologie ;
- Delft FEWS – Hydrological Forecasting and Warning System – (Deltares aux Pays-Bas) ;
- La plate-forme LISFLOOD, base du système EFAS, conçue par le Centre commun de recherche (JRC) de la commission européenne pour les bassins fluviaux internationaux par suite des inondations de l’Oder, de l’Elbe et du Danube en 1997 et après ; il utilise le modèle LISFLOOD (Van Der Knijff et al., 2008), géographiquement distribué à base physique et utilisant des fonctions géomatiques ;
- HEC-HMS, géographiquement distribué, développé par l’Hydrologic Engineering Center of the US Army Corps of Engineers - USACE-, HMS signifiant Hydrologic Modelling System, basé sur les principes des modèles SCS (développés par le Soil Conservation Service américain depuis la fin des années 1960 ; il peut alimenter divers modèles hydrauliques, dont HEC-RAS.
Les modèles hydrologiques priorisés dans le réseau Vigicrues
Le réseau national pour la prévision des crues, sous l’impulsion du SCHAPI, a préparé dès 2010 (Le Pape et Souldadié, 2010), puis adopté en 2012, une stratégie de développement et de consolidation des modèles hydrologiques et hydrauliques de prévision, qui a été ensuite régulièrement actualisée, notamment en 2020. Cette stratégie est centrée sur des modèles :
- remplissant divers critères (ouverture des codes informatiques, gratuité, existence d’une communauté de développeurs et utilisateurs, etc.) ;
- s’avérant pertinents ;
- restant suffisamment peu nombreux pour bénéficier d’un soutien suffisant pour leurs développements et l’aide à leur maîtrise, y compris par la formation.
De plus, la stratégie prévoit, pour les modèles hydrologiques, de :
- s’appuyer sur les outils existants tant qu’ils donnent satisfaction et ne sont pas remplacés par d’autres plus performants en s'appuyant notamment sur SOPHIE, une plate-forme multi-modèles « pluie-débit » ou « débit-débit », développée en France dès les années 1980 (Roche et al. , 2012), (voir aussi B.23 - Modèles hydrologiques empiriques) et qui a été utilisée comme pilote d’une structure plus complète, la Plate-forme opérationnelle pour la modélisation, la POM, qui l’a remplacée. Les formules ou modèles qu’elle mettait en œuvre ont pour la plupart été abandonnés ;
- installer très largement le modèle GRP, relativement simple et robuste, dans tous les cas où il s’avère qu’il donne satisfaction (figure 4) ;
- soutenir le développement des modèles distribués empiriques et à base relativement physique, en favorisant leur convergence (dans le cadre de la plate-forme PLATHYNES) en privilégiant, au départ, leur utilisation dans des cas de bassins versants à caractéristiques très contrastées et où les crues sont souvent consécutives à des évènements pluvieux très hétérogènes voire, comme on le verra plus loin, pour des sous-bassins versants non jaugés, ou pour mieux évaluer des apports intermédiaires entre stations de mesure. L’observation, au cours de ces dernières années d’événements pluvieux localisés et intenses sur des territoires peu habitués à ce genre d’épisodes a conduit à la mise en œuvre de modèles distribués en compléments des approches globales traditionnelles ;
- développer des stratégies de modélisation sur sites non jaugés, dans le cadre des évolutions de Vigicrues Flash et de la plate-forme PLATHYNES.

Des points d’attention majeurs pour la construction et l’utilisation des modèles hydrologiques conceptuels de prévision des crues : exemple de GRP
Le calage de ces modèles hydrologiques : exemple de GRP
On pourra se référer notamment à la Fiche B.19 - Calage des modèles hydrologiques de la Catégorie:Incertitudes, dans Wikhydro, ainsi que, pour GRP, à (Tangara, 2005) et à (Berthet, 2010).
Le calage des modèles hydrologiques est indispensable, qu’ils aient ou non une part de signification physique, plus ou moins mesurable. Ce calage, du fait que ces paramètres représentent la particularité de chaque bassin versant, doit s’appliquer à chacun d’eux. Il consiste à :
- analyser et critiquer (ou utiliser des séries déjà validées) les données d’évolution dans le temps :
- d’intensité de pluie précipitée sur le bassin versant (données d’entrée du modèle),
- et de débit à l’exutoire de celui-ci (données de sortie du modèle)
pour un échantillon de crues continu aussi long que possible et comprenant de préférence des évènements de période de retour statistique assez longue ;
- ajuster (phase d’apprentissage), sur une partie de l’échantillon, la valeur de ces paramètres, en minimisant les écarts entre les débits prévus à l’exutoire par le modèle et les débits observés, en mettant en œuvre une fonction objectif utilisant des critères de calage, comme ceux de Nash-Sutcliffe (Nash and Sutcliffe, 1970) ou Kling-Gupta (Gupta et al., 2009) ou d’autres ;
- et valider ces paramètres, sur une autre partie de l’échantillon, pouvant correspondre en partie à des contextes différents.
Les calages, pour certains modèles, comme pour ceux de la famille GR développés par l’Unité HYCAR de l’INRAE, et donc le modèle GRP, peuvent être semi-automatisés grâce aux fonctionnalités d’un utilitaire de calage et d’évaluation (Furusho C. et al., 2014).
Par exemple, dans le cas du modèle GRP (figure 5), trois paramètres, dits libres font l’objet d’un calage :
- Corr : sans unité, en phase finale du module de production, facteur de correction du volume total de pluie efficace Pr, pour donner P’r, la pluie efficace corrigée alimentant le module de routage, qui répartit temporellement celle-ci ;
- TB : le temps de base de l’hydrogramme unitaire (en nombre de pas de temps) qui permet de simuler le décalage temporel entre la pluie précipitée sur le bassin versant et le débit à son exutoire ;
- Rout : la capacité (en mm/pas de temps) du réservoir de transfert (l’autre module central de GRP), qui assure un lissage temporel de la pluie efficace corrigée
Il est à noter que :
- la pluie précipitée a le statut de donnée d’entrée (ou de forçage) et le volume du réservoir d’humidité (dans le module de production) est initialisé comme on le verra au § 3.3.2. ci-dessous) ;
- le modèle comporte, en amont dans les processus modélisés, deux modules récents, devant être initialisés :
- un module neige qui est dédié à l’accumulation et à la fonte de la neige,
- ainsi qu’un réservoir d’interception des précipitations par l’évapotranspiration potentielle ;
- en aval dans ce processus, une procédure d’assimilation des valeurs du dernier débit observé et de l’écart entre celui qui avait été prévu et celui qui a été observé au pas de temps précédent, permet de corriger les valeurs aux pas de temps suivants de la capacité du réservoir de routage ; cette assimilation requiert donc une 3ème donnée d’entrée, le dernier débit observé à l’exutoire. Cette procédure est à utiliser préférentiellement en mode opérationnel de prévision, car en calage elle peut influencer la détermination des paramètres du modèle (Astagneau, 2022) ; une réflexion est en cours pour atténuer, si possible, cet inconvénient.